Le 11 Mars 2022, l’hommage rendu au soldat Imad Ibn Ziaten tombé debout, le 11 mars 2012, sous les balles du fanatisme de Mohamed Merah est le dixième. Il revêt comme chaque année l’importance du message du vivre ensemble et de l’éducation, notamment dans les cités et quartiers défavorisés, comme arme contre le fanatisme, véhiculé par sa mère Latifa Ibn Ziaten. Il comporte, en plus aujourd’hui, un appel à contribution pour un centre de formation professionnelle et de cours de soutien à Fnideq.
Cette femme debout malgré la souffrance de la perte de l’enfant, raconte le cheminement qui l’a menée à créer l’association “Imad pour la jeunesse et la paix”, l’enterrement et l’hommage annuel à Mdiq, sa ville d’origine, le marathon de la paix et l’inauguration d’un établissement scolaire qui s’en suit chaque année. Elle relate de même son travail sur terrain pour sauver les enfants et jeunes des quartiers en France. Et ce, à travers des événements dédiés aux jeunes dans le contexte de l’apprentissage du “vivre ensemble”, et de la tolérance.
Elle dit que rester debout dans cette épreuve de la perte d’un enfant, dans le contexte du sentiment anti-arabe et anti-musulman prévalant en France notamment en période électorale dont elle a pâti en plein deuil, n’a été possible qu’avec le soutien continu du roi Mohammed VI pour honorer la mémoire de Imad, jusqu’à aujourd’hui.
Reconnaissante au Maroc de faire vivre la mémoire de Imad depuis 2012, Latifa Ibn Ziaten, veut y renforcer son action éducative de la jeunesse pour qu’elle ne soit plus la cible vulnérable du fanatisme.
TOULOUSE, LE 11 MARS 2012
A la cité de l’Hers à Toulouse, Imad Ibn Ziaten, sous-officier du 1er régiment du train parachutiste, avait rendez-vous, ce jour-là, devant un gymnase avec un potentiel acheteur pour vendre sa moto. Le soldat, en tenue civile ce 11 mars 2012, avait passé une annonce sur un site internet. Repéré comme symbole d’un occident honni, Mohamed Merah, le tueur fanatique, l’arme au poing, voulait qu’il se mette à plat ventre, pour l’achever au nom d’un islam dévoyé. Ce que Imad Ibn Ziaten a refusé. Une patrouille de police le trouvera, mort, étendu dans son sang dans l’après-midi. La France est, alors, en pleine campagne électorale. La mère du jeune soldat prend la route pour voir le corps de son fils immédiatement. Ce qui ne lui sera accordé que le lendemain. Elle ressent le refus de la laisser voir son enfant à la morgue le jour même de son arrivée, comme une humiliation.
Le commissaire de police chargé de l’enquête, qui la reçoit, veut la convaincre que le meurtre de son fils est la conséquence d’un règlement de compte pour trafic. Latifa Ibn Ziaten ravale cette deuxième humiliation et insiste sur le fait que son fils qui sert le drapeau français et qui mène une vie saine, n’est pas un trafiquant. Mais au commissariat, on n’en démord pas de ces conclusions préliminaires. Une certitude ou une présomption des enquêteurs due aux origines de Imad Ibn Ziaten ? Quoi qu’il en soit, cette information biaisée de source policière sera largement reprise par la presse qu’elle considère comme un acte qui salit la mémoire de son fils. Les autorités judiciaires reviennent sur leurs positions statuant sur l’attaque terroriste, après les 15 et 19 mars : lorsque Merah attaque avec la même arme, trois autres militaires, puis des écolières, un parent et un adolescent à l’école juive, Ozar Hatorah. Elle apprendra, par voie de presse, l’usage de la même arme dans les trois attaques, ce qu’elle considère comme une ultime humiliation à la mémoire de son fils mais aussi à sa famille : ‘L’assassinat de Imad demeure une plaie ouverte et béante. La souffrance due à la mort de mon fils et à l’humiliation restent’.
Le combat de Latifa Ibn Ziaten pour honorer la mémoire de son fils commence. Ce sera dur. Elle appelle à l’aide, sur les ondes d’une radio. Le roi Mohammed VI lui apportera son soutien pour organiser les funérailles de son fils à Mdiq, la cérémonie des quarante jours, puis l’hommage annuel au Maroc à sa mémoire, dont ceux particuliers des 5 ans et des 10 ans qui marquent son assassinat. Elle rappelle que c’est ce soutien indéfectible qui la maintient en vie et lui donne le souffle nécessaire dans son combat contre l’abandon des enfants et jeunes dans les cités.
RETOUR SUR LES LIEUX DE L’ASSASSINAT
Après l’annonce du meurtre de son fils, Latifa Ibn Ziaten retourne au gymnase. “Une grande partie de moi s’en est allée avec l’assassinat de Imad. Sa place est restée vide et je sentais qu’il fallait que je me rende dans ce gymnase à Toulouse où Imad a été assassiné ». Les traces de sang de son défunt fils sont encore là. Les voir “était très dur, commente-t-elle, elles ont séché sur le ciment”. Elle s’efforce à grand peine de les nettoyer, de les laver. C’est là où elle fait le serment de rester debout pour lui jusqu’à son dernier souffle, car “il est mort debout. Et pour qu’il continue à vivre à travers moi”, raconte-t-elle.
Elle se rend, également, au quartier des Izards,là où habitait Mohamed Merah, pour savoir, relate-t-elle “qui il était et pourquoi il a tué mon fils”. Elle poursuit : “Il y avait un groupe de jeunes à qui j’ai posé la question deux fois avant que l’un deux ne finisse par répondre « mais madame, Mohamed Merah c’est un martyr. Il a mis la France à genoux. Vous ne regardez pas la télé ? Vous ne lisez pas les journaux ? Vous n’êtes pas d’ici madame ?” Le sang glacé, elle rétorque qu’un martyr n’assassine pas gratuitement 7 victimes, dont la première est sa chair. Les jeunes l’encerclent dès qu’elle finit sa phrase.
Alors qu’elle pensait qu’ils allaient attenter à sa vie, ils saluent son courage d’être venue dans un tel quartier fermé, isolé. Puis ils l’invitent à le regarder les yeux ouverts en martelant : “La république nous a abandonnés, nos parents ne veulent pas de nous, nous sommes perdus madame. Quand les jeunes sont enfermés,dès qu’ils sortent ils font des ravages dans la société”.
A ce point de la conversation, Latifa Ibn Ziaten leur répond : « la république c’est vous. Pourquoi penser alors qu’elle vous a abandonné ?” Une discussion s’en est suivie. Puis l’un des jeunes l’a regardée, et lui a demandé en lui tenant la main : « madame vous êtes une femme courageuse vous ne pouvez rien faire pour nous. Mais ce que vous dites avec votre coeur, dites-le à nos frères, aux jeunes, ils ont besoin de vous plus que nous”. Ce à quoi elle a répondu :“ vous êtes à l’origine de ma souffrance mais je vous fais la promesse de vous tendre la main”.
L’ENGAGEMENT POUR LA PAIX
En rentrant chez elle, la promesse faite aux jeunes ne sera pas tenue dans l’immédiat. Latifa Ibn Ziaten sombre “quelques mois dans la souffrance”, puis elle relate avoir fait deux rêves de son fils. Dans l’un d’eux, il lui demande : « Maman lève toi. Maman j’ai besoin de toi ». C’est ce qui l’a poussée à agir sur le terrain. “C’est pour cela que j’ai créé l’association “Imad pour la paix” dont l’objectif est de lui rendre hommage chaque année, afin qu’il ne tombe pas dans l’oubli et à diffuser un message du vivre ensemble pour aider les jeunes et pour que plus jamais une mère ne souffre d’un autre Mohamed Merah”.
Latifa Ibn Ziaten rappelle que son fils a refusé de se mettre à genoux. Elle traduit ce geste comme un refus de la peur. “Si on a peur des ennemis, on les laisse gagner le terrain. Ainsi, si chacun de nous donne un peu de soi à la société, on arrivera à combattre l’horreur et le terrorisme. L’Etat ne peut pas combattre seul. C’est aussi à nous d’améliorer le monde avec l’éducation, avec nos valeurs, avec le respect, avec la dignité, avec notre foi qui nous aide également”.
Ainsi elle préconise le travail sur la paix, sur le pardon, sur l’amour qu’elle considère oublié dans certaines familles : “ un enfant qui me dit « madame serrez moi dans vos bras, j’ai besoin de vous, vous êtes ma deuxième mère», c’est un enfant qui grandit sans amour. Quand on fonde une famille on est responsables de nos enfants”.
LE PARDON MAIS PAS L’OUBLI
Elle commence son action, en témoignant à Toulouse. Là où Imad a été assassiné. Puis elle sillonne la France, le Maroc, la Chine, le Canada, l’Inde, les pays arabes, les Etats-Unis, l’Afrique.
Puis, naturellement, au vu du soutien royal pour enterrer Imad au Maroc et rendre hommage à sa mémoire, elle initie une course de la paix à M’diq, qui deviendra un rendez-vous annuel, hormis les deux ans de crise sanitaire. Latifa Ibn Ziaten explique qu’il s’agit d’un véritable marathon de jeunes car ils sont l’avenir d’un pays. Ils “courent tous avec Imad, pour la jeunesse et la paix”. Les marathoniens diffusent à travers cette course un message du vivre ensemble, de tolérance et d’amour. À travers l’association, Latifa Ibn Ziaden explique initier la jeunesse à ce message et travailler avec les parents sur l’éducation : “je pense que l’éducation s’est arrêtée dans certaines familles qui pèchent par manque de présence et d’amour. Apprendre les valeurs aux enfants, c’est le devoir de chaque mère et de chaque père”.
Latifa Ibn ziaten insiste sur le fait que “chaque enfant a besoin d’un cadre d’un dialogue, d’un modèle, d’amour de ses parents et l’apprentissage de valeurs pour grandir et trouver sa place dans la société”.
A la fin de chaque marathon, Latifa Ibn Ziaten confie inaugurer une nouvelle école : “Cette année, on a inauguré une petite maternelle à Moulay Abdessalam Ibn Machich. C’était le 12 mars. On l’a peinte, on a installé le mobilier et d’autres matériels nécessaires à son fonctionnement”.
Outre l’hommage, le marathon et les témoignages de par le monde, Latifa Ibn Ziaten initie chaque année des projets éducatifs : “Je ramène des jeunes de France au Maroc, j’installe des bibliothèques, des salles d’informatique et autres ateliers dans les établissements scolaires. Ces jeunes de France, sont issus des quartiers difficiles comme de la classe moyenne. Par comparaison, ils se rendent compte de leur chance d’avoir à disposition des structures scolaires qu’ils boudent dans leur pays. En travaillant sur des projets au Maroc avec les jeunes, ces derniers affirment, à la fin de chaque projet, qu’ils ont grandi avec l’association Imad”.
Grandir c’est le but que Latifa Ibn Ziaten recherche. C’est ce sentiment qui confirme la réussite de son action, en mélangeant des jeunes issus de différents milieux. C’est également ce qui lui permet de continuer son combat de lutte contre la déperdition scolaire et pour le vivre ensemble car « aujourd’hui j’ai perdu un fils mais j’ai beaucoup d’enfants », certifie-t-elle.
L’APPEL DE LATIFA IBN ZIATEN
Aujourd’hui, Latifa Ibn Ziaten souligne que “l’hommage grandiose des dix ans à la mémoire de Imad c’est grâce à Sa majesté. Les photos parlent d’elles-mêmes. Beaucoup de monde, d’ici et d’ailleurs, s’est déplacé, personnalités comprises. Au cimetière, j’avais la sensation de marcher sur du «coton» j’étais très contente et triste à la fois”.
Latifa Ibn Ziaten témoigne fièrement qu’il y a dix ans, alors qu’elle se sentait “perdue suite au traitement de la mémoire de son fils et de sa famille les premiers jours après le 11 mars 2012 par les autorités judiciaires françaises, au cours d’une émission radiophonique, un journaliste lui a certifié que le Maroc n’oublie jamais ses enfants”. Cette dame bi-nationale anéantie par la souffrance et l’humiliation, qui a quitté le Maroc à l’âge de 18 ans, n’oublie pas la justesse de cette assertion qui lui est prouvée au quotidien depuis le jour du drame.
C’est ce soutien, au fil des ans pour l’organisation des événements et leur sécurité qui lui a permis de ne pas baisser les bras : “c’est pour ça que je me dois de faire chaque hommage au Maroc. C’était la volonté de Imad d’être enterré au Maroc. Il aimait le Maroc. Et c’est mon pays d’origine”.
La crise sanitaire a permis à Latifa Ibn Ziaten de passer une année entière à Mdiq. Cette année au Maroc lui fait prendre conscience que “les jeunes ont besoin qu’on vienne vers eux et qu’on les valorise”. Elle demande aux autorités sur place un local à des fins éducatives. On lui en propose un qu’elle loue au centre de Fnideq. Aujourd’hui celle que l’on nomme “mère-courage” de par le monde lance un appel aux Marocains pour l’aider à l’aménager comme centre de formation professionnelle pour les jeunes et comme centre de remise à niveau et de soutien scolaire, “car seule, je ne pourrais pas”.
Elle explique que la mise en fonction du centre nécessite des rénovations importantes. Elle en assume le loyer, mais dit avoir besoin d’aides supplémentaires. Elle lance un appel en ce sens : “Aidez-moi à travailler au Maroc. J’ai cette capacité, j’ai cette force en moi. Ce que je donne en France je voudrais le donner au Maroc”.