Le Maroc, durement frappé par une sécheresse prolongée, enregistre une baisse historique de sa production de blé et augmente ses importations, notamment depuis la mer Noire. La dépendance croissante aux céréales étrangères pose des défis majeurs, alors que le secteur agricole peine à faire face aux aléas climatiques.
La sécheresse persistante qui affecte le Maroc depuis plusieurs années a profondément bouleversé le secteur agricole, avec des répercussions particulièrement sévères sur la production de blé. Selon le département américain de l’agriculture (USDA), le royaume devrait importer un volume record de 7,5 millions de tonnes de blé au cours de l’année commerciale 2024-2025, un bond significatif comparé aux niveaux habituels où la production nationale couvrait près de 50 % de la consommation.
La part de la production nationale dans l’approvisionnement total a chuté à 5 %, un niveau alarmant qui met en lumière la vulnérabilité croissante du Maroc face aux changements climatiques. “Les agriculteurs sont dans une situation critique, et sans pluies abondantes pour la prochaine saison, beaucoup pourraient abandonner la culture du blé”, a déclaré un négociant local.
Réorientation des sources d’approvisionnement
En raison de cette baisse drastique de la production, le Maroc diversifie ses sources d’importation, privilégiant désormais le blé russe, qui a représenté plus de 700 000 tonnes entre juillet et novembre 2024. À titre de comparaison, les importations françaises, historiquement dominantes, ont chuté à moins de 300 000 tonnes sur la même période, contre 1,2 million de tonnes l’année précédente.
La mauvaise qualité de la récolte française, avec des niveaux de protéines et un poids spécifique insuffisants, a fortement réduit son attrait sur le marché marocain. Cette situation a permis à la Russie d’occuper une position dominante, tandis que les importations en provenance d’Ukraine, historiquement un fournisseur majeur, reprennent lentement avec 145 000 tonnes déjà achetées cette année.
Avant le conflit en mer Noire qui a commencé en 2022, l’Ukraine fournissait près de 30 % des céréales importées par le Maroc. Les défis liés à l’assurance des navires en provenance de cette région ont initialement favorisé les exportations françaises, mais la situation s’est progressivement normalisée, facilitant les flux en provenance de la mer Noire.
Selon les données de Platts, le prix du blé russe (12,5 %) était évalué à 234 dollars la tonne le 11 décembre, tandis que le blé français (11 %) atteignait 245,75 dollars. Le blé ukrainien (11,5 %) se positionnait à 228 dollars, renforçant sa compétitivité sur le marché marocain.
Un système d’importation flexible
À la différence d’autres pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, où les importations sont strictement contrôlées par l’État, le Maroc adopte un système plus flexible, permettant aux importateurs privés de s’approvisionner librement. L’Office national interprofessionnel des céréales et des légumineuses (ONICL) intervient pour compenser la différence entre les prix moyens d’achat et un prix de référence fixé à 270 dirhams (environ 27 dollars) par tonne.
Ce mécanisme permet de maintenir le prix du pain traditionnel à un niveau accessible, fixé à 1,20 dirham l’unité. Cependant, seuls 10 % de la production totale de farine bénéficient encore de cette subvention, ce qui limite son impact sur l’ensemble de la population.
Le marché du maïs : une dépendance croissante
Outre le blé, la demande marocaine en maïs continue de croître, notamment en raison des besoins en alimentation animale. Le Maroc, bien que modeste consommateur de maïs à l’échelle mondiale, figure parmi les 20 premiers importateurs, avec un volume attendu de 2,7 millions de tonnes pour la saison actuelle, en hausse de 1,5 %.
Le Brésil demeure le principal fournisseur, représentant 39,5 % des importations sur la période de janvier à septembre 2024, suivi par l’Argentine (40,2 %) et les États-Unis (10,9 %). Les prix compétitifs du maïs brésilien (217,70 dollars la tonne FOB Santos) et argentin (211,02 dollars la tonne FOB Up River) favorisent cette tendance. Cependant, l’impact de la sécheresse sur l’élevage marocain, en particulier pour le bétail destiné à la viande rouge, a légèrement réduit la demande en maïs pour les ruminants. “Nous importons des animaux pour les abattre rapidement, ce qui diminue les besoins en alimentation animale”, a expliqué un acheteur local.
Contrairement à l’Europe, où les moulins à aliments peuvent facilement substituer le maïs par du blé fourrager en cas de variations de prix, les structures marocaines restent fortement dépendantes du maïs en raison de sa disponibilité et de sa stabilité relative. Cette rigidité est particulièrement marquée dans l’industrie avicole, où le maïs reste indispensable pour répondre aux besoins nutritionnels spécifiques des volailles. Alors que les importateurs marocains finalisent leurs achats pour 2024, l’attention se tourne vers la récolte argentine, avec des expéditions prévues dès janvier. Les décisions d’achat dépendront cependant de la compétitivité des prix.
Face à une dépendance accrue aux importations et à un climat incertain, le Maroc poursuit des initiatives ambitieuses pour moderniser ses systèmes d’irrigation et sécuriser au moins un million d’hectares d’ici 2030. Mais ces efforts pourraient ne pas suffire à court terme, et les acteurs du secteur agricole appellent à des solutions plus immédiates pour réduire la vulnérabilité alimentaire du pays.