Plus de 40 jours se sont écoulés depuis la disparition de l’écrivain marocain Driss El Khoury. Le défunt nous quitte et voici une encre qui s’évapore, une plume qui sèche et une flamme qui s’éteint. Ce fut la fin d’une vie malheureuse où l’enfant se confond avec l’homme et où l’acte et le mot se fusionnent. Un artiste du verbe qui écrit comme il respire mais aussi comme il étouffe, tout ça dans un monde qu’il ne choisit pas mais qu’il nourrit avec le souffle de son âme artiste, créatrice et éprise de justice et de changement.
De pseudo en pseudo (El Khoury, Ba Driss..), l’auteur était en quête de confirmation de son être et de son art, autant d’identifiants pour une seule personne, celle qui allait puiser dans le monde du mot en lisant et relisant tout ce qui lui venait à la main dès son très jeune âge. Un autre défi s’impose, celui cette fois, de l’autodidacte qui, en manque de moyens de scolarité, quitte l’école avec beaucoup de chagrin et de frustration. Les lectures précoces et multiples de Driss El Khoury finissent par lui inculquer l’art de l’écriture. Il commence par la poésie qu’il délaisse rapidement pour foncer dans le monde du journalisme en tant que correcteur d’abord au journal ‘’Al Alam’’.
Son talent d’écrivain lui permet par la suite de devenir chroniqueur dans plusieurs journaux arabes et nationaux, dont ‘’Almouharir’’ et ‘’Al Itihad lichtiraki’’. Et c’est ainsi que le regretté traça son chemin vers d’autres horizons de l’écriture et devint essayiste, romancier et nouvelliste redoutable et distingué: ‘’Une plume alerte, une voix authentique; celle des petites choses, des petites gens. Toute son œuvre est une ode à la liberté ; celle d’écrire, de respirer, d’être ce qu’on est et rien d’autre’’, disait de lui en 2019, Karim Boukhari; rédacteur en Chef de la revue ‘’Zamane’’.
Et c’est ainsi que feu Ba Driss (surnom qui plaisait tant à ses amis) devint l’auteur d’un grand nombre de nouvelles, d’essais et de recueils dont ‘’La tristesse dans la tête et dans le cœur’’ 1973, ‘’Ombres’’ 1977, ‘’Les Commencements’’ 1980, ‘’Les jours et les nuits’’ 1980, ‘’La ville de poussière’’ 1988, et ‘’ Joseph dans le ventre de sa mère’’ 1994. Une trace écrite de grande importance pour le patrimoine littéraire marocain mais qui a eu très peu d’attention et de critique de son vivant, un manque de reconnaissance qui a dû affecter l’âme artiste, créatrice et surtout sensible de l’écrivain: ‘’Te voilà à un âge très avancé, alors que te reste-t- il avant de disparaître de manière définitive? Il n’y a plus personne à tes côtés, chacun s’occupe de sa personne et de sa famille pendant que tu croupis dans ton épreuve psychologique et physique, ruminant tes douleurs en silence’’, écrit-il dans une lettre à lui même où il résume son mal être et sa souffrance en tant qu’homme en grande détresse morale et physique.
L’écrivain en lui taisait aussi son amertume d’esprit errant et solitaire qui avait mis toute sa colère dans cette lettre avant de se retirer et de s’isoler pour de bon. L’objet de ce 40ᵉ jour de son décès n’est pas tant de formuler uniquement un hommage élogieux à l’écrivain qui le mérite amplement, mais de faire raisonner son œuvre avec les problèmes posés à la littérature contemporaine. De cela Ba Driss avait une vision profonde et lucide qu’il formulait pour dire que l’écriture c’est creuser davantage dans le fond de toutes les misères qui hantent les classes défavorisées, dont il appartenait.
C’est un contact quotidien avec la vie. Une responsabilité. L’histoire retient, par ailleurs, de la vie de Ba Driss, celle d’un vagabond qui a tant voyagé, côtoyé les gens de tout bord, rôdé dans les Cafés à la rencontre d’ ‘’amis’’ qui se plaisaient à l’entendre médire, critiquer, faire des commérages malveillants sur telle ou telle personne, puis le laisser à son sort prendre son taxi habituel qui le menait chez lui. Le regretté de la littérature marocaine a vécu aussi tant de déceptions et de contrariétés familiales, sociétales et même professionnelles qu’il a pu surpasser avec cet acharnement d’inscrire ses œuvres dans le catalogue des écrivains de haute notoriété.
Le monde extérieur ne lui convenait plus, non plus. Il le critiquait ouvertement et s’en éloignait chaque jour encore plus. et c’est dans son isolement qu’ il nous quitte laissant derrière lui une œuvre orpheline qui a beaucoup apporté à la littérature marocaine et qui mérite d’être prise plus au sérieux par les acteurs de la vie culturelle du pays.