Lors de la Conférence de Moscou sur la sécurité, le chef d’état-major de l’armée algérienne, Saïd Chengriha, a accusé le Maroc «d’attiser les tensions au Maghreb et au Sahel à travers le conflit au Sahara». Oscillant simplement entre l’odieux et l’inacceptable, il a également pointé du doigt «l’escalade militaire et l’ingérence étrangère dans ce dossier». Dans un chœur mal réglé, Chengriha a chanté à une baguette abîmée.
Les dirigeants algériens s’encombrent de questions marocaines alors que leur pays brûle et décline du triple point de vue militaire, économique et politique. Circonlocutions inutiles, considérations, mi-captieuses, mi-utilitaires, hostilité envers Rabat : le scénario est déjà connu. Fait notoire, toutefois, la marginalisation croissante du ministère des Affaires étrangères (MAE) au profil de l’appareil militaire, dépité face à son incapacité de contrôler les frontières sud du pays, de limiter les marges de manœuvre du terrorisme transnational dans la région et de circonscrire l’ampleur de la casse pour le Polisario.
Jeudi 24 juin, lors de la Conférence de Moscou sur la sécurité internationale, le chef d’état-major de l’armée nationale populaire (ANP) s’est répandu en effusions aussi rebattues qu’accoutumées; accablant le Maroc, usant même de si peu de ménagements pour dissimuler son antipathie envers le royaume. La scène est dressée, l’affiche posée, le décor en place, l’audience au complet, la salle faite, claque et cabale, parce qu’il faut qu’il y ait de la surenchère. Saïd Chengriha commence par un dithyrambe à la gloire de l’amitié algéro-russe avant d’évoquer amèrement l’opération dans la zone-tampon de Guerguerat, à l’extrême sud du territoire du Sahara, qui a permis de rouvrir une route bloquée vers la Mauritanie voisine. Il n’a pas manqué d’énumérer les affronts qu’il devait dévorer en silence ces derniers mois ; il n’osait pas en tirer la conclusion qui s’offrait d’elle-même à l’esprit, puisqu’il n’a qu’un thème tout fait d’avance : le Maroc.
Le maquisard algérien, détenteurs du pouvoir dans son pays, poussé à bout et exposé à des extrémités trop rigoureuses, a refusé de condamner les provocations du Polisario et de ses milices qui se sont introduits dans la zone de Guerguerat en y menant des actes de banditisme, bloquant la circulation et harcelant continuellement les observateurs militaires de la Minurso, la force d’interposition de l’ONU. Il a également évoqué «les ingérences étrangères» dans le dossier su Sahara alors qu’Alger soutient, finance et arme les milices séparatistes. Pour Chengriha, l’intervention marocaine à Guerguerat a sonné le glas du cessez-le-feu signé en 1991 sous l’égide de l’ONU. Voilà les morceaux destinés à la consommation intérieure en Algérie.
Il s’agit, pour ainsi dire, d’une Algérie sans relais diplomatiques solides dans les institutions internationales (Organisation des Nations unies, Union africaine) pour faire prévaloir les objectifs de sa politique antiterroriste, d’une Algérie dont la puissance financière et économique que lui apportent ses ressources naturelles a été réduite à néant, d’une Algérie dont l’importance géostratégique a été réduite à la portion congrue. Une Algérie, finalement, qui ne cesse de donner des preuves plus éclatantes et moins équivoques de son zèle pour les intérêts et même pour les désirs d’une milice accusée de violations de droits humains.
Le mal famé Saïd Chengriha, faute de mieux et en désespoir de cause, se borne maintenant à demander à ses rares alliés d’adopter les thèses hostiles à Rabat. En visant le Maroc, celui-ci omet les véritables menaces qui pèsent sur son pays. La propagation de groupes armés de l’est au sud de l’Algérie et les réseaux de trafics de drogue à l’ouest compromettent la garantie d’un double contrôle des frontières. Les recompositions politiques fragiles et le vide institutionnel chaotique dans l’entourage de l’Algérie plombent la stabilité du pays dont les vulnérabilités du front interne se multiplient, avec la crainte d’une contestation sociale et politique élargie et des réactions internationales qui condamnent un ordre répressif implacable.
Saïd Chengriha a appelé enfin le Maroc et les séparatistes «à entrer en négociations afin de régler l’affaire du Sahara». Si l’on exclut ses divagations panachées de rodomontades ; ce serait toute la substance de ses déclarations à retenir. L’Algérie a plus de 6 500 km de frontières avec sept pays, dont certains sont en proie à des conflits. La politique algérienne concernant le Sahel pâtit d’un processus contigu et hermétique, mais également d’un véritable chaos de paradigme. Historiquement, Alger a défendu le principe de non ingérence et de souveraineté absolue, en s’interdisant d’intervenir en dehors de ses frontières quelles que soient les circonstances, désormais, elle se trouve en prise avec la réalité du terrain d’une part, et certaines de ses approches d’autre part. Les menaces qui pèsent sur le Sahel sont asymétriques, transfrontalières, changeantes, déterritorialisées, et la nécessité d’un plus grand engagement régional de l’Algérie dans la région doit se faire sans s’attaquer au Maroc.
Pour le moment, seul Rabat peut se prévaloir d’une longue expérience de discussion entre groupes non-étatiques et gouvernement central au Libye et au Mali. Il demeure d’ailleurs un médiateur de référence pour les différents protagonistes dans ces pays. Les troupes marocaines restées déployées dans la zone démilitarisée de Guerguerat, sous le regard d’une force d’interposition des Nations unies, afin de sécuriser le trafic routier sur cet axe commercial menant vers l’Afrique de l’Ouest, une opération saluée à l’échelle internationale.
Lors d’un échange téléphonique avec le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres en novembre 2020, le roi du Mohammed VI a assuré que Rabat était attaché au cessez-le-feu mais demeurait «fermement déterminé à réagir, avec la plus grande sévérité, et dans le cadre de la légitime défense, contre toute menace à sa sécurité». Une conduite marocaine toute tracée. Quant à Chergriha; il gagnera à se souvenir que les alliances idéologiques ne sont pas éternelles, et qu’elles périssent par force majeure quand cesse l’intérêt commun qui les a fait conclure.