Le 6 janvier courant, le marché obligataire a fait face à un véritable tsunami qu’est la hausse vertigineuse des taux d’intérêts engendrant une chute brutale de la valeur dudit marché et causant des pertes colossales aux épargnants (caisses d’épargnes, caisses de retraites, compagnies d’assurance…).
Si en toile de fond demeure la question constante du financement du Trésor pour couvrir les dépenses, le budget de l’État étant en déficit permanent, la hausse d’intérêts et ce qu’elle sous-tend est d’une actualité brûlante.
Rappelons que le besoin de financement permanent du Trésor est la conséquence de l’insuffisance chronique des ressources fiscales et donc de l’incapacité du système fiscal à couvrir dans des proportions raisonnnables les dépenses de l’État. Questionné à ce propos, Najib Akesbi rappelle que dans la loi de Finance 2023, l’Etat va devoir emprunter 129MMDHS, un montant avoisinant 40% des ressources fiscales. De ce fait, pratiquement un tiers des dépenses vont être couvertes par l’emprunt. La pratique courante au besoin de financement sur le marché intérieur est que l’Etat émetdes bons du Trésor.
Dans ce contexte, et n’étant pas en mesure de s’adresser au marché international, dont les conditions ne sont pas favorables au Maroc pour emprunter (en 2022, nous n’avons pas réussi à aller sur le marché international car notre note a été dégradée par les agences de notation internationales), l’État a été acculé à se tourner vers le marché intérieur et par là même à recourir aux financements dits innovants.
Tout d’abord les faits :
L’origine de l’évènement du 6 janvier remonte à l’année dernière. Avec la hausse des prix et del’inflation, les investisseurs institutionnels (banques, compagnies d’assurance, caisses de retraites …), lesquels traditionnellement acquièrent les bons du Trésor, ont estimé que l’Etat devait augmenter la rémunération des bons du Trésor (qui étaient à des niveaux autour de 2%). Ce à quoi le Trésor avait opposé un refus.
En ont résulté une baisse de la demande et surtout un déplacement vers les « financements innovants » qui étaient autrement mieux rémunérés que les bons du Trésor (autour de 6%). Najib Akesbi, questionné à ce propos relève qu’il en ressort une impression que deux départements du même ministère des Finances pratiquent des politiques diamétralement différentes et se concurrencent sur le marché : au moment où le Trésor refusait de rémunérer les bons à plus de 2%, la direction du Budget qui, elle, gère les financements innovants, concédait 6%, soit pratiquement le triple. Ainsi, lorsque le 6 janvier avec l’accroissement évident des besoins du Trésor, les taux obligataires augmentent fortement, d’un coup, ils engendrent :
- Une dépréciation des actifs et une perte monumentale pour les épargnants,
- Un cout de l’endettement cette année beaucoup plus élevé que l’année dernière,
- et troisième conséquence, et contre toute attente, l’intervention de Bank Al Maghrib (BAM) sur le marché obligataire secondaire sortant de son orthodoxie absolue que lui confèrent ses statuts. Ainsi la semaine dernière elle a acheté presque 16MMDHS en bons du Trésor et il est prévu qu’elle aille jusqu’à 25MMDHS, explique Najib Akesbi.
BAM contribue de ce fait à éponger le marché et donc d’une certaine façon achète les créances faiblement rémunérées aux caisses de retraites, aux banques et compagnies d’assurance pour leur ouvrir la possibilité d’acheter au Trésor les nouvelles obligations. « BAM socialise les pertes », en conclut N. Akesbi.
Il est par ailleurs attendu que la banque centrale relève une troisième fois le taux directeur. Force est de reconnaître que si le relèvement des taux directeurs est de baisser la demande pour diminuer ou juguler l’inflation, alors cette mesure est inefficace. En effet, les deux dernières hausses n’y sont pas parvenues, pour la simple raison que l’inflation au Maroc n’est pas une inflation interne, mais une inflation importée.
Le relèvement des taux directeurs, explique Najib Akesbi, se traduit simplement par une hausse des crédits aux entreprises et en particulier aux PME.
La question qui demeure est comment donc lutter contre l’inflation notamment dans un contexte international qui n’est pas à l’abri de nouvelles crises, lesquelles engendrent la flambée des cours des matières premières et alimentaires et l’inflation ?
Il est clair que la hausse des taux directeurs n’est pas une action de lutte contre l’inflation, ce n’est qu’un palliatif, rappelle Najib Akesbi : « Pour sortir de l’engrenage de la dette il faut réduire le besoin d’endettement. On ne peut le faire qu’en augmentant les ressources propres, fiscales principalement. ».
En effet, le Maroc ne dispose pas de rente énergique ou de ressource quelconque. Notre fiscalité puisqu’inefficace et inéquitable finance à peine le taux d’autosuffisance fiscale de 55%. Ainsi fatalement le Maroc reste dans un besoin d’endettement énorme.
Lorsqu’on sera en situation d’avoir un système qui permet de collecter des ressources pour financer une proportion raisonnable des dépenses publiques à 75-80%, ce qui était le cas dans les années 90, où le Maroc a même atteint un taux de 85%, conclut Najib Akesbi, l’endettement ne sera pas à ce moment-là aussi contraignant qu’il l’est maintenant qu’il soit interne ou externe.
Ainsi, la véritable alternative reste de réformer le système fiscal pour améliorer ce taux de couverture.