L’audace est une vertu quand elle ne s’allie pas au ridicule. Cette notion semble avoir échappé à Abdelmadjid Tebboune, candidat à la présidentielle en Algérie, lorsqu’il a jugé judicieux de soutenir que des excuses de la part du Maroc et du Roi Mohammed VI envers l’Algérie sont une condition sine qua none pour la réouverture des frontières entre les deux pays, dans un entretien au quotidien français L’Opinion publié dimanche.
Décortiquons le discours de M. Tebboune, à commencer par ce qu’il estime « un rappel des faits ». M. Tebboune a ainsi estimé que le président Zeroual a fermé les frontières entre les deux pays, après que le Maroc ait accusé « à tort » des Algériens d’être derrière les attentats d’Hotel Asni à Marrakech, ajoutant que « le Maroc a longtemps été dans le déni face au terrorisme national ». Des propos qui frôlent le ridicule lorsque l’on se met les données de l’enquête menée à ce propos sous les yeux : les terroristes étaient bel et bien des Algériens ayant grandi en France. Précisons que l’enquête a été menée sur les deux plans national et international, les données sont donc loin d’être biaisées, et le Maroc n’avait aucune raison de jeter son anathème sur l’Algérie pour l’accuser à tort d’un crime d’une telle ampleur et d’une telle horreur.
Dire que le Maroc a été dans le déni face au terrorisme est tout aussi infondé puisque, heureusement pour nous, et fort malheureusement pour nos frères Algériens, notre Histoire n’est pas entachée d’une « décennie noire ». Ce traumatisme a été du sort de l’Algérie pendant plus de 10 années, où viols, décapitations, opérations kamikazes ont été le lot quasi quotidien de la société algérienne des années 1990. Les seuls attentats qui ont été perpétrés au Maroc ont été sporadiques, et l’écrasante majorité de ceux prévus a pu être évitée grâce à une politique anti-terroriste exemplaire.
Est-il également nécessaire de creuser le fossé encore plus pour nos voisins algériens en leur rappelant qu’il ont abrité Iyad Ag-Ghali, le chef de la plus puissante alliance jihadiste au Sahel, qui a été lié aux luttes de pouvoir à Alger et qui s’est longtemps réfugié dans la localité algérienne de Tin Zaouatine en 2018, et a même été hospitalisé dans un établissement algérien de Tamanrasset en 2016 après avoir échappé à des raids de l’opération Barkhane.
Rajoutant une couche, M. Tebboune a affirmé « si Rabat présente des excuses et s’engage publiquement à ne plus avoir ce comportement, on pourra rouvrir la frontière ». Selon la version des faits du candidat à la Présidentielle, le Maroc n’aurait pas dû expulser les Algériens sans carte de séjour, de quitter le pays après les attentats. Une décision totalement légitime de la part du Royaume qui a découvert suite à son enquête que 4 groupes comprenant 7 personnes d’origine algérienne devaient commettre des attentats le même jour à Tanger, Fès, Casablanca et Marrakech, et qu’il a évité le pire vu que seul un terroriste est passé à l’action. Instaurer le visa pour les Algériens était une mesure sécuritaire qui s’imposait à l’époque. Le Maroc n’a certainement pas à s’excuser d’avoir protégé ses citoyens et son territoire. Et puis si l’on devait se fier à l’Histoire pour se victimiser, le Maroc pourrait également évoquer comment le Président Boumedienne a chassé tous les Marocains d’Algérie en l’espace de 48 heures, en 1975.
En citant le fait que 5.000 Marocains ont rejoint les rangs du djihadisme au Moyen-Orient, en affirmant que peu sont les Algériens dans ce cas, M. Tebboune omet clairement les ressortissants d’origine algérienne, dont beaucoup ont été inclupés pour djihadisme dans divers pays européens et qui croupissent dans les prisons françaises pour ce même motif. Ceux-ci ne comptent pas parmi les Algériens, pour M. Tebboune, semble-t-il.
Mais pourquoi le Maroc devrait demander des excuses exactement ? Ne serait-ce pas le contraire plutôt ? A ce que l’on sache, nous n’abritons pas le polisario, nous ne le finançons pas et nous ne commettons pas les horreurs les plus atroces dans les camps de Tindouf non plus. Malgré toutes les manigances algériennes autour du conflit du Sahara, le Maroc a toujours été le premier à faire des concessions afin de renouer avec sa voisine algérienne, bien que ses positions fûrent et restent toujours légitimes aux yeux de la nation comme aux yeux de la communauté internationale. La contrainte du visa a été abolie par le Maroc en premier, en 2004, puis l’Algérie a suivi en 2005. Le Roi a réitéré à deux reprises sa main tendue envers l’Algérie afin de régler le conflit du Sahara sous les meilleurs auspices. Le Maroc n’a absolument pas à se plier à ces jeux de dînette politique qui sentent la victimisation à plein nez.
L’Algérie n’est décidément pas prête de sortir du cercle déni duquel elle entoure son histoire politique. Les perspectives de changement s’annoncent faibles, même avec les présidentielles théâtrales orchestrées par le régime, surtout que plusieurs candidats ne sont que les pantins de ces derniers. Ce même Abdelmadjid Tebboune, qui se présente sous une casquette indépendante et dont la proximité avec Gaïd Salah ne relève du secret pour personne n’a absolument pas de crédibilité parmi les rangs des électeurs. Ou voulait-il juste se démarquer des candidats – ses rivaux- qui promettent d’oeuvrer à la réouverture des frontières avec le Maroc s’ils étaient élus dans une logique électoraliste opportuniste ? Mais rappelons-lui que sa légitimité politique ne viendra jamais en étalant la haine entre deux peuples qui, comme il n’a pas manqué de le mentionner, « s’adorent ».
En accordant cette interview à un quotidien français, M. Tebboune a vainement tenter de détourner l’attention du fiasco qu’est sa campagne électorale entâchée par la démission inexpliquée de son directeur de campagne, Abdellah Baali, puis l’arrestation de l’homme d’affaires Omar Alilat, présenté comme un proche du candidat. Faire de la propagande médiatique pour satisfaire le régime ne lui garantira surement pas la légitimité électorale puisque c’est à la rue que revient le choix, et non pas au régime, cette fois-ci. D’ailleurs la liberté d’expression ne convient au régime que quand elle le sert, sinon, c’est censure, à l’instar des 4 journalistes du quotidien Le Temps d’Algérie, qui vient d’être limogés après avoir critiqué la Une de ce journal connu pour être un joujou du pouvoir. Espérons aussi pour lui qu’il a bien répété ce que papa Gaïd Salah lui a dicté, sinon, gare aux représailles !
Car pour savoir parler à la presse, encore faut-il fréquenter celle indépendante, qui ne peut être aux ordres. Preuve en est, le quotidien français a laissé Tebboune assumer devant tous ses paroles sans le couper ni les arranger, dans une loghorrée dont l’étendue du ridicule et des contrevérités n’a d’égale que la large audience rompue à l’exercice, qui est celle des sites électroniques.