Depuis hier soir, les journalistes d’Akhbar Al Yaoum occupent leurs lieux de travail, réclamant salaires et droits. Et pour cause, depuis plusieurs mois, le titre est confronté à une crise qui affecte les divers segments qui la composent. Le journal, dont la santé financière, le tirage et la diffusion n’ont cessé de décroître, paye les frais d’un chaos managérial sans précédént. Cet état de crise est donc chronique, sans solution à l’horizon.
15 octobre, dans la soirée. La cessation de paiements de salaires depuis trois mois pousse les journalistes à protester. Colère, revendications ; appropriation collective et symbolique des locaux du titre en crise. Une forme d’action qui a permis de montrer efficacement ce qui est en jeu et en conflit. Ils ont dressé une liste non exhaustive des multiples interrogations qui les assaillent, notamment celles concernant la trésorerie du journal et son avenir à court-terme.
Au moment de son lancement avant dix ans, Akhbar Al Yaoum s’est positionné comme un journal d’opinion. Dans un contexte de crise économique consécutif à l’emprisonnement de l’ancien directeur du quotidien, accusé de «traite d’êtres humains», «abus de pouvoir à des fins sexuelles», «viol et tentative de viol» et à cause d’un premier conflit interne lié aux tensions entre un personnel soucieux de conserver ses droits et une direction souhaitant s’engager à défendre Toufik Bouachrine, la parution de Akhbar Al Yaoum se trouve en danger.
Début avril 2018, le journal augmente son prix de vente de 1 dirham. Mais l’échec commercial et financier continue. Contraint de renouveler son écriture et son habillage, le changement de la formule du journal n’est pas suivi par le lectorat ; des lecteurs disparaissent et les pertes augmentent. Rien ne suffit pour redresser le bilan comptable. Depuis 2012, l’identité médiatique du quotidien se construit à partir de deux racines : la subjectivité se dégageant de ses titres et l’engagement de ses rédacteurs en faveur des islamistes se reflétant dans les contenus des articles.
Quelques mois après l’incarcération de Toufik Bouachrine et la nomination d’un nouveau directeur général, les journalistes de Akhbar Al Yaoum s’engagent contre la suppression d’une partie des effectifs et la réduction des salaires. Le renforcement d’une version en ligne du journal n’arrange rien à la situation. Au lieu de participer à une logique de rationalisation des coûts de production, la direction s’embourbe dans les péripéties de l’affaire de Bouachrine et les honoraires exorbitants de son avocat britannique Rodney Dixon. Mise à part la masse salariale, l’investissement consacré à l’impression et à la diffusion du titre n’est plus pris en charge, et un ralentissement, voire une chute, de la croissance des recettes publicitaires a dégradé la rentabilité du titre.
En septembre 2018, Toufik Bouachrine ne trouve comme proposition pour garantir la mensualisation des salaires et de leurs versements que de pousser les journalistes à accepter une rémunération réduite de 20 %. En février 2019, Akhbar Al Yaoum vit au rythme d’une crise retentissante. Les salariés sont tiraillés entre les intérêts propres du titre en tant qu’entreprise de presse et entre la réalité économique qui leur est opposée. La ligne éditoriale fixée par la nouvelle direction a été tout autant critiquée que ses choix gestionnaires. Deux faits d’actualité plongent Akhbar Al Yaoum dans la tourmente de la surenchère informationnelle. Le premier l’éloigne de la vérification des faits. En effet l’affaire de son ex-directeur le conduit à suivre l’insincérité et à déroger aux principes fondamentaux de la déontologie. D’autre part, le glissement progressif notamment en faveur d’un traitement des dysfonctionnements sociaux qui ressemble en soi à une position politique, comme la campagne de boycott qui a touché, en avril 2018, trois marques nationales.
Il y a bien une crise au sein d’Akhbar Al Yaoum. Celle-ci, est d’ordre structurel, moral, éthique, avant qu’elle soit d’ordre financier.






