Même après l’éviction brutale de Mohamed Bouzit, ex-chef de la Direction de la documentation et de la sécurité intérieure (DDSE), et celle des généraux Athmane Tartag surnommé “Bachir”, ex-coordinateur des services de renseignements ou encore de Mohamed Mediene appelé “Toufik”, ex-patron des services secrets du pays durant 25 ans, les luttes intestines au sein des services de renseignement en Algérie continuent. Le DDSE, un des instruments principaux de l’État et outil de lutte controversé en raison de ses méthodes trop souvent expéditives, gère maintenant une affaire colossale (qui lui échappe) : le scandale Brahim Ghali.
C’est un orage qui grossit en attirant à lui d’épais nuages des points les plus opposés de l’horizon, sans qu’il se dissipe : Non seulement une équipe de médecins algériens a accompagné Brahim Ghali à Saragosse, à bord d’un Gulfstream 7T-VPM médicalisé affrété par la présidence algérienne, mais il s’avère que le général Saïd Chengriha, chef d’état-major de l’armée algérienne et pilier du régime, ainsi que la présidence algérienne, les services de renseignement algériens et les autorités de Madrid, ont mis à pied toute l’opération destinée à délocaliser le chef malade du Polisario vers l’Espagne. La gestion politique de cette affaire devrait être gérée via une très courte chaîne civilo-militaire, mais elle a fini par impliquer l’appareil d’État algérien et son système décisionnel, au point de compromettre le gouvernement espagnol. Les questions qu’offre cette affaire sont graves, mais ne sont pas très nombreuses. Le cercle des hypothèses quelque peu probables, en y comprenant même des hypothèses inattendues, n’est pas long à parcourir.
Une information fuitée a fait l’effet d’une bombe et ses détails, qui commencent à transpirer, accablent le régime algérien dont le silence est interprété de mille manières, et l’expose à toute sorte d’accusations et de reproches. La Direction générale de la documentation et de la sécurité (DDSE), à sa tête le général sulfureux Noureddine Makri «multiplie les réunions d’urgence pour étudier les évolutions du dossier de Brahim Ghali. Des réunions marathons ont été organisées ces derniers temps à Alger et le général-major Mahfoud a même installé une cellule de crise pour parer à tous les scénarios dans ce dossier qui a été totalement échappé au contrôle des services secrets algériens» rapporte notre confrère Maghreb Intelligence.
Pour les services extérieurs algériens; il s’agit d’une période de troubles qui remet en question sa façon de travailler sous la pression des événements qui s’enchaînent à rythme inattendu, notamment ceux relatifs aux affaires africaines et au terrorisme. «La DDSE ne dispose jamais de doctrine d’emploi, semblant travailler par défaut comme le révélèrent les derniers échecs essuyés dans certains dossiers et le limogeage de certains de ses hauts cadres» avait déclaré une source proche du dossier à Barlamane.com.
Taupe et dissentions intestines
Mais qui a révèlé, avant son exfiltration, l’identité réelle de Brahim Ghali ? Interlocuteur estimé des dirigeants séparatistes, le patron de la DDSE ne parvient plus à contenir sa rage. «Le général-major Mahfoud, en fureur, réunit à maintes reprises tous les colonels concernés de près comme de loin par ce dossier. Il laisse éclater sa colère et passe un savon à tous ses collaborateurs. Pour Mahfoud, il y a une seule certitude : il y a une taupe au sein de la DDSE qui collabore avec les services étrangers. Mahfoud le Polisario est convaincu que son plan était bien huilé et qu’il n’y avait aucune maladresse dans les préparatifs de la DDSE pour transférer secrètement Brahim Ghali en Espagne» dévoile Maghreb Intelligence.
Brahim Ghali est cité à comparaître le 1ᵉʳ juin a confirmé le porte-parole du tribunal de l’Audience nationale espagnole, haute juridiction basée à Madrid. Le chef séparatiste doit être entendu par la justice après une plainte pour tortures déposée par Fadel Breika, dissident du Front Polisario. Selon le porte-parole de l’Audience nationale, la police a pu vérifier l’identité de la personne admise dans un hôpital de Logroño, dans le nord du pays, et confirmer ainsi qu’il s’agissait bien de Brahim Ghali. Ce dernier se trouve dans un état de santé assez délicat.
«L’affaire Brahim Ghali est en train de devenir un véritable poison pour les services algériens qui subissent, aux yeux de plusieurs observateurs avertis à Alger, une véritable humiliation. Transféré secrètement en Espagne, Brahim Ghali a été hospitalisé avec une fausse identité pour subir des soins intensifs alors que son état de santé ne cesse de se dégrader. Ce transfert en Espagne devait rester secret et aucune information ne devait fuiter sur le nouveau refuge du leader du Polisario dont les jours auraient été en danger s’il n’avait pas bénéficié d’un traitement médical sophistiqué que les hôpitaux algériens ne peuvent guère lui offrir» détaille la même source.
«La DDSE était chargée de ce dossier délicat et stratégique pour la diplomatie algérienne. Le général-major Mahfoud s’est finalement totalement planté puisqu’il aura suffi de quelques jours pour que le leader du Polisario, et protégé de l’Algérie, soit rapidement identifié et retrouvé en Espagne. Le camouflet est énorme pour les services algériens et la suite promet des rebondissements cauchemardesques» indique la même source.
La guerre ces dernières années entre les trois directions générales algériennes : la Direction générale de la sécurité intérieure (DSI), la Direction générale de la documentation et de la sécurité (DDSE) et la Direction générale du renseignement technique (DRT), rattachées à la présidence de la République sous l’appellation de CSS : Coordination des services de sécurité, a fait d’énormes ravages. Actuellement, les commentaires de la presse s’interrogent sur l’imprévisibilité de l’hospitalisation de Brahim Ghali, pour mieux mettre en cause les compétences des services algériens.
La contestation populaire lancée en 2019 a balayé non seulement Bouteflika mais aussi le coordinateur des services de renseignements à la présidence algérienne, Athmane Tartag, alias «Bachir». Après avoir été limogé et lesdits services sont passés «sous la tutelle» du ministère de la Défense. Le président déchu Bouteflika avait progressivement démantelé le DRS, organiquement rattaché à l’armée mais souvent dépeint comme État dans l’État, avant de le dissoudre fin 2015 et de récupérer le commandement d’une partie de ses services.
Juste avant, il avait limogé en 2015 le général Mohamed Mediène dit «Toufik», qui dirigeait le DRS depuis sa création en 1990 et était parfois décrit comme l’homme le plus puissant d’Algérie.