Des dizaines de milliers d’Algériens ont manifesté vendredi, rejetant l’élection du président nouvellement assermenté Abdelmadjid Tebboune alors que leur mouvement de masse a accueilli avec réticence son offre de pourparlers.
Les manifestants algériens ont rejeté, le 20 décembre, l’appel au dialogue lancé par le nouveau président, Abdelmadjid Tebboune, proclamant le départ de tous les piliers du pouvoir en place ainsi que des réformes radicales. Une foule immense a inondé les rues d’Alger, le 44e vendredi consécutif de manifestations anti-gouvernementales, un jour après que le nouvel homme de l’establishment, Abdelmadjid Tebboune, eut prêté serment à la suite de sa victoire lors de l’élection présidentielle de la semaine dernière.
«C’est vous ou nous. Nous ne nous arrêterons jamais», ont scandé des manifestants. «Je rejette ce président, et je suis contre le dialogue qu’il offre», a déclaré l’un d’eux. «Les négociations doivent conduire au départ de des hommes de l’ancien régime», a-t-il renchéri. Tebboune, 74 ans, succède au président Abdelaziz Bouteflika qui a démissionné en avril après deux décennies au pouvoir au bilan contrasté.
Ancien premier ministre qui a servi sous Bouteflika, Tebboune est considéré comme proche du chef des forces armées, le lieutenant-général Ahmed Gaid Salah, conspué par les manifestants et considéré comme le dirigeant de facto depuis le départ de Bouteflika. Après son élection, Tebboune a invité le mouvement de protestation Hirak à engager le dialogue. Il a promis de nommer de jeunes ministres et de proposer une nouvelle constitution. Mais ses déclarations ont été rejetés par le mouvement de contestation. Il a renouvelé son offre «de tendre la main à tout le monde» lors de sa cérémonie d’assermentation le 19 décembre.
Abdelmadjid Tebboune a également déclaré que la nouvelle constitution qu’il souhaite réduirait l’autorité du président et «garantirait la séparation et l’équilibre des pouvoirs». Mais les manifestants demandent des réformes profondes qui, selon eux, devraient être menées par des «institutions de transition» sans aucun lien avec les cadres de l’ancien pouvoir politique.
«Notre mouvement continuera jusqu’à ce que toutes ses demandes soient satisfaites», a déclaré Ali Salhi, un employé du géant algérien de l’énergie Sonatrach. «Il doit y avoir un changement radical du système, une transition et une nouvelle constitution. Nous avons besoin de mesures fortes», a-t-il dit, faisant écho aux commentaires d’autres militants. Des manifestants ont également investi les rues de plusieurs grandes villes, malgré un déploiement policier important pour protester contre l’élection de Tebboune, a déclaré Saïd Salhi, vice-président du groupe algérien de défense des droits humains LADDH, selon des militants locaux.
Les manifestants ont agité le drapeau national et scandé «Tebboune n’est pas notre président» et «nous continuerons nos protestations» dans le quartier central fortement surveillé d’Alger, la capitale.
Certains ont également scandé: «Les policiers sont des traîtres» tandis que d’autres ont appelé les habitants de la ville d’Oran, dans l’ouest du pays, où des arrestations ont été signalées, à continuer de marcher. Les manifestants ont défilé tous les vendredis depuis février, exigeant que toute l’élite dirigeante quitte le pouvoir, la fin de la corruption et que l’armée se retire de la politique.
En avril, les troubles ont forcé le président vétéran Abdelaziz Bouteflika à démissionner, alors que l’armée et ses alliés purgeaient ses amis dans une campagne anti-corruption tout en poussant à de nouvelles élections.
Les manifestants considèrent toute élection comme illégitime tant que l’ancienne élite dirigeante, y compris l’armée, détenait le pouvoir. Tebboune a été élu avec 58% des voix le 12 décembre, mais avec 40% de taux de participation selon les chiffres officielles.
Lui et les quatre autres candidats, tous anciens hauts fonctionnaires, ont félicité les manifestants pour avoir cherché un renouveau patriotique de la politique algérienne, mais sans accéder à leurs demandes d’une purge plus approfondie de la hiérarchie qui accapare le pouvoir depuis 1962.
Lors de son investiture, Abdelmadjid Tebboune a décoré le chef d’état-major de l’armée Ahmed Gaïd Salah, dont les manifestants demandent la démission depuis des mois.
Le mouvement de protestation de masse n’a ni chef ni direction officielle, mais certains partisans de premier plan ont exhorté au dialogue avec Tebboune. Vendredi, les manifestants ont rejeté les pourparlers avec un homme qu’ils considèrent comme un comparse à la solde de l’élite dirigeante.