Devenu un symbole du combat pour la liberté de la presse en Algérie, le journaliste Khaled Drareni, condamné à trois ans de prison ferme, est arrivé mardi au tribunal d’Alger où il doit être jugé en appel après un verdict très sévère et une forte mobilisation en faveur de sa libération.
Incarcéré au centre pénitentiaire de Koléa, près d’Alger, depuis le 29 mars, M. Drareni, 40 ans, est arrivé au tribunal à bord d’une fourgonnette cellulaire, a constaté une journaliste de l’AFP. Une petite foule de sympathisants l’a accueilli en scandant « Khaled Drareni est un journaliste libre! ».
Le journaliste devait initialement comparaître en « visioconférence » depuis sa prison mais le ministère de la Justice en a ensuite décidé autrement.
L’accès de la presse à la salle du tribunal était extrêmement limité et l’audience n’avait pas encore commencé en début d’après-midi, le tribunal traitant d’autres affaires, selon des journalistes sur place.
Directeur du site d’information Casbah Tribune et correspondant en Algérie pour la chaîne francophone TV5 Monde et pour Reporters sans frontières (RSF), M. Drareni a été condamné le 10 août à trois ans d’emprisonnement et à une amende de 50.000 dinars (330 EUR) pour « incitation à attroupement non armé » et « atteinte à l’unité nationale ». Un verdict d’une sévérité sans précédent à l’encontre d’un journaliste, qui a surpris et indigné ses confrères.
Droit d’informer
Khaled Drareni a été arrêté à Alger le 7 mars alors qu’il couvrait une manifestation du « Hirak », le soulèvement populaire qui a secoué l’Algérie pendant plus d’un an jusqu’à sa suspension il y a quelques mois en raison de la pandémie de nouveau coronavirus.
Il est aussi accusé d’avoir critiqué sur Facebook le système politique et publié le communiqué d’une coalition de partis politiques en faveur d’une grève générale, selon RSF.
Lors de son procès en août, au cours duquel il est apparu très amaigri, Khaled Drareni a rejeté ces accusations. Il a assuré n’avoir fait que son « travail en tant que journaliste indépendant », et exercé « son droit d’informer ».
« J’ai vu Khaled Drareni il y a deux jours, il a le moral, il est confiant. Si la cour d’Alger applique la loi, elle ne peut que prononcer sa relaxe », a confié lundi à l’AFP un de ses avocats, Mustapha Bouchachi.
Deux co-inculpés, Samir Benlarbi et Slimane Hamitouche, figures du « Hirak », sont également jugés en appel mardi. Ils ont écopé chacun de deux ans de prison, dont quatre mois ferme, mais se présentent libres devant la cour d’Alger, après avoir purgé leur peine.
Depuis sa condamnation, les manifestations de solidarité et les appels à libérer Khaled Drareni se sont multipliés au-delà des frontières de l’Algérie.
« Intimider »
« Le pouvoir algérien a voulu faire un exemple pour intimider tous les journalistes en Algérie » mais « il en a fait un symbole de défense de la liberté de la presse », a commenté le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire.
L’ONU, l’Union européenne et l’Union africaine ont même exprimé leur « préoccupation » au sujet de l’affaire Drareni.
Son procès en appel se déroule dans un climat délétère de répression à l’encontre des médias indépendants, des militants du « Hirak » et des opposants politiques en Algérie.
Quelque 45 personnes sont actuellement emprisonnées pour des faits liés au « Hirak », selon le Comité national de libération des détenus.
Ces derniers mois, des journalistes ont été accusés par le régime de semer la discorde et la « subversion », de menacer l’intérêt national et surtout d’être à la solde de « parties étrangères ».
En mai, le président algérien Abdelmadjid Tebboune lui-même avait laissé entendre, sans le citer nommément, que Khaled Drareni était un « informateur pour le compte des ambassades étrangères ».
Allégation invoquée également selon des avocats par le ministre de la Communication Ammar Belhimer, qui reproche au correspondant de TV5 Monde d’avoir travaillé sans jamais avoir eu de carte de presse professionnelle.
Le collectif des avocats de Khaled Drareni a dénoncé l’ingérence du pouvoir exécutif et la pression sur des juges « sous influence ».
L’Algérie figure à la 146e place (sur 180) du classement mondial de la liberté de la presse 2020 établi par RSF.