« Printemps du terrorisme en Algérie… témoignages et vérités choquantes des crimes du DRS », un récit autobiographique poignant d’un des rares survivants des geôles algériennes lors de la décennie noire, écrit sous le pseudonyme de Aomar Rami, ex-détenu islamiste. Si le livre se décrit comme des mémoires, il est aussi un appel à renverser le régime militaire.
Annoncé comme mémoires sur la torture en Algérie toujours vivace tant que Khaled Nezzar et Toufik Mediene sont vivants, l’auteur campe le décor. Le livre dépeint les déportations de milliers d’Algériens, dont celle de Aomar Rami, dans le contexte de la dissolution du FIS, l’emprisonnement de ses chefs et membres impliqués dans les attentats, la riposte du MIA (Mouvement islamique armé affilié au FIS) qui a consisté à attaquer les forces de l’ordre (400 vont être assassinés en l’espace d’un an), et l’état d’urgence proclamé en 92 qui a donné aux militaires des pouvoirs de police.
L’état d’urgence leur a aussi donné le feu vert aux restrictions des libertés politiques qui s’étaient développées avec la reconnaissance du pluralisme politique en 1989, voulue par l’ex-président Chadli Benjedid. L’état d’urgence a aussi permis tous les dépassements humanitaires et toutes les restrictions des libertés individuelles, dans la rue, dans les foyers comme en prison. A partir de ce moment-là, la justice et tous les autres pouvoirs sont assujettis aux militaires, et plus particulièrement à la Sécurité militaire « DRS » (Département du renseignement et de la sécurité). Les généraux Nezzar, Mediene (dit Toufik), Smail, Lamari, Touati, Mejahed, Chengriha, sont tous tenus responsables par l’auteur dans le putsch militaire contre la démocratie et dans la mascarade des disparitions forcées et de procès préfabriqués dans des cours spéciales érigées à cet effet, ce qu’il appelle la justice janviériste.
Aomar Rami, écrit pour la mémoire, près de trente ans après l’interruption brutale par l’armée des élections législatives, remportées au premier tour par le Front islamique du salut (FIS), qui a conduit à la déposition du président Chadli Benjedid et la proclamation de l’état d’urgence qui durera 19 ans, (jusqu’au 24 février 2011, période de soulèvements du printemps arabe), par la « Sécurité militaire ». Aomar Rami écrit également pour que la lutte contre le régime militaire continue à travers le Hirak, mettant à nu les manipulations et le hold-up des militaires sur l’Etat pour la survie d’un régime oppresseur. Ses mémoires dépeignent les méthodes carcérales inhumaines des généraux encore en vie et/ou en service, comme hitlériennes.
Pendant son incarcération qui a duré 5 ans, des questionnements demeurent sur les implications de groupes dans des massacres de civils. Il a besoin de preuves et de certitudes par rapport à la non-implication des maquisards du FIS.
A sa sortie de prison, Rami fait sa propre enquête sur le GIA, aux méthodes auxquelles il s’oppose et qu’il dit éloignées du FIS. Il relate les témoignages d’ex-membres de GIA ayant réussi à s’échapper des mains des émirs, sans être tués, qu’il a réussi à rencontrer. Ces émirs, soutient-il, sont le produit du DRS servant à manipuler l’opinion publique et internationale. De ce fait, le GIA est la création de la sécurité militaire pour semer la terreur et asseoir son pouvoir en agitant le spectre islamiste : «un groupe armé qui ne se cache pas, qui ne prend pas de précautions dans ses déplacements, qui allume le feu la nuit pour se réchauffer, qui se procure des boîtes de conserve, du fromage en boîte, et qui n’opère que la nuit, ne devrait pas être étranger à l’Etat ou à l’armée ». Un raisonnement qui se tient au vu des barrages installés dans tout le pays et de l’état d’urgence durant 19 ans. Ces milices contrôlées par les agents des services secrets de l’armée (DRS) ont fait la guerre aux maquisards et aux populations civiles suspectées de sympathie pour ces derniers, comme le massacre de Mamka dans la nuit du 2 au 3 janvier 1998, durant lequel trois villages ont été décimés.
Revenons à son arrestation survenue le 18 décembre 1992, et aux 5 ans en prison pour son engagement au FIS, 5 ans de sévices corporels et de maltraitance sans que ses convictions ne vacillent ni qu’il ait l’ombre d’un regret. Il assume être coupable d’avoir « désobéi, résisté et défié les barbouzes d’un Etat illégitime issu d’un coup d’Etat militaire qui a installé au pouvoir la junte la junte des généraux janvéristes ».
Au fil des pages, il assume également l’ellipse de certains épisodes de torture sur sa personne, mais les laisse deviner en les décrivant sur d’autres prisonniers dont il respecte l’anonymat. Peu de rescapés des geôles algériennes acceptent de voir leurs noms publics et peu veulent témoigner. Parler de ces années de prison c’est faire revivre leur calvaire. Le traumatisme est tel qu’ils préfèrent effacer ces souvenirs douloureux pour pouvoir continuer à vivre. On le devine : il s’agit, en plus de brutalités physiques et mentales quotidiennes, de viols collectifs et de sévices sexuels d’une cruauté telle que pour les arrêter il faut collaborer avec le DRS. Ils sont le fait de « jeunes naturels », des enfants illégitimes ou orphelins formés pour préserver le régime militaire, quoi qu’il en coûte, dans la « villa tanière », que l’auteur définit comme le lieu d’hébergement et de formation de la sécurité militaire. Les témoignages de ceux qui acceptent de parler à visage découvert en affichant leur nom, sont effroyables.
Sur leur base et à partir de son vécu, Aomar Rami décrit 8 types de tortures quotidiennes qui débutent entre 7 h et 8h du matin et peuvent se prolonger tard dans la nuit : interrogatoires musclés dans ce qu’il appelle « la géhenne » ou « l’antichambre de la mort », « une salle équipée de moyens de torture qui rappellent le centre d’exposition des outils naguère en service à Auschwitz » et séances de reconnaissance de têtes coupées à l’arme blanche, rythment des journées où aucun droit de prisonnier n’est respecté. Le plus élémentaire, la nourriture se résume à des « restes de mie de pain mélangés aux autres déchets du réfectoire » des tortionnaires, qui au lieu d’être jetés à la poubelle sont distribués aux prisonniers entassés dans les cellules et sous-sols.
Les malades, les blessés ne sont pas non plus soignés. Rami relate ce qui leur arrive en citant l’un d’entre eux touché par balle à la cuisse. Ayant développé une gangrène, il sera « jeté aux chiens ». L’auteur témoigne : « chez ces voyous qui nous gouvernent, purger une peine, c’est d’abord être prisonnier avant d’être un malade ».
Un autre type de torture consiste à jeter les prisonniers du haut des escaliers. Les séances de flagellation, de charcutage à vif pour saigner abondamment et faire parler un autre prisonnier spectateur de la torture, ou d’obligation d’ingurgiter des quantités astronomiques d’alcool jusqu’au petit matin, font presque oublier les conditions d’hygiène des cellules, la densité de la population carcérale, les colonies de poux, l’absence de vêtements de rechange. S’ensuivent les séances de viols perpétrés par les agents des services secrets ou introduction de baïonnettes dans l’anus des prisonniers, notamment pendant l’appel à la prière. Tout est calculé avec une cruauté minutieuse qui s’attaque aux détails insoutenables pour les prisonniers. Mais aussi pour le lecteur. Comme la description de séances de viols collectifs d’un frère et de sa sœur en même temps, que les tortionnaires vont obliger, ensuite, à commettre l’inceste.
L’humain auquel est ôtée toute son humanité, était ce à quoi le DRS réduisait ces Algériens qui se sont soulevés pour avoir voulu que l’Etat respecte les urnes.
A plusieurs reprises, l’auteur s’indigne que ces viols soient perpétrés sur des Algériens « de souche, dont le père ne vient ni de Tunisie ni du Maroc ». Comme si la torture sexuelle était (est ?) admise et tolérée dans la société algérienne sur tout maghrébin incarcéré et impensable sur l’Algérien.
D’autres méthodes de torture aussi inimaginables que les précédentes : la zeltla (résine de cannabis) où le prisonnier devait fumer 50 cigarettes d’affilée, mais à moitié car le reste était écrasé sur sa poitrine ou celle du nœud coulant élastique autour de l’appareil génital. Et enfin, celle des questions réponses héritée des « séances nazies sous le regard attentif d’adolf Hitler ».
Durant ces cinq ans, où Rami a échappé à la mort, il a été transféré, sous les coups et la maltraitance des gendarmes, dans des prisons aussi tristement célèbres que Barberousse, Lambèse ou Chlef, pour leurs équipements et les escadrons de la mort qui y sévissent. Ces derniers enterrent des morts comme des vivants, qui viennent gonfler les rangs des « disparus » jusqu’à aujourd’hui. Ce sont des « opposants ou innocents » enlevés toujours de nuit par les agents de la « sécurité militaire ». Ce sont « vint-six mille algériens, selon des chiffres officiels qu’il faudra vérifier, [qui] ont été enlevés de leurs domiciles suite à une instruction du haut commandement militaire, comparable au « Nuit et Brouillard » d’Adolf Hitler … vingt-six ans durant, les mères des disparus ont inlassablement réclamé la vérité sur le sort de leurs enfants ».
Durant ces cinq ans où il est déporté, il ne doit son salut qu’au bluff , à une solidarité relative entre codétenus au vu de l’insoutenabilité de la torture, ou à certains arrangements basés sur le chantage avec des prisonniers du FIS, plus « convaincant » que celui des tortionnaires. Mais aussi au renseignement algérien défaillant qu’il décrit longuement comme se basant sur le ragot et la rumeur.
L’auteur conclut que la lutte continue, car la « sécurité militaire n’est pas le joyau que la propagande veut faire croire ». Hier comme aujourd’hui avec le Hirak, sous prétexte de lutter contre la subversion et le « terrorisme », le DRS « manipule les scrutins libres » et cherche à anéantir toute l’opposition pour les intérêts d’une poignée de généraux. Les arrestations sont toujours de mise et les conditions d’incarcération sont questionnables.
Rami appelle enfin à l’unité pour sauver l’Algérie des « vieilles habitudes despotiques et tyranniques … des mêmes forces qui croient avoir le droit de vie et de mort sur tout le peuple algérien ».






