Entre janvier et août, le phénomène a augmenté de 57 % par rapport à l’an dernier, conséquence de la détresse économique et psychologique engendrée par la pandémie.
Réveillé en pleine nuit par un cri de douleur. Dans cette banlieue tranquille de Lilongwe, capitale du Malawi, Paul Kaonga s’habille en catastrophe et fonce vers la maison voisine pour proposer son aide. La famille, secouée de sanglots, raconte que Kondwani Botha, 31 ans et père d’une petite fille de 2 ans, s’est tué avec de la mort-aux-rats. Il peinait à sauver son entreprise de construction après s’être endetté pendant l’épidémie liée au coronavirus. «Il était plombé de problèmes financiers et faisait de son mieux. Tout le monde aux obsèques s’accordait à dire qu’il aurait dû tenir bon, parce que la crise nous touche tous», raconte à l’AFP le pasteur Kaonga en revenant de l’enterrement.
C’est le troisième suicide dans son quartier en deux semaines. Quelques jours plus tard, un autre voisin, criblé de dettes, se donnait la mort. Pour Paul Kaonga, la crise économique, aggravée par la pandémie, est la véritable faucheuse. «Les gens font appel à des usuriers pour s’en sortir et payer leurs employés, dit-il. Et avant de pouvoir dire ouf, ils doivent plus d’argent qu’ils ne peuvent rembourser.»
Le Malawi a officiellement recensé plus de 5 900 cas de la Covid-19, dont 185 décès. C’était déjà un des pays les plus pauvres de la planète quand la pandémie a frappé le continent, fragilisant encore son économie. La moitié de ses 19 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté et 1,1 million de Malawites sont tombés sous ce seuil rien que cette année, selon l’Institut international de recherche sur la politique alimentaire (Ifpri). La plupart des gens, dans ce pays enclavé d’Afrique australe, vivent du commerce informel et de petits boulots qui nécessitent de se déplacer. Le coronavirus a entravé «la manière habituelle de faire des affaires», explique l’économiste Betchani Tchereni, évaluant à près de 3 millions le nombre de Malawites qui ont perdu une part de leurs revenus cette année.
Lame de fond
Cela s’est traduit par un nombre croissant de suicides, selon la police. Entre janvier et août, ils ont augmenté de 57 % par rapport à l’an dernier. Des hommes en grande majorité. Disputes familiales, maladies chroniques, dépression et dettes vertigineuses sont les principaux facteurs, souligne auprès de l’AFP le porte-parole de la police, Peter Kalaya. «En tant que policiers, ça nous trouble. Nous avons réagi en faisant connaître les recours possibles pour faire face à un stress important», dit-il. Notamment en sensibilisant les policiers sur ce thème.
Médecins et soignants s’alarment aussi de cette lame de fond dépressive. La psychologue Beatrice Chiphwanya, qui a un cabinet privé à Blantyre, la capitale économique, s’affole du nombre de patients qu’elle a aidé à chasser des idées noires cette année, en lien évident avec les conséquences de la pandémie. «Angoisses, incertitudes sur plusieurs fronts… J’ai reçu plus de gens envahis de pensées suicidaires. Malheureusement au Malawi, peu ont accès aux consultations de psys. Ce n’est pas abordable et beaucoup trop passent à l’acte», confie-t-elle.
Les structures publiques pour la santé mentale manquent de personnel et de fonds pour soigner correctement ceux qui en auraient besoin, une tendance accentuée avec l’épidémie. Le personnel en psychiatrie des hôpitaux publics est souvent « prêté » aux services débordés, maternité et pédiatrie en tête, reconnaît une responsable du ministère de la santé, Immaculate Chamangwana.
Le coronavirus a aggravé les souffrances des personnes psychologiquement fragiles, qui font l’objet de discriminations ou de stigmatisation, souligne Gerald Namwaza, chercheur pour l’ONG MentalCare : «Au Malawi, et sans doute plus largement en Afrique, on se moque souvent d’eux, on les marginalise. Ces personnes sont vulnérables. Alors quand on leur demande en plus de s’isoler en raison de l’épidémie, le risque de suicide augmente : c’est la double punition.»