«La culture du viol a de beaux jours devant elle», a commenté Ibtissam Lachguar, une militante du collectif de défense des libertés individuelles MALI, lors du déclenchement de quelques affaires de violences sexuelles impliquant d’anciens journalistes l’année dernière. Une certaine hypocrisie qui se nourrit de certaines affaires particularistes du point de vue du bourreau persiste également.
Récemment, quatre professeurs d’université ont comparu devant la justice marocaine, accusés de chantage sexuel sur des étudiantes en échange de bonnes notes, un scandale qui a secoué la société civile marocaine. Les accusés, enseignants à l’université Hassan Ier de Settat, font face à de lourdes charges : «incitation à la débauche», «discrimination fondée sur le genre», «violence contre des femmes». Leur procès est toujours en cours. Depuis le scandale, le doyen de la faculté de droit et d’économie de Settat a démissionné fin novembre et la présidente de l’université pourrait encourir des sanctions, selon les médias.
Ces derniers jours, plusieurs cas de harcèlement sexuel subi par des étudiantes à Oujda et à Tétouan, de la part de leurs professeurs au sein des universités marocaines ont été médiatisés, au point que des voix se sont élévés pour que les concernés soient frappés d’une «interdiction définitive d’exercer des fonctions d’enseignement ou de recherche dans tout établissement public d’enseignement supérieur».
Ce sursaut sociétal contraste profondément avec deux affaires non moins graves. La première, celle de Omar Radi condamné pour des «délits relatifs à l’attentat à la pudeur avec violence et viol», après une «plainte déposée par une femme [Hafsa Boutahar». Un groupe circonstanciel, par le plus illégitime des veto, n’aura repris efficacement que les thèses de Radi, pourtant confronté à de graves accusations. Cette même coterie qui condamne, dans les autres affaires, «des actes ignobles et des pratiques pédagogiques contraires à la déontologie de l’enseignant, ayant eu pour conséquence de mettre certaines étudiantes dans une situation de harcèlement moral et sexuel».
La persistance des sujets scabreux offre donc, sans parler même des convenances morales, les contradictions les plus graves ; elle entraîne encore des conséquences d’un autre ordre, conséquences très funestes pour la cause des femmes harcelées. Comment se peut-il que des individus qui se soient attachés aux inventions les plus malsaines, aux théories les plus interlopes, sur le sujet de Hafsa Boutahar, puissent défendre les victimes des étudiantes harcelées ?
L’affaire de Soulaiman Raissouni condamné pour «attentat à la pudeur avec violence et séquestration» démontre également que certaines indignations sont sélectives et, significativement, insensibles à l’expression des misères qu’elles rejettent, plutôt compréhensives à l’égard d’un prévenu que l’on estime égaré ou victime d’une acharnement imaginaire. La honte est grande lorsqu’on se souvient que certaines personnalités politiques controversées se sont joints aux appels à libérer Radi et Raissouni, après notamment deux pétitions anonymes signées par des dizaines de personnes.
Dans les affaires Radi et Raissouni, la domination du récit du bourreau était prégnante, et leurs soutiens ont veillé aussi à défendre leur monopole sur l’écriture d’une histoire altérée. Jamais Hafsa Boutahar et Adam Mohamed n’ont eu assez de liberté pour promouvoir leurs récits ou leurs revendications.
Les chiffres sont terribles : selon une étude diffusée en 2020, au Maroc, plus d’une femme sur deux (54 %) dit avoir été victime d’une forme de violence, et dans 13,4 % des cas de violences liées aux nouvelles technologies, selon des statistiques officielles publiées en mai 2019. La loi adoptée en 2018 contre les violences faites aux femmes s’avère très insuffisante. Le texte sanctionne le harcèlement sexuel dans les espaces publics, mais également dans l’espace virtuel (téléphone, courrier électronique, messages sur les réseaux sociaux, envoi d’images à caractère sexuel ou diffusion d’images portant atteinte à la vie privée). Les peines prévues pour les violences liées au numérique, qui vont jusqu’à trois ans de prison ferme sont critiquées par les associations civiles. Selon une récente enquête publiée par le Haut-Commissariat au plan (HCP), l’organisme de statistiques national, 40,6 % des femmes en milieu urbain âgées de 18 à 64 ans ont déclaré avoir été «victimes au moins une fois d’un acte de violence». Les lieux publics sont les endroits où la violence à l’égard des femmes est la plus manifeste, d’après une étude de l’Observatoire national de la violence faite aux femmes.
Cette hypocrisie qui accorde la condition de victime selon la nature des affaires doit cesser. L’exclusion symbolique de certaines personnes de leurs affaires, l’intimidation et l’isolement médiatiques, ainsi que les entraves à la justice, doivent également prendre fin. Hafsa Boutahar et Adam Mohamed n’ont jamais pu témoigner de la nature des supplices qu’ils ont subis. Un déplacement du statut victimaire a été opéré, et leur lutte pour la vérité a été au centre d’une compétition malsaine entre des organisations internationales.