Dix millions de dollars. C’est la somme fixée par le département d’État des États-Unis en échange de tout indice permettant de savoir où se trouve Hugo Carvajal, patron du contre-espionnage du Venezuela sous Hugo Chávez et qui a rejoint en mars 2020 la liste des personnes recherchées contre récompense. En toile de fond, une douce ingérence du pouvoir exécutif nord-américain sur la justice espagnole. Cette dernière offrira-t-elle des garanties suffisantes d’indépendance et d’impartialité dans l’affaire Ghali ?
L’attention s’est vivement portée du côté des institutions judiciaires espagnoles et leur inamovibilité quelques jours avant le procès de Brahim Ghali. On n’en sera point surpris : c’est par la justice que doit commencer le règlement de cette affaire, parce qu’elle est le premier et le plus puissant instrument à réparer les dégâts causés par le pouvoir exécutif espagnol. Au seul aspect du futur déroulement de cette affaire on pourra reconnaître les conditions morales de l’Espagne, la nature de du pouvoir judiciaire du pays et jusqu’à la mesure de son indépendance. Peut-il prétendre à un complet affranchissement pour accomplir une mission qui paraît, il est vrai, devoir tout dominer, et surtout le bruit des événements ?
La justice espagnole a autorisé en 2019 l’extradition vers les États-Unis de l’ex-général vénézuélien Hugo Carvajal, ancien chef du renseignement militaire sous Hugo Chavez, pour trafic de drogue présumé, selon des sources judiciaires. Il a disparu depuis pour échapper à cette décision. Selon lui, cette décision des États-Unis représente «une ingérence dans la souveraineté de l’Espagne» et «un mépris contre toutes les institutions» car la décision de l’extrader fait l’objet d’un recours devant la Cour suprême, qui ne s’est pas encore prononcée sur la question.
Cette affaire croise avec celle de Brahim Ghali, leader du Polisario qui a voyagé de façon «frauduleuse» en Espagne, «avec un passeport falsifié». Soigné depuis avril à Logroño (nord) après avoir contracté la Covid-19, le responsable âgé de 72 ans doit comparaître début juin devant l’Audience nationale à Madrid. Les autorités marocaines réclament une enquête «transparente» et «la prise en compte des plaintes déposées contre lui» pour «tortures», «violations de droits humains» ou «disparition forcée». «C’est un test pour l’indépendance de la justice espagnole», a mis en garde la diplomatie marocaine.
En 2021, l’histoire se répète. Les accusations dirigées Brahim Ghali sont puissantes. La justice espagnole est appelée à apprécier les faits dans sa haute indépendance. Elle doit savoir accepter cette responsabilité, assez grande et assez élevée pour les mettre à l’abri de toute faiblesse et de toute influence illégitimes. La justice espagnole a rouvert un dossier contre Brahim Ghali pour «crimes contre l’humanité» après une plainte déposée par une association l’accusant de «violations des droits humains» sur des dissidents des camps de Tindouf (ouest de l’Algérie).
Dans l’affaire Carvajal, l’Audience nationale, juridiction qui traite notamment des extraditions, a validé en audience plénière un recours du parquet espagnol contre une décision d’une chambre de ce même tribunal, qui avait rejeté mi-septembre 2019 une demande d’extradition américaine contre Hugo Carvajal, jugeant alors imprécis les actes qui lui sont reprochés. Cette décision, qui n’a pas encore été annoncée officiellement par l’Audience nationale, devait être ratifiée par le gouvernement espagnol. Inculpé pour trafic de drogues en 2011 par un procureur de New York, M. Carvajal est accusé d’être impliqué dans l’importation de cocaïne aux États-Unis, dont une cargaison de 5,6 tonnes transportées du Venezuela au Mexique en 2006.
Surnommé «El Pollo» (le poulet), Hugo Carvajal a été limogé de l’armée vénézuélienne sur décision du chef de l’État Nicolas Maduro pour avoir reconnu l’opposant et président autoproclamé Juan Guaido. Hugo Carvajal, arrêté en avril 2019 à Madrid, avait été mis en liberté en septembre de la même année avec interdiction de quitter le pays. Il nie toute implication dans le trafic de drogues.