La Chambre des Représentants a tenu hier une séance plénière pour clôturer la première session de la quatrième année législative de la 10ème législature. El Malki se félicite du bilan de sa Chambre. Pourtant les réformes attendues sur 4 points sont au point mort : les libertés individuelles, le droit de grève, la politique pénitentiaire et l’enrichissement illicite.
Intervenant à l’occasion de la clôture de la session d’octobre de l’année législative 2019-2020, le Président de la Chambre des Représentants, Habib El Malki, a relevé que même si la Loi de Finances s’accapare, comme d’habitude, la part de lion dans les travaux de la Chambre, la production législative était importante dans d’autres domaines. En effet, 35 textes législatifs et 34 projets de loi couvrant divers secteurs d’activités ont été approuvés.
Selon le Président de la Chambre des Représentants, le bilan législatif a été marqué par l’approbation de textes relatifs au climat des affaires et à l’instauration de la confiance en l’économie nationale, notamment les projets de loi relatifs à la simplification des procédures et formalités administratives, au financement collaboratif, au partenariat public-privé (PPP), à la réforme des tribunaux financiers et à la Charte des services publics.
Toutefois, on remarque que peu de textes importants important la vie sociale des citoyens ont pu franchir le cap de cette institution législative. Et ce, notamment à cause des tensions suscitées par certaines dispositions qui divisent les groupes parlementaires. La majorité et l’opposition ont continué à se livrer à un bras de fer serré en se lançant les accusations quant au report des discussions sur l’examen et l’adoption de plusieurs textes.
Soulignons que cette session parlementaire intervient dans un contexte particulier qui a été marqué par une restructuration de l’architecture gouvernementale, mais aussi par l’importance des textes qui ont été très attendus pour examen et adoption, tels que le projet de loi n°10.16 modifiant et complétant le Code pénal, bloqué au Parlement depuis 2016, et le projet de loi organique sur le droit de grève, qui jaunit dans les tiroirs de l’institution législative où il est déposé depuis le 6 octobre 2016.
Serpent de mer depuis 1962 au Maroc, la loi relative au droit de grève n’a jamais vu le jour. Très attendu, ce projet de loi revêt une importance capitale pour les syndicats car il donnera le tempo de l’ensemble de leurs actions, voire leur raison d’être. Toutefois, les centrales n’ont eu de cesse de souligner le caractère aliénant du projet de loi. Selon Mustapha Sehimi, politologue et universitaire, « le Code du travail est un texte qui est de nature à donner une valeur ajoutée à l’attractivité du Maroc comme pays d’investissement. C’est l’un des principaux obstacles qui pèsent sur la vie économique non seulement auprès des opérateurs économiques nationaux mais aussi étrangers. Le fait qu’il n’a pas encore été actualisé n’est pas à porter au crédit de la Chambre des Représentants mais bien au contraire ».
Par ailleurs, le chantier de réforme du Code pénal est toujours en gestation puisque le projet est depuis 2016 bloqué à la Chambre des Représentants. Après 5 reports et plusieurs polémiques, les groupes parlementaires ont déposé, le 10 janvier, leurs propositions d’amendements du projet de loi n°10.16 modifiant et complétant le Code pénal. Toutefois, la session d’automne finit sans que ce texte soit adopté. En effet, plusieurs dispositions cristallisent les tensions. Parmi ces points de divergence : la légalisation ou non de l’avortement, les relations extra-conjugales entre adultes consentants, la rupture du jeune en public pendant Ramadan, ou encore et surtout, l’enrichissement illégal.
Selon M. Sehimi, la refonte de ce texte juridique doit porter sur la réforme de l’ensemble du Code pénal [NDLR : constitué de 612 articles] et non pas sur une vingtaine de dispositions qui créent actuellement des tensions entre les groupes parlementaires. Il y a des réaménagements et des requalifications à faire. « Les anciens ministres de la Justice, à savoir El Mustapha Ramid et Mohamed Aujjar, se sont attachés à modifier 83 articles et ils ne sont pas attachés à la réforme du Code pénal », a-t-il précisé.
Il faut savoir que la législation pénale actuelle est entrée en vigueur le 17 juin 1963 pour remplacer le Code pénal de 1913. En outre, le projet de réforme du Code pénal marocain suscite actuellement de vives controverses au sein de la société marocaine puisque les modifications qu’il apporte concernent des aspects aussi variés que sensibles touchant à la vie politique et sociale du pays. Toutefois, il faut noter que la société a connu un développement très rapide au cours de ces dernières années. Ainsi, l’ancienne législation ne peut être que rigide et décalée par rapport à l’état d’esprit actuel de la société.
La politique pénitentiaire actuelle laisse à désirer. Aujourd’hui, le Maroc compte 82.361 prisonniers. Le ministère de la Justice a fait savoir que 40.286 de détenus sont condamnés à des peines inférieures à 2 ans sur un total de 82.361. Ce qui induit la question de surpeuplement des prisons. Face à cette situation, il faut penser à des mesures alternatives notamment pour les peines de moins de 2 ans d’autant plus que la situation carcérale est préoccupante. Ce qui a été dénoncé, à maintes reprises, par des instances internationales et nationales.
Par ailleurs, l’incrimination de l’enrichissement illicite a soulevé des controverses dans les milieux parlementaires. L’article 256-8 punit d’une amende de 100.000 à 1 million de dirhams toute personne coupable d’enrichissement illicite. Toutefois, ce dispositif ne s’applique pas à tous les fonctionnaires comme c’était prévu dans la première mouture du projet. Au cours des débats au sein du Conseil de gouvernement du mandat précédent, le texte a été édulcoré. Au final, seuls les responsables qui sont dans l’obligation de procéder à la déclaration du patrimoine sont concernés par l’enrichissement illicite. Soulignons le Code des impôts prévoit que l’administration fiscale a la possibilité de faire des recoupements et demander aux individus de justifier leur train de vie .
M. Sehimi souligne que tous ces retards portent atteinte à la crédibilité du Parlement d’autant plus que plusieurs questions cruciales n’ont pas été réglées lors de cette session. « Aux yeux des citoyens, c’est un parlement qui n’assume pas pleinement sa mission qui est du contrôle des politiques publiques et du gouvernement », a-t-il fait observer. Soulignons qu’une étude réalisée par l’Institut marocain d’analyse des politiques (MIPA), réalisée en octobre 2019, fait un constat alarmant du rapport qui lie les Marocains aux institutions du pays. En effet, 57.5% des personnes recensées ne croient plus au parlement. Ceci reflète ainsi l’antiparlementarisme qui existe au Maroc et qui se manifeste par une attitude politique d’hostilité envers le régime parlementaire et les hommes politiques qui en font partie. Jusqu’à présent, les élus n’ont pas réussi à greffer l’institution parlementaire comme institution crédible et légitime.
Ainsi, le bilan présenté par le président de la Chambre des Représentants, Habib El Malki, est sujet à caution parce qu’il est décalé par rapport aux attentes des citoyens. De plus, l’absentéisme des parlementaires et la question de la retraite des parlementaires suscitent l’ire des citoyens. S’agissant des absences, M. El Malki a fait état d’un chantier relatif à la révision de la loi organique et du règlement intérieur de la Chambre des Représentants, ayant pour but de préserver l’image de l’institution et la noblesse de la responsabilité du mandat parlementaire.
Il semble ainsi que rien n’a changé au cours de cette législature concernant la lenteur en matière d’examen des initiatives législatives parlementaires. De plus, cette année législative n’a pas été abordée dans la perspective de l’étape nouvelle du modèle de développement, dont les contours ont été esquissés par le Monarque. Elle a également été marquée par le manque d’opérationnalisation des réformes, du suivi des décisions, et de la réalisation des projets qui peuvent contribuer au processus de développement tous azimuts que connaît le pays.