Le Maroc a décidé, en concertation avec les autorités espagnoles, de suspendre jusqu’à nouvel ordre les vols aériens et le trafic maritime de passagers en provenance et à destination de l’Espagne.
La décision de suspendre les vols vers et d’Espagne ainsi que le trafic maritime a été officiellement actée hier, 12 mars. L’impact économique de cette mesure est aujourd’hui indéniable. Perturbations des chaînes d’approvisionnement, manque de visibilité sur la demande, baisse des échanges commerciaux, recul des recettes touristiques et régressions des recettes-voyages ainsi que de rentrées de divises, laisseront sûrement des séquelles économiques qui ne se seront pas résorbées du jour au lendemain. D’autant que l’Espagne est le premier partenaire commercial du Maroc avec un volume d’échange de 132,7 MMDH, soit 12, 47% du PIB.
La suspension des flux de personnes et de marchandises entre l’Espagne et le Maroc aura un impact considérable sur l’économie marocaine. Un avis que partage l’économiste, Driss Effina. « Aujourd’hui, l’économie marocaine est de plus en plus ouverte au reste du monde, notamment l’Espagne qui est frappée de plein fouet par le coronavirus. Ce pays est devenu depuis 2013, le premier partenaire commercial du Royaume. De plus, plusieurs accords d’investissement et de commerce ont été signés entre les deux pays pour renforcer les échanges commerciaux bilatéraux. Par conséquent, toute interruption de circulation de personnes et de marchandises aura un effet d’entraînement lourdement négatif sur l’économie marocaine », explique-t-il.
S’agissant du plan touristique, l’Espagne est le deuxième marché émetteur de touristes pour le Maroc, après la France. En effet, la proximité géographique des deux pays, qui ne sont séparés que par un bras de mer de 13 kilomètres, y est pour beaucoup. L’interruption des vols et de trafic maritime contribuera à la baisse des recettes touristiques et des rentrées de devise. En effet, quelque 2,5 millions d’Espagnols visitent chaque année le Royaume. Et ce nombre ne cesse de progresser. Ainsi, en moyenne, 208.333 visitent le Maroc mensuellement, il faut donc multiplier ce chiffre par le nombre de jours et de mois de suspension pour estimer les pertes sèches touristiques qui seront occasionnées par cette pandémie.
L’autre impact attendu de cette décision est lié au commerce international de biens puisque les chaînes d’approvisionnement au Maroc vont être perturbées : les volumes du commerce extérieur seront ainsi affectés négativement. Rappelons que les échanges commerciaux entre le Maroc et l’Espagne ont doublé au cours des six dernières années, affichant des taux de croissance annuels supérieurs à 10% depuis 2011. L’Espagne est le 1er fournisseur de gas oil et de fuel oil au Maroc, le 1er d’huile de soja, le 1er de tissus, le 2ème de matières plastiques, le 2ème de voitures de tourisme et le 4ème fournisseur de gaz de pétrole du Maroc.
« En suspendant le trafic des marchandises avec l’Espagne, le Maroc pourrait se confronter ainsi à une situation de pénurie de plusieurs matières premières et d’alimentation. Il se peut aussi que les prix de plusieurs produits soient révisés à la hausse. Le Maroc doit donc anticiper cette crise et élaborer des modèles de calculs performants, sur la base des matrices existantes input-output pour pouvoir calculer les montants exacts des pertes sèches. Il faut aussi trouver d’autres alternatives d’importation pour que les chaînes d’approvisionnement ne connaissent pas de perturbations », explique l’économiste.
Quant aux exportations marocaines à destination de l’Espagne, elles se sont établies à 58,9 MMDH en 2017. En 2019, l’Office statistique de l’Union européenne (Eurostat) a annoncé que les exportations marocaines vers l’Espagne ont augmenté de 5,4 % pendant les onze premiers mois de 2018 par rapport à 2017. Cette évolution positive devait se poursuivre en 2020 selon plusieurs économistes. Toutefois, à cause de la pandémie, cette tendance va être révisée à la baisse. Parmi les secteurs exportateurs qui seront touchés : les produits agricoles, les fils et câbles pour l’électricité et les vêtements confectionnés. Rappelons qu’avec un volume d’exportation avoisinant les 59,35 millions de kilos de tonnes soit une augmentation de 26,52 % en 2019, la tomate marocaine s’est littéralement répandue en Espagne. « Destinataire de 23,7% des exportations marocaines en 2017, l’Espagne se positionne comme premier client du Maroc et ce, depuis 2014 après avoir été historiquement le deuxième client du Maroc avec une part moyenne de plus de 17,7% entre 2000 et 2010 contre 26,2% pour la France », rappelle l’économiste.
« Jusqu’à présent, l’impact de la suspension du trafic des flux de personnes et de marchandises entre l’Espagne et le Maroc est toujours difficile à prédire puisque cela dépendrait du degré de la pandémie et des réponses apportées par les deux pays. Toutefois, à partir des éléments présents, le Maroc risque de perdre jusqu’à 20% de ses exportations et importations, ce qui se traduirait par une perte sèche allant jusqu’à 6MMDH à fin avril. Il faut donc essayer d’éviter les pires scénarios économiques en adoptant des mesures immédiates structurelles », précise M. Effina.
Dans ce contexte, le Maroc continuera à capter moins d’investissements étrangers sur son territoire. Soulignons que pour les investissements directs étrangers (IDE), le Maroc est la première destination de l’investissement espagnol en Afrique avec un tiers de l’investissement ibérique dans le continent. Les transferts des MRE en Espagne seront également marqués par une baisse des envois de fonds, compte tenu de la situation épidémiologique actuelle chez le voisin ibérique. L’année 2020 sera donc très difficile sur le plan économique pour le Maroc. Le Royaume est aujourd’hui appelé à jouer le tout pour le tout pour faire repartir sa croissance qui est, à l’heure actuelle, au bord de l’asphyxie.
Le mouvement des travailleurs marocains saisonniers en Espagne sera aussi impacté par la suspension des vols aériens et du trafic maritime Espagne-Maroc. Concernant les ouvrières marocaines qui débarquent en Espagne pour la cueillette de fraises et de fruits rouges, plus de 16.000 ont été recrutées en 2020. Leur retour était prévu en juillet.
Pour rappel, les échanges commerciaux entre le Maroc et l’Espagne ont connu un essor important au cours des deux dernières décennies. Les transactions commerciales bilatérales, qui se chiffraient à 22,3 MMDH en 2000, sont passées de 56,9 MMDH en 2010 et à 132,7 MMDH en 2017. Leur rythme de progression annuel entre 2010 et 2017 est de 11,5%, soit une multiplication par 2,3. En 2017, le commerce bilatéral a affiché une hausse de 13,2% par rapport à 2016, sous l’effet conjugué de la hausse des exportations marocaines vers l’Espagne de 11,3%, soit 58,9 MMDH, et de celle des importations du Maroc en provenance de ce pays de 14,9%, soit 73,8 MMDH.