Le feuilleton géopolitique et diplomatique qui se poursuit à la frontière entre la Biélorussie et la Pologne, porte d’entrée vers l’Union européenne (UE) pousse une certaine presse, à travers des fantasmagories de mots inouïes, à assimiler sans scrupules le Maroc à des problèmes qui ne concernent pas.
Magazine «Marianne», édition du 19 novembre (1 288). Un dossier de 13 pages, le Maroc évoqué en couverture. L’appareil déployé au début est des plus imposants. Le titre, pour faire tout de suite impression sur l’esprit du lecteur : «Immigration, l’arme de déstabilisation massive». Dans la suite et par tout le cours de l’enquête abondent les termes du langage moralisateur. Mais qu’on y regarde d’un peu près, on remarque qu’une soixantaine de mots seulement ont été consacrés au Maroc :«Quand, il y a quelques mois, Madrid a accepté l’hospitalisation en urgence sur son solde Brahim Ghali, le chef des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soudainement les gardes-frontières marocains ont tourné la tête et laissé pénétrer quelque 8 000 clandestins à Ceuta. En Europe, en somme. Le message pour Madrid, et pour la plupart des chancelleries, d’ailleurs, est on ne peut plus clair : Pas touche au Sahara occidental, marocain à 100 %.»
Une représentation réductrice, malhonnête;, aux contours arrêtés qui élude les faits : Brahim Ghali a voyagé de façon «frauduleuse» en Espagne, «avec un passeport falsifié». Soigné secrètement à Logroño (nord) après avoir contracté la Covid-19, Ghali était visé par «des plaintes déposées contre lui» pour «tortures», «violations de droits humains » ou «disparition forcée». Madrid a reconnu que les afflux migratoires vers Ceuta n’étaient pas liés à cette affaire, et Nasser Bourita a enfoncé le clou : «Le bon voisinage n’est pas à sens unique», a-t-il rétorqué estimant que le Maroc «n’a pas l’obligation de protéger les frontières». Depuis 2017, Rabat «a démantelé plus de 4 000 réseaux et bloqué 14 000 tentatives irrégulières» alors que la contrepartie financière de l’Europe, «d’une moyenne de 300 millions d’euros par an» ne représente «pas 20 %» de ce que le Maroc engage.
La justice espagnole avait rouvert, en marge de cela, un dossier contre Brahim Ghali pour «crimes contre l’humanité» après une plainte ancienne déposée par une association l’accusant de «violations des droits humains» sur des dissidents des camps de Tindouf (ouest de l’Algérie). Cité à comparaître pour une plainte pour «tortures» déposée par un dissident du Polisario naturalisé espagnol, il a été libéré.
Voici pour les faits, on peut y ajouter un autre : Bruxelles a annoncé miser sur la poursuite par le Maroc de sa stratégie nationale d’immigration et d’asile, fermement soutenue par les Européens, ainsi que sur le partenariat pour la mobilité entre l’Union européenne et le Maroc, relancé en 2019. Et deux déclarations : «Nous n’avons de leçons à recevoir de personne, nous agissons en partenaire que nous sommes», a affirmé Nasser Bourita lors d’une conférence de presse le 9 juin, à l’occasion de la visite de son homologue hongrois. «La résolution est une manœuvre visant à instrumentaliser une crise migratoire et à européaniser une crise bilatérale», a quant à lui déclaré l’ex-président de la Chambre des représentants, Habib El Malki.
La démonstration où se complaît le magazine Marianne est injustifiable. Elle est pathétique et trompeuse, si fort que cela puisse surprendre, venant d’un support connu pour le sens des nuances. Elle est déclamatoire. Par bonheur ce dont elle manque le plus, c’est des caractères d’une véritable démonstration scientifique. Cette attaque gratuite survient au moment où l’Occident accuse la Biélorussie d’avoir orchestré depuis l’été un afflux migratoire, en réponse à des sanctions occidentales contre la Biélorussie après la répression, en 2020, d’un mouvement d’opposition inédit.
Une école surtout pendant ces années dernières a occupé le devant de la scène : c’est l’école antimarocaine. Les productions de cette école, pour le cas où toutes ne refléteraient pas les mêmes tendances, se reconnaissent à un signe commun : le chantage moral.
Le 31 novembre 2018, à Paris. Nasser Bourita rencontre son homologue, Jean-Yves Le Drian. Plusieurs échéances à venir de l’agenda international : les discussions avec l’Union européenne (UE) sur le contrôle des migrations, la Libye et la relance des négociations sur le Sahara, prévue début décembre à Genève. Interrogé par la presse, le chef de la diplomatie
«Dès le départ, la politique migratoire du Maroc a reposé sur trois piliers : la solidarité, la responsabilité et la coopération internationale. Nous avons lancé en 2013 un large processus de régularisations. Alors qu’en Europe les gouvernements se renvoient la balle en se disant “J’en ai pris 100, tu dois en prendre 300 ”, nous, un pays en développement, avons traité 50 000 demandes de régularisation en trois ans, dont 90 % ont été satisfaites», Le Maroc n’est pas dans une politique de chantage, du type “Je suis votre gendarme, combien vous me payez ? ”. Il a sa propre politique migratoire et entend y être fidèle. Nous pensons que les pays de transit ne doivent pas être au cœur de la politique. Il faut que tous les pays d’origine, de transit, de destination assument leurs responsabilités. Le fait de donner de l’argent relève de la même logique que l’idée d’installer des centres. Ce sont de fausses bonnes idées qui créeront plus de problèmes qu’elles n’en régleront.»
On attend de l’UE, a-t-il dit, «une approche migratoire cohérente. Aujourd’hui, il y a presque autant de politiques migratoires que de pays. Il n’y a qu’à voir les débats au sein du Conseil européen. Le seul moment où l’UE est cohérente, c’est pour mettre la pression sur les pays de transit. Ce n’est pas comme ça que l’on trouvera des solutions. La migration doit être prise pour ce qu’elle est, à savoir un phénomène naturel. Or, quand on écoute les discours politiques en Europe, quand on regarde certains reportages, on présente cela comme une invasion de l’Europe par l’Afrique. Si on ramenait le problème à sa dimension réelle, le débat serait plus serein et efficace.»
Sur le Sahara, Nasser Bourita a eu des mots tonitruants : «Nous attendons que les nouvelles négociations soient différentes des précédentes sur le format : que chacun des acteurs – Maroc, Front Polisario, Algérie, Mauritanie – soit mis sur le même plan que les autres. Différentes, aussi, sur l’ordre du jour : qu’il y ait plus de réalisme et de compromis, moins de rhétorique. Certaines choses ne sont pas négociables pour le Maroc, à savoir toute solution qui remettrait en cause l’intégrité territoriale du royaume ou qui prévoirait une option référendaire.»
Le magazine français croit-il donc, après tout cela, à la réalité de ses représentations illusoires ? Autrement dit, se prend-il au sérieux ? Que reste-il donc de la verve morose de Marianne ? Nasser Bourita avait appelé l’UE à «sortir de sa zone de confort» sur ce dossier en suivant la démarche américaine. Selon toute vraisemblance, les 27 doivent également se défaire de leurs préjugés sur la gestion marocaine de la question migratoire.