La défaite du Parti de la justice et du développement (PJD) a été sans réplique. Ses adversaires directs l’ont surclassé lors des élections législatives du mercredi 8 septembre, mais aussi aux communales et aux régionales organisées le même jour. Le Parti de la justice et du développement s’effondre de cent vingt-cinq sièges dans l’assemblée sortante à douze députés élus. Il a également perdu le contrôle des grandes villes. Une victoire éclatante pour le peuple marocain surtout.
«Passer par les mains d’hommes qui ne jouissent d’aucune considération, et qui ne méritent aucune confiance, cinq ans encore ? Impossible». L’aréopage de sages du PJD a reconnu tardivement ses fautes. Le scrutin du 8 septembre est historique, car il a mis fin à plusieurs mythes : la polarisation entre le PJD et le RNI, le supposé ancrage du parti islamiste au niveau local, son implantation dans les grandes villes, mais surtout, à une légende ébruitée depuis 2011 : des relais médiatiques et institutionnels aurait pu contribuer à affaiblir le parti. Le peuple s’est prononcé, et il a été son ambiguïté. Il n’en voulait plus d’un parti qui mêle le faux et le vrai, donnant autant d’importance aux accusations imaginaires qu’aux griefs faits. L’insuccès de ses candidatures prouvait la faiblesse du gouvernement, que les sympathies profondes qui auraient existé pour lui dans le sein des masses-populaires ont disparu. Un PJD discrédité pourrait-il entraîner une multitude qui ne le reconnaissait plus ? En aucune façon : les populations ont offert aux islamistes un miroir dans lequel ils ont contemplé leurs tares.
«Pour fonder au Maroc une libre politique, il ne suffit pas de proclamer des intentions. il faut les faire vivre. Le PJD a entretenu, d’un bout du royaume à l’autre, l’esprit de frustration et de défiance ; qui, à l’intérieur, éternise les gros budgets, perpétue le déficit, ajourne indéfiniment les grandes réformes, absorbe enfin dans des dépenses improductives les ressources qu’exige impérieusement la grande œuvre sociale que le peuple espère. Aussi faut-il vouloir par-dessus tout un large développement qui préparera de la manière la plus sûre l’avènement de l’avenir» a déclaré une source proche du dossier.
D’autant plus que c’est une défaite sur tous les tableaux pour le Parti Justice et Développement (PJD), qui a épuisé tout son crédit ces dix dernières années. La débâcle des islamistes aux législatives s’est aussi confirmée au niveau des communales et régionales. Aux élections communales, les islamistes subissent un effondrement inédit, passant de 5 021 sièges à 777. Ils perdent ainsi le contrôle des grandes villes qu’il dirigeait, comme Rabat, Marrakech, Fès ainsi que les deux grands pôles économiques de Casablanca et Tanger. Il a été très largement devancé par ses adversaires directs, le RNI et le PAM, qui remportent 9 995 et 6 210 sièges (sur un total de 31 503). Enfin, aux régionales, les résultats du Parti de la justice et du développement dégringolent aussi, avec 18 sièges contre 174 lors des précédentes élections locales en 2015. Le RNI et le Parti de l’Istiqlal arrivent en tête avec respectivement 196 et 144 sièges sur un total de 678.
«Les promesses n’obligent pas quand on n’a pas intention de s’obliger en les faisant»
Avec 12 députés élus contre 125 dans l’assemblée sortante, le parti islamiste à la tête du gouvernement au Maroc, le PJD, arrive loin derrière ses principaux rivaux, le Rassemblement national des indépendants (RNI), le Parti Authenticité et Modernité (PAM), et le Parti de l’Istiqlal. Une réponse péremptoire du peuple qui a préféré sanctionné un parti qui a multiplié échecs cuisants et fausses promesses. L’ampleur de la défaite des islamistes est inattendue dans la mesure où, médias et analystes pensaient que le PJD jouerait encore les premières places. Le peuple marocain a surpris tout le monde y compris le sulfureux Habib Choubani, qui a déclaré un jour devant une assistance médusée : «Les promesses n’obligent pas quand on n’a pas intention de s’obliger en les faisant.»
Le peuple a surtout moyennement goûté le double discours du PJD relatif à la reprise des relations avec Israël, son populisme exprimé lors de l’adoption en 2019 d’une loi renforçant la place du français dans l’enseignement public, notamment dans les matières scientifiques, à rebours des anciennes politiques d’arabisation, jugées peu commodes avec les évolutions espérées, mais également sa prise en charge chorique du dossier de la légalisation du cannabis .
La gestion de la crise de la Covid-19 l’a bien montré. Décisions erratiques, communiqués tardifs, interventions publiques désorganisées : toutes les grandes orientations relatives à cette crise ont été prises par une task force consciente des enjeux et guidée par le roi Mohammed VI.
Le PJD, arrogant, a toujours refusé de reconnaître le désenchantement d’une frange de son électorat, pire, son supposé socle historique qu’on dit hérité d’un vieil enracinement, notamment dans les villes, l’a lâché. Le tassement de son poids a été compensé par le nouveau calcul du quotient électoral (désormais rapporté au nombre d’inscrits et non plus des votants) qui, ironie de l’histoire, l’a sauvé du déclin politique définitif. «La question qui s’agitait devant le corps électoral est d’une extrême importance. La veille de l’ouverture du scrutin, les candidats du PJD avaient envoyé un avertissement à leurs électeurs pour les prémunir contre les manœuvres de la dernière heure. Il y eut, en effet, une manœuvre de la dernière heure. Seulement, elle vint du PJD lui-même. L’intimidation était à son comble. Toute l’organisation du parti islamiste et tout l’outillage habituel de ses composantes se sont démenés pour lui» a raconté un analyste qui enseigne dans une université à Rabat. «Ce résultat reflète la pensée du pays, qui a écarté un parti sans projet d’avenir avec une conviction affermie» a-t-il conclu.