Depuis la parution du livre » Soros l’impérial » que lui a consacré Thibault Kerlirzin, spécialiste à la fois en intelligence économique et dans le domaine des ONG, il ne se passe pas une semaine sans que l’on ne parle du multimilliardaire à l’action philanthropique et financière controversée. Mais qui est donc Georges Soros, américain d’origine hongroise, détesté notamment des conservateurs et de la « fachosphère », redouté mais écouté de bien d’autres ? comment a-t-il pu avoir la mainmise sur la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ?
Georges Soros est un homme au vécu chargé. D’origine juive, Soros avait 15 ans au temps de l’holocauste, dont il avait réussi à s’échapper grâce à des faux papiers chrétiens que son père avait pu obtenir pour sa famille. Après les nazis, c’est les communistes que Soros fuira en 1947. Alors que ceux-ci s’installent en Hongrie, Soros émigre à Londres pour étudier, avant de s’installer pendant 9 ans aux Etats-Unis où il gagnera des milliards de dollars à Wall Street. Soros choisira ensuite d’utiliser sa fortune personnelle à des fins de promotion des droits de l’Homme et de démocratie, ainsi que comme une manière d’appliquer ses convictions sur le terrain. Il lance alors en Hongrie l’Open Society Foundations (OSF), un réseau de fondations qui deviendra son arme la plus redoutable dans le monde.
Pour comprendre comment Georges Soros officie auprès de plusieurs pays de l’Europe, et du monde, il est nécessaire de revenir à ses années auprès du philosophe Karl Popper, dont il fût un disciple. La philosophie de la « société ouverte et démocratique » que Popper a véhiculé aura fortement empreint le jeune Soros et a forgé le modèle de société idéale que celui-ci s’applique à généraliser aux Etats-Unis et en Europe surtout. En somme, selon Popper, aucune philosophie ou idéologie ne détient la vérité absolue, d’où l’importance de défendre des sociétés démocratiques, où chacun aurait la possibilité de s’exprimer et d’être, librement. De cette idée a découlé un fort lobbyisme en faveur de l’avortement, la communauté LGBTQ, ou encore l’euthanasie, entre autres. Ces changements ont été remarqués dans plusieurs pays européens, mais ils ne sont pas le fruit du hasard ou de la seule bonne volonté des peuples et des Etats, loin de là. Ces changements portent la marque de Georges Soros et son réseau d’ONG dénommés Open Society Foundations.
Quel lien avec la Cour européenne des Droits de l’Homme ?
La CEDH a été instituée en 1959 par le Conseil de l’Europe. Sa mission est d’assurer le respect des engagements souscrits par les États signataires de la Convention européenne des droits de l’Homme. En d’autres termes, cela signifie que les 47 pays signataires de la Convention européenne des Droits de l’Homme sont dans l’obligation d’appliquer les jurisprudences de la CEDH. Ainsi, en contrôlant cette dernière, il contrôle implicitement, 47 pays à la fois, en leur dictant à chaque fois, une nouvelle juridiction supranationale. Le fonctionnement de la CEDH est tel qu’elle a été pensée pour assurer le respect des engagements souscrits par les États signataires de la Convention européenne des droits de l’homme et s’imposer contre le pouvoir des Etats. Ainsi, chaque citoyen ou groupe de particuliers qui s’estime lésé par une sentence dans son pays, peut recourir à la CEDH pour avoir gain de cause contre son pays. Chaque pays signataire de la Convention européenne des Droits de l’Homme compte un juge au sein de la CEDH. Le fonctionnement de cette Cour a été pensé contre le pouvoir des Etats, La plupart des juges de la CEDH sont issus d’ONG, ce qui n’est pas gênant en soi, puisque les ONG sont censées être indépendantes des gouvernements, et à condition qu’elles ne soient pas sur-représentées. Et c’est bien là qu’intervient Georges Soros à travers l’OSF.
Entre 2009 et 2019, 7 ONG affiliés à l’OSF ont envoyé leurs collaborateurs à la CEDH pour qu’ils y siéger en tant que juges. 22 Parmi les 100 juges ayant siégé à la CEDH pendant cette période avaient un lien avec des ONG dirigées, ou financées par Soros. Ce genre de juges sont communément appelés « les juges Soros », et sont à l’origine de divers jurisprudences qui obligent les pays à se conformer à l’idéologie Soros. L’un des premiers à remarquer la présence de « juges Soros » est Grégor Pupinck, directeur du European Center for Law and Justice (ECLJ). Il remarque qu’au fur et à mesure des années, il y a de plus en plus de jurisprudences à caractère idéologique. La Cour se réfère désormais plus à des « valeurs de tolérance et d’ouverture » qu’à des valeurs juridiques pures. Et ce, particulièrement dans les affaires de « vivre ensemble » qu’elle juge indispensables à toute ouverture démocratique. Tels sont les piliers de l’idéologie de l’OSF. Pupinck remarque que les « affaires sociétales » sont devenues la priorité de la CEDH.
L’OSF est l’ONG qui place le plus de juges à la CEDH. La plupart d’entre ceux qui ont siégé à la CEDH, ont occupé des places importantes dans l’OSF auparavant. En termes de nombre de juges placés à la CEDH, l’OSF est suivie de la Fondation Helsinki, puis la Commission internationale des juristes, ensuite Amnesty international et Human Rights Watch. Mais ces ONG ne sont pas sans lien avec Georges Soros, puisqu’elles sont copieusement financées par l’OSF. Il faut savoir que Soros a investi près de 32 milliards de dollars dans l’OSF depuis 1984. Human Rights watch par exemple, ne peut se défaire des directions du philantrope américain, qui lui a versé près de 100 millions de dollars depuis 2010 ; encore moins la Fondation Helsinki, dont 40% du budget provient des Fondations de Soros. L’OSF ne s’en cache pas, et n’hésite pas à affirmer sur son site internet que son lien avec les autres ONG n’est pas seulement financier, mais qu’il vise à « former de véritables alliances pour atteindre des objectifs stratégiques de l’Open Society ». A chaque cause favorable attribuée à un plaignant, l’autorité d’un Etat s’effondre peu à peu, surtout dans les cas de violences policières, de port d’armes ou de contrôle des frontières, qui sont des affaires de souveraineté.
La CEDH joue ainsi à un jeu dont les règles sont faussées d’office. Cela projette même des doutes sur l’indépendance de cette Cour supranationale. D’ailleurs, c’est l’un des dilemmes qui se présentent aux lanceurs d’alerte officiant au sein de la CEDH même. Dénoncer une situation douteuse peut leur coûter beaucoup étant donné qu’ils travaillent avec plusieurs « juges Soros ». Prenons comme exemple l’année 2019, une année décisive en Pologne avec les scrutins législatifs européens. Le maire de Varsovie a lancé une charte LGBT qui prévoit la sensibilisation à l’homosexualité. Une charte qui a trouvé farouche opposition de la part des évêques, et même le parti au pouvoir, réputé conservateur s’oppose à cette réforme. Dans les semaines qui ont suivi, 4 « affaires sociétales » seront introduites en procès contre la Pologne auprès de la CEDH. Des affaires qui datent de longtemps, restées endormies jusqu’alors, et qui ont été révélées au grand jour à ce moment bien opportun. Coïncidence ?
En juin 2013, le quotidien britannique The Guardian révèle qu’aux Etats-Unis, la National Security Agency (NSA) dispose d’un accès direct aux données hébergées par les géants américains des nouvelles technologies. Google, Apple, Facebook, YouTube… Le lanceur d’alerte Edward Snowden, ancien analyste de la NSA, affirme que ces entreprises participent à un vaste programme de surveillance appelé Prism. Le gouvernement britannique est mis en accusation pour le Regulation of Investigatory Powers Act (RIPA) de l’an 2000, qui dessinait un système de surveillance massive des communications. Pour la CEDH, c’est l’occasion de se prononcer dans le débat récurrent relatif aux législations nationales de lutte contre le terrorisme, souvent jugées liberticides. L’association Big Brother Watch est en tête de la contestation devant la CEDH. L’affaire est de grande importance et les ONG de Soros saisissent l’occasion : sur les 16 requérants, 14 sont des ONG, dont 10 sont financées par l’OSF. Parmi les tierces parties figurent l’Open Society Justice Initiative, Human Rights Watch, la Fondation Helsinki pour les droits de l’Homme, la Commission internationale de juristes, Access Now et American PEN toutes financées par l’OSF. Ce sont des ONG qui, bien que se présentant distinctement, poursuivent le même objectif et sont liées.
Prenons l’exemple de la Fondation Helsinki en Pologne. Selon les données officielles de la CEDH, elle serait intervenue 9 fois comme représentant des requérants entre 2009 et 2019. Mais un examen attentif des rapports d’activité de l’ONG nous apprend qu’elle revendique l’introduction de 16 requêtes et la défense de 32 dossiers, pour la seule année 2017. Ainsi note Puppinck, en « omettant de préciser qu’ils travaillent pour une ONG, les avocats de ces dernières, ou les juristes de la Cour eux-mêmes, effacent toute implication. De cette manière, le public mais aussi la majorité des magistrats ne soupçonnent pas qu’une ONG est derrière ces affaires ». Selon Nils Muiznieks, qui fut directeur des programmes de l’Open Society, l’OSF vise à créer un nouvel homme sobrement appelé « homo sorosensus », du nom de Georges Soros. Un soft power qui prend l’allure de défense des Droits de l’Homme, dans une logique supranationale.
De nombreux détracteurs
Avec autant d’influence, il est logique que l’omnipotent Georges Soros ne soit pas le favori de plusieurs Chefs d’Etat. Un véritable « front d’opposition » s’est construit contre Georges Soros, allant de Donald Trump, à Vladimir Poutine et en passant par Benjamin Netanyahu ou en encore Viktor Orban, le premier ministre hongrois et l’un de ses plus farouches opposants. Et pour cause, Soros est redoutable puisqu’il oeuvre sans relâche pour imposer son modèle idéologique de société ouverte, mais aussi parce qu’il est parfaitement capable de démolir l’économie de son choix.
Viktor Orban, qui, ironiquement fait partie des 3.200 Hongrois dont l’OSF a financé les études à l’étranger, nourrit une aversion particulière pour Soros. Il affirme que celui-ci représente une menace à la sécurité nationale, un “ennemi public”, ou encore qu’il a « détruit la vie de millions d’Européens”. En 2017, Orban dépense 100 millions d’euros dans une vaste campagne de propagande gouvernementale contre George Soros. Dans des publicités, sur des affiches et dans une consultation nationale sur l’immigration, Soros est présenté comme initiateur d’un plan secret, baptisé “plan Soros”, afin d’accueillir au moins un million d’immigrants en Europe chaque année. Rien ne prouve officiellement l’existence de ce plan, mais la propagande haineuse du gouvernement hongrois s’est miraculeusement retournée contre ce dernier, puisqu’elle a fait grimper la popularité de Soros, qui était méconnu de la majorité de ses ex-compatriotes.
En réalité, cette attaque d’Orban dirigée vers Soros trouve ses origines en 2015, alors que la crise migratoire est d’actualité en Europe. Connu pour soutenir généreusement les associations aidant les migrants via sa fondation, Soros publie en septembre de la même année, une tribune enjoignant l’Union européenne à accepter au moins un million de réfugiés par an, avant de diminuer ce chiffre à 300.000 en 2016. Des recommandations qui ont déplu aux dirigeants des démocraties “illibérales” d’Europe centrale et de l’Est, qui l’accusent de parrainer l’islamisation de l’Europe, de détruire la vie d’Européens, et de menacer la sécurité de l’Europe.
L’antenne historique d’OSF à Budapest, en Hongrie, a ainsi été contrainte en 2018 de déménager à Berlin, suite à une législation “Stop Soros”, qui a étouffé l’ONG à coups de restrictions. Au même moment, l’Université d’Europe centrale de Budapest, qu’il a fondée en 1991, se retrouve aussi menacée par une nouvelle loi sur l’enseignement supérieur. En réalité, Soros a du mal à passer pour un philanthrope motivé de bonne intentions seulement. Aux yeux de la fachosphère, un milliardaire juif et américain, dont le réseau de fondations soutient plusieurs structures pro-palestiniennes, voire antisionistes ; plutôt de tendance gauchiste, et dont la priorité est de défendre les minorités, n’a surement pas que des motivations altruistes. Soros est soupçonné de vouloir « contrôler le monde », et est perçu comme un Chef d’Etat sans Etat.
En septembre 2018, l’OSF de Hongrie et le Comité Helsinki du même pays déposaient des requêtes à la CEDH contre la loi hongroise « Stop Soros ». Reste à savoir si la Hongrie a réellement une chance d’obtenir gain de cause ? Et surtout, dans les mains de quel juge tombera cette affaire ? tant de questions qui se posent autour d’un soft power mené par Georges Soros.
Georges Soros jouit de plusieurs images. Il est tantôt représenté comme l’ennemi numéro un des dirigeant autoritaires, tantôt comme le plus grand philantrope du monde, ou encore, comme un spéculateur repenti qui expie ses erreurs en distribuant sa fortune aux plus pauvres. En chiffres, Soros dépense 90 millions de dollars annuellement en Europe, soit 20 millions de plus que le budget de la CEDH qui ne dispose que de 70 millions de dollars annuellement. La nomination de nouveaux juges à la CEDH est étroitement liée à Soros, dont les fondations sont devenues un véritable allié à toute personne recherchant un engagement social et médiatique. En Albanie par exemple, là où l’OSF a investi près de 131 millions de dollars depuis 1992, 2 des 3 candidats à la fonction de juge étaient des dirigeants de l’OSF.
En étant l’un des plus grand donateurs du parti démocrate aux Etats-Unis, le philanthrope a aussi été dépeint comme le “puppet master” [NDLR : maître des marionnettes] d’Obama ou de Clinton. En 2016, Soros aura investi plusieurs millions de dollars dans la campagne électorale d’Hillary Clinton, et aura soutenu plusieurs opposants de Trump.
Sur internet, les théories complotistes vont plus loin. Soros est accusé d’avoir été un SS nazi – alors qu’il est juif, et qu’il avait moins de 15 ans à l’époque des nazis. Il est aussi accusé d’ avoir orchestré les violences de Charlottesville, projeté de faire tuer 100.000 Haïtiens, payé les manifestants de la marche pour les femmes lancée après l’investiture de Trump, et même d’être derrière l’épidémie d’Ebola et les émeutes de Ferguson en 2014.
Faire tomber une économie en un claquement de doigts
Georges Soros s’amuse : « s’il y a bien un homme qui correspond au stéréotype du Juif-ploutocrate-sioniste-bolchévique, c’est bien moi”. C’est aussi ainsi que le perçoivent beaucoup de ses détracteurs. En 1992, Soros était pointé des doigts pour avoir « ruiné la banque d’Angleterre”. En réalité, le milliardaire avait pressenti la faiblesse de la livre sterling et avait parié contre la monnaie britannique, obligeant la banque d’Angleterre à la dévaluer et à sortir du système monétaire européen. Il empoche ainsi un milliard de dollars et il est qualifié de “sangsue américaine”.
C’est la même idée qui se trouvé répandue en Hongrie, fortement véhiculée par Orban et ses partisans. « Si l’envie lui en prend, il peut déstabiliser l’économie de tout un pays », affirment-ils, il pourrait réduire la monnaie nationale à moins de son quart par rapport aux autres devises.
George Soros est élevé au rang de légende, bien qu’indexée, aussi bien honni qu’admiré pour sa grand habileté sur les marchés financiers qui lui a permis de combiner finances et philanthropie. C’est ce qui en fait un personnage aussi écouté que redouté par les grands de ce monde. Du camp Démocrate américain à l’Union européenne, des dirigeants africains à l’Université qu’il fonda en Hongrie, sa marque est autant politique, qu’économique et que sociétale.