Que l’on s’entende bien. L’Espagne n’a pas reconnu la souveraineté du Maroc sur le Sahara. Cependant, vendredi 18 mars, en soutenant le plan d’autonomie du royaume, Madrid s’est rendu à l’évidence de la primauté de la légalité internationale onusienne, qui seule prévaut, en temps de guerre comme de paix. Son statut juridique de puissance administrante sur le Sahara, mis en avant par un polisario aux abois, ne confirme qu’une chose : non point son poids dans la sous-région marocaine mais son passé de colon que ce statut obsolète même, dessert.
Certes, la lettre de Pedro Sanchez au roi Mohammed VI est plus qu’un changement de position du gouvernement, c’est une volte-face historique.
Mais elle n’a rien d’une concession. Les raisons du revirement de la présidence espagnole sont à chercher dans un retour à la raison, au pragmatisme, à la légalité internationale et à la lutte pour la sécurité des Etats et des populations.
Que les journalistes espagnols de la presse privée y voient un chantage opéré par le Maroc, est un raisonnement faux doublé de léger.
Le chantage est une pratique liée aux mercenaires et aux régimes autoritaires. L’Espagne y a succombé en accueillant Brahim Ghali et en essayant d’amener l’administration Biden à revenir sur sa reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara. Mais le chantage n’a aucun effet sur les grandes nations fortes de la légalité internationale et encore moins dans un monde aux équilibres géostratégiques changeants et au risque fanatique grimpant.
Un pragmatisme tardif
Cela, l’Espagne l’a appris aux forceps tout au long de sa cabale contre le Maroc auprès des Etats-Unis pour tenter de soumettre le royaume à une sorte de suzeraineté espagnole. Ces tentatives sont demeurées superbement ignorées par Washington depuis Bruxelles au sommet de l’Otan le 14 juin 2021, (où Sanchez n’a pu entretenir Biden du Royaume, au cours d’une marche forcée de 20 secondes à ses côtés avant d’être éconduit) au 17 janvier 2022 (à la veille de la rencontre de préparation du sommet de l’OTAN entre Blinken et Albarez), où le chef de la diplomatie espagnole avait annoncé mettre le Maroc au cœur des discussions pour résoudre le conflit du Sahara à Washington. Le gouvernement Sanchez n’est jamais arrivé à renverser la vapeur, cumulant échec présidentiel après échec diplomatique cuisant.
On se souvient de deux dépêches des deux grandes agences de presse du pays, EFE et Europapress, pointant le manque de pragmatisme du gouvernement espagnol et le bourbier de ses compromissions (avec l’Algérie et le polisario), et mettant en garde contre leurs conséquences négatives sur les intérêts espagnols, touchant par ricochet ceux des pays occidentaux alliés.
Que des analystes voient l’origine de l’engagement du gouvernement espagnol à « garantir la souveraineté et l’intégrité territoriale » du Maroc pris le 18 mars courant, dans la visite de la sous-secrétaire d’Etat américaine surnommée « la renarde argentée » au Maroc (dans le cadre d’une tournée comprenant également l’Espagne, la Turquie, l’Algérie et l’Egypte du 4 au 11 mars dernier) puis celles programmées de Blinken en mai prochain au Maroc (pour présider la réunion de la Coalition internationale contre Daech, à laquelle prendra part également la France, l’Australie, le Canada, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Turquie et l’Espagne) et en juillet (au Forum économique afro-américain qui aura lieu à Marrakech), est tout aussi léger. Mais on ne peut nier qu’elles y contribuent.
L’Espagne, pour une fois, depuis l’avènement du gouvernement Sanchez, a saisi l’opportunité de clarifier la position profonde de l’Etat espagnol, bien que tardivement. Le point de départ de l’engagement du gouvernement espagnol à « garantir la souveraineté et l’intégrité territoriale » du Maroc pris le 18 mars courant, remonte à 2007 car depuis cette date, la crédibilité du plan d’autonomie ne fait que se renouveler d’année en année. L’accélération donnée à cette solution jugée à l’ONU seule crédible remonte à la reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara par les USA et les accords tripartites avec Israel, qui n’étaient ni l’un ni l’autre un acte personnel de Trump : bien au contraire, il s’agissait là d’une reconnaissance étatique, historiquement due au Maroc, urgente à opérer dans un contexte géostratégique et sécuritaire de lutte contre le fanatisme, en ébullition.
Il est de notoriété publique que le crédit d’un tel succès va au roi du Maroc et sa mise en oeuvre à son équipe rapprochée, il faut le souligner.
Pour rattraper son retard, l’engagement espagnol qui ambitionne de « construire une nouvelle relation, basée sur la transparence et la communication permanente, le respect mutuel et les accords signés par les deux parties et l’abstention de toute action unilatérale, à la hauteur de l’importance de tout ce que [le Maroc et l’Espagne] partage[nt] » à venir dans une « feuille de route claire et ambitieuse » ne doit pas occulter Sebta, Melilla, les Iles Jaafarines et le tunnel sous la Méditerranée reliant les deux pays que les gouvernements espagnols successifs semblent avoir renvoyé aux calendes grecques.
Aspects sécuritaires et économiques
Le même vendredi 18 mars, soit quelque jours après le vote de la loi de finances américaine (promulguée le 15 mars) qui englobe le Sahara dans les aides octroyées au Maroc, une autre mise en lumière de l’ancrage, du renforcement du rôle du Maroc en Afrique et de la consolidation de ses accords sécuritaires et humanitaires en tant que partenaire privilégié de l’OTAN, abritant également le premier bureau programme des Nations unies contre le terrorisme (ONUCT), et soutien à la mise en place du Collège de Défense du G5-Sahel à Nouakchott, sera actée par les USA.
Il s’agit de la nomination de l’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire américain Puneet Talwar au Maroc, un poste resté vacant depuis le 21 janvier 2021. Son CV en dit long sur l’importance du Maroc au sein de la zone MENA et sahélo-saharienne : spécialiste de la région Moyen-Orient -Afrique du Nord, il a longtemps travaillé au Comité des Affaires étrangères du Sénat des États-Unis (qui est une commission permanente du Congrès qui se consacre à la politique étrangère des États-Unis et plus précisément à l’examen des projets de lois portant sur ce domaine, la surveillance et le financement des programmes d’aides civiles et militaires à l’étranger ainsi que les subventions). Il a notamment été l’assistant du Secrétaire d’Etat pour les affaires politico-militaires sous Obama, également.
Quelques jours auparavant, soit le 8 mars dernier, plus précisément, lors du point de presse conjoint avec la Sous-secrétaire américaine, Wendy Sherman, Nasser Bourita, a annoncé la visite du Secrétaire d’Etat américain, Anthony Blinken, au Maroc en mai prochain pour présider la réunion de la Coalition internationale contre Daech, à laquelle prendront part également la France, l’Australie, le Canada, l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Turquie et l’Espagne. Blinken est également attendu à la réunion du Forum économique afro-américain qui aura lieu en juillet à Marrakech.
Des rendez-vous de poids, avant et après l’organisation en Espagne du sommet de l’OTAN, les 29 et 30 juin prochains.
Il est vrai que le refus d’Alger, dans la foulée, d’acheminer aux pays de l’Union européenne et de l’OTAN bras armé des Etats-Unis, du gaz en rouvrant le gazoduc Maghreb Europe, comme alternative au gaz russe, par crainte du Kremlin malgré les pressions américaines, et l’éventualité de recevoir du gaz liquéfié américain via le GME qui transite par le Maroc est un argument qui s’ajoute aux raisons tangibles du revirement à 180° de Madrid. D’autant que l’Espagne à elle seule a besoin de plus que la capacité Medgaz ne peut lui fournir.
Russie, Chine, Arabie saoudite et EAU
Sur un autre front et dans le contexte de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, qui comprend le risque d’un appui économique et militaire de la Chine à Moscou, ainsi que d’un accord potentiel sur des contrats pétroliers en devise chinoise (Yuan) pour s’affranchir du dollar, rassemblant la Russie, Pékin, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis (les deux dirigeants de ces monarchies du golfe ont même refusé de parler à Biden dans ce contexte énergétique), l’Espagne est appelée à soutenir sans ambiguïté les politiques du bloc qui la protège et la soutient. Et cela inclut également la lutte contre des menaces sécuritaires venant du Sahel et du Grand Sahara, ainsi que contre le trafic de drogue sur l’axe nord qui passait avant le déclenchement de l’intervention française au Mali, par le Nigeria et l’Algérie et une deuxième route transitant par le Niger, le Tchad et la Libye.
Autant de facteurs qui laissent présager d’une réponse multidimensionnelle au terrorisme dans la région ainsi qu’au rééquilibrage des forces militaires et commerciales étrangères aux plans régional et continental. Rappelons que l’intérêt de plusieurs autres acteurs internationaux pour cette région s’est fait sentir. On notera particulièrement celui de la Chine, les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite.
A ce rapport de forces antagonistes dans la région, s’ajoute la faillite de la France et de l’opération militaire multipartite Barkhane malgré le soutien américain, au milieu de stratégies internationales et régionales qui peinent à donner des résultats (Stratégie Intégrée des Nations unies pour le Sahel, les stratégies de la CEDEAO, de la CEN-SAD, de l’Union européenne, des Etats Unies d’Amérique, l’Algérie et la stratégie de l’UA pour la région du Sahel), dans lesquelles le Maroc a certes un rôle, mais laisse présager d’un redéploiement marocain, fort du bureau ONUCT et de son expertise de contre-terrorisme.
Rappelons, d’après les chiffres de l’agence Ecofin, qu’en 2020, la Russie a exporté pour 12,4 milliards $ de biens vers l’Afrique. Néanmoins, la Russie ne détient que 2,4% de parts de marché en Afrique contre 19,6% pour la Chine, de loin le premier fournisseur du continent, 5% pour les Etats-Unis, la France ou l’Inde (5,1%). Ainsi, la valeur des échanges commerciaux entre l’Afrique et la Chine s’élève à 185,2 milliards de dollars entre janvier et septembre 2021, en hausse de 38,2 %. Des volumes d’échanges qui font de la Chine, le plus grand partenaire commercial de l’Afrique depuis 12 ans. (C’est aussi en cela Moscou a besoin de se rapprocher avec Pékin pour surmonter son isolement du à la guerre de Crimée en 2014 et qui continue à s’accentuer avec celle en Ukraine).
L’équilibre des forces au Sahel et en Afrique
L’Espagne semble avoir compris, ce vendredi 18 mars, que si la géographie ne peut être changée, le voisinage immédiat ne détermine plus le rôle ni l’influence des pays sur l’échiquier international. Le monde qui n’est plus binaire depuis longtemps a subi des secousses que des gouvernements comme ceux de l’Espagne, de la France ou de l’Allemagne n’envisageaient pas une seconde, fort de leur rang au sein de l’Union européenne. Ces changements se sont fait ressentir en Afrique, et notamment au Sahara et au Sahel, sur les volets sécuritaire et commercial. Les puissances européennes, péchant par (trop d’) assurance, ont été projetées dans un monde qu’elles croyaient révolu. Celui qui se redessine malgré elles dans un contexte où elles ne font pas le poids nécessaire pour imposer leur ordre militaire, commercial ou géostratégique, malgré le grand marché de l’UE embourbé dans des procédures et dispositions de différentes institutions internes et qui prennent du temps.
Ainsi, si la carte du polisario, milice armée par l’Algérie a été longtemps agitée par l’Espagne et avant elle la France et l’Allemagne, pour faire pression sur le Maroc mais aussi pour justifier leur présence dans la région, notamment sur les volets sécuritaires, financiers et économiques, les études du CISAC (centre pour la coopération et la sécurité internationale ) de l’université de Stanford rappellent que AQMI au Sahel et au grand Sahara a pour origines le GIA des années 90, création du système algérienpour contrer la progression du FIS, le parti islamiste vainqueur des élections des années 90 et interdit.
Pour contextualiser le problème du terrorisme dans la région et la pression qu’il y exerce, parlons des branches les plus prégnantes et encore actives qui exacerbent la fragilité des Etats du Sahel et encouragent la dé-légitimation des Etats. En 2012, AQMI commence à travailler de manière rapprochée avec Ansar Dine et MUJAO (Mouvement pour l’unification et le Jihad en Afrique de l’Ouest), deux autres organisations islamistes proéminentes en Afrique de l’Ouest, pour s’établir au nord du Mali. En 2017 la branche d’AQMI au Sahara a fusionné avec Ansar Dine notamment. Ces groupes terroristes locaux à vocation régionale sont connus pour les kidnappings, les attentats à la bombe et leur capacité à se fondre dans la population locale, aggravant le risque sécuritaire et l’émergence d’autres groupuscules fanatiques.
L’aide internationale au profit des États de la région, en vue de leur permettre de faire face à leurs faiblesses, notamment au niveau institutionnel, demeure insuffisante et très fluctuante ; la réponse doit se situer à un autre niveau. Le succès du Maroc à couper les racine du jihadisme local apparu dans les années 90 également, grâce à une volonté étatique de contre terrorisme fait du royaume, un partenaire crédible et sérieux en ce sens. Victime plusieurs fois d’actes terroristes, l’Espagne qui a bénéficié et continue de bénéficier de l’aide et de la coopération de la DGST marocaine (Direction Générale de la Surveillance du Territoire) ne pourrait s’offrir le luxe de tourner le dos à des services dont l’expertise est mondialement connue et reconnue.
Ce succès interroge sur la « faillite » de l’Algérie à couper la tête de groupes qui sont nés et armés sur son territoire. Alger est pourtant souvent citée pour bénéficier d’un système sécuritaire et de programmes de contre-terrorisme efficients. L’Espagne vient de saisir la nécessité de renforcer le rôle du Maroc dans la région au vu des mécanismes dont il dispose sur les plans sécuritaire, économique et de développement humain seuls à même d’accélérer la pacification de la région. L’Espagne vient de comprendre que cela passe par le soutien à la souveraineté territoriale du royaume.
Au vu de ses liens spéciaux et historiques avec le Maroc notamment au Nord et au Sud, en levant ainsi toute ambiguïté sur sa position, elle montre enfin à certains Etats européens du nord parmi les 27, la feuille de route à
suivre pour la stabilisation de la région.
ACTIONS DU MAROC DANS LA RÉGION DU SAHEL |
– Actions de coopération triangulaire avec les pays de l’Union européenne, au bénéfice de la région du Sahel |
–Insistance sur les mécanismes de mise en œuvre de ces stratégies impliquant l’ensemble des pays et des organisations sous-régionales africaines concernés par les problématiques de la région sahélo-saharienne. |
– Le Maroc considère que la lutte contre l’extrémisme et le radicalisme religieux passe, aux côtés des efforts sécuritaires, par le développement humain, ainsi que par la préservation de l’identité culturelle et cultuelle des populations. |
– Au cours de son mandat au sein du Conseil de Sécurité de l’ONU pour la période 2012- 2013, coïncidant avec le déclenchement de la crise au Mali, le Maroc a activement contribué à l’élaboration et à l’adoption de la Stratégie Intégrée des Nations Unies pour le Sahel |
– Développement de la coopération économique avec l’espace saharo-sahéliens, tout en boostant les échanges commerciaux entre les économies qui sont complémentaires |
– Action sur le volet religieux visant la reconstruction du champ religieux par la promotion de l’Islam sunnite modéré |
– Réponse favorable aux demandes par les autorités religieuses de pays africains, en vue de la formation des Imams. A ce jour, l’Institut Mohammed VI de formation des imams a formé près de 2309 (dont 2210 hommes et 99 femmes) prédicateurs et prédicatrices pour contribuer à préserver les valeurs authentiques de tolérance de l’islam en Afrique |
– Soutien à la mise en place du Collège de Défense du G5-Sahel à Nouakchott et son appui à sa construction, à son équipement, à l’établissement des cursus et à la formation des formateurs ; |
– Mobilisation des ressources financières : le Maroc est le seul pays africain à contribuer financièrement aux différents axes de la première phase 2019- 2021 du programme d’investissement prioritaire du G5-Sahel, notamment l’agriculture, les ouvrages hydrauliques, la formation et le renforcement des capacités. |
Volume des échanges entre la Russie et le Maroc | Volume des échanges entre la Chine et le Maroc | |
Le volume des échanges entre la Russie et le Maroc a augmenté 42% fin 2021 pour atteindre 1,6 milliard de dollars | Depuis la visite du roi à Pékin : croissance de 50% des échanges au cours des cinq dernières années (de 4 milliards de dollars en 2016 à 6 milliards de dollars en 2021) et augmentation substantielle des investissements chinois, avec plus de 80 projets en cours dans tout le Royaume, dont le mégaprojet de la CitéMohammed VI Tanger Tech -initié en avril 2019 à Pékin, en marge du forum «Belt and Road» («l’Initiative la Ceinture et la Route» ou BRI). |
Echanges Commerciaux, Maroc-Espagne, Maroc-UE et Maroc-USA – L’Espagne est le premier partenaire commercial du Maroc avec un volume global d’échanges de plus de plus de 142 milliards de DH, selon le du rapport annuel du commerce extérieur pour l’année 2019 publié par l’Office des changes. L’Espagne et la France renforcent leurs positions respectives de premier et deuxième partenaire commercial du Royaume. – Sur les 508,6 milliards de DH d’échanges commerciaux du pays en 2019, 334,66 milliards de DH , soit 65,8% du montant global, ont été réalisés avec l’Union européenne (UE). Le reste a été effectué avec les pays asiatiques et américains. – Les échanges commerciaux entre le Maroc et les États-Unis ont été multipliés par cinq depuis 2005, l’année précédant l’entrée en vigueur de l’Accord de libre-échange (ALE) atteignant 5 milliards de dollars en 2019 |