Prévues pour la législature 2012-2013, deux des plus importantes lois organiques n’ont toujours pas été adoptées, douze ans après la promulgation de la Constitution.
Les délais sont à chercher dans le texte constitutionnel même. « Les lois organiques prévues par la présente Constitution doivent avoir été soumises pour approbation au Parlement dans un délai n’excédant pas la durée de la première législature suivant la promulgation de ladite Constitution », énonce l’article 86. Au nombre de neuf, les lois organiques, qui couvrent des domaines spécifiques, organisent des pouvoirs publics ou précisent les modalités d’exercice de droits constitutionnels. C’est à la seconde catégorie qu’appartiennent les deux textes législatifs non adoptés.
La loi organique sur le droit de grève a connu un bien triste destin. Prévue par toutes les constitutions du Maroc, depuis celle de 1962, la promesse d’un texte encadrant la grève est maintenant soixantenaire, et toujours non tenue. Un projet de texte législatif a été adopté en Conseil des ministres puis soumis à la Chambre des représentants en octobre 2016. Sa dernière adresse connue est la Commission des secteurs sociaux de la première chambre. Faute d’accord entre l’exécutif et les syndicats, l’adoption de cette loi, ajournée par deux gouvernements successifs, ceux de Benkirane et d’El Othmani, le sera-t-elle également par le gouvernement Akhannouch ?
Exception d’inconstitutionnalité
Quant à la loi organique sur l’exception d’inconstitutionnalité, elle devrait offrir aux justiciables le droit de soulever l’inconstitutionnalité d’une loi au cours d’un procès, conformément à l’article 133 de la loi fondamentale du pays. Si une disposition législative est déclarée non-conforme à la Constitution, elle est simplement abrogée.
Adoptée en Conseil des ministres en juin 2016, puis par le parlement en 2018, une première version de la loi a été recalée par la Cour constitutionnelle en mars 2018. Onze dispositions avaient été déboutées, dont l’une actant l’exclusion du ministère public des parties autorisées à soulever l’inconstitutionnalité. Considérant que le ministère public exerce une compétence dévolue, qui est de veiller à l’application de la loi, et que le respect de la constitutionnalité impérative des règles de droit lui impose, en sa qualité de partie, d’invoquer l’inconstitutionnalité d’une disposition au cas où il douterait de sa conformité à la loi fondamentale, la Cour avait alors évalué qu’il devait être reconnu apte à actionner l’article 133.
La procédure de filtrage adoptée par le législateur avait elle aussi été jugée inconstitutionnelle par la Cour. Souhaitant parer à un risque d’utilisation abusive ou dilatoire de la procédure d’inconstitutionnalité par les avocats des parties en litige, le texte de loi escomptait un système de filtrage à deux niveaux. C’est dans un premier temps les juridictions de premier et de second degré qui devaient s’assurer de la conformité des requêtes pour inconstitutionnalité, puis la Cour de cassation, avant, enfin, de les transmettre à la Cour constitutionnelle. Il était espéré de cheminement procédural de réguler le flux des exceptions d’inconstitutionnalité en les répartissant sur les différents degrés de juridiction, pour réduire l’encombrement au niveau de la Cour constitutionnelle, avec cependant pour corollaire la création d’étapes intermédiaires entre les justiciables et la justice constitutionnelle.
Ce dispositif est en partie calqué sur celui en vigueur dans d’autres pays, notamment en France où, en vertu de la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 et de la loi organique du 10 décembre 2009, le contrôle de la constitutionnalité des lois est certes l’apanage du Conseil constitutionnel qui seul peut déclarer la loi contraire à la Constitution; mais, pour éviter qu’il puisse être saisi directement par les justiciables, les requêtes doivent être soulevées devant les juridictions de droit commun et transiter par le Conseil d’État ou la Cour de cassation qui seuls décident s’il y a lieu de les renvoyer au Conseil constitutionnel. Dans cette optique, « le Conseil est un juge constitutionnel d’exception tandis que Conseil d’État et Cour de cassation sont devenus juges constitutionnels de droit commun », écrit Agnès Roblot-Troizier, professeure à l’Université d’Évry-Val d’Essonne.
Le texte de loi rendu au gouvernement a subi plusieurs amendements visant à le mettre en conformité. Il est de nouveau adopté par le parlement en janvier 2023, puis… de nouveau rejeté par la Cour constitutionnelle le mois suivant. Cette fois, c’est la procédure d’adoption qui est en cause: les textes organiques doivent en priorité être avalisés en Conseil des ministres, avant d’être déposés au parlement. Or, le projet de loi a été examiné, mais non adopté en présence du roi, lors du Conseil des ministres du 4 juin 2019…
Depuis, la loi ne figure plus à l’agenda législatif. Un projet de texte devrait être présenté lors d’un prochain Conseil des ministres, avant de reprendre, de zéro, le circuit législatif…