Le bilan provisoire des victimes de l’alcool frelaté à Sidi Allal Tazi s’élève déjà à quinze décès. Alors que plusieurs personnes ont été placées sous surveillance médicale, quelques-unes auraient perdu la vue.
C’est un bilan lourd, qui suscite des interrogations.
Qu’est-ce qui pousse des gens à consommer des boissons alcoolisées produites de manière artisanale, dans des conditions, comme on le voit, qui posent des risques pour la santé, alors que l’offre, dans ce domaine, est variée? Le prix de cette boisson faite maison serait-il plus attractif ? Contiendrait-elle un degré d’alcool plus élevé ? J’avoue mon ignorance.
Sur le sujet de l’alcool, j’apporte un témoignage vécu.
Je venais d’accompagner un proche à l’aéroport de Rabat-Salé et je revenais chez moi, il était 04:00 (du matin, est-il besoin de le préciser). Sur une grande avenue d’un quartier résidentiel, une foule avait envahi la chaussée, des voitures essayaient de se frayer un chemin au milieu des piétons, dont certains étaient visiblement éméchés. Des hommes en vinrent aux mains, pendant que des jeunes femmes/filles criaient et leur demandaient d’arrêter. Une course-poursuite s’engagea et ils vinrent tous se mettre devant ma voiture arrêtée. Un jeune, particulièrement excité se mêla à la bagarre, en faisant tournoyer au-dessus de sa tête une bouteille de gin vide. Je ne pouvais pas bouger, des voitures klaxonnaient derrière, tout le monde criait. Les protagonistes s’éloignèrent peu après en s’insultant copieusement et je pus poursuivre mon chemin.
Tout en roulant, j’ai songé à l’incident que je venais de vivre.
Certains boivent pour le plaisir, modérément. D’autres, hélas, ne savent pas boire ou boivent à l’excès simplement pour s’enivrer. J’ai entendu en une occasion quelqu’un faire un jeu de mots médiocre avec « piritif » et « skiritif« . C’est dire que l’alcool ne doit pas être mis entre toutes les mains. C’est la raison pour laquelle, disent certains, la consommation de l’alcool (ou du vin ?) est interdite/déconseillée par les prescriptions coraniques. «Heureusement», disent les partisans pour des raisons religieuses du «régime sec», car sinon, disent-ils, la société serait minée par la violence, l’agressivité, les divorces, les accidents, etc. Sans compter les conséquences sur la santé.
En réalité, ce sont les excès, comme en tout, qu’il faut mettre en cause. Le Maroc produit des boissons alcooliques et alcoolisées en quantité, c’est une réalité incontournable et l’activité offre des milliers d’emplois rémunérateurs et génère des bénéfices et des taxes. En outre, et ce n’est pas plus mal, certains de nos vins sont réputés.
Les restrictions engendrant les transgressions, je me demande si une plus grande tolérance dans la vente de l’alcool serait la solution ou si, au contraire, elle aggraverait la situation. On se souvient que pendant la Prohibition aux Etats-Unis, qui a duré de 1920 à 1933, la production, la vente et le transport de boissons alcoolisées étaient interdits. Les conséquences ont été une augmentation du crime organisé, des speakeasies clandestins, et une application difficile des lois. La prohibition n’a pas découragé la fabrication et la consommation de l’alcool, mais a plus servi à enrichir quelques trafiquants. Elle a pris fin en 1933 en grande partie à cause de la montée des activités illégales et de la perte de revenus fiscaux.
En Suède, la commercialisation des alcools relève d’un monopole d’État, Systembolaget. Les boissons fortes ne peuvent être vendues que dans les magasins de Systembolaget. Les ventes sont interdites aux moins de 20 ans (moins de 18 ans dans les bars et restaurants). Les horaires de vente sont limités et la publicité pour l’alcool est fortement contrôlée. Aussi, les Suédois se rendent-ils en Finlande pour s’approvisionner ou traversent-ils l’Øresund en fin de semaine pour aller dans le Danemark voisin où l’âge requis est 16 ans et où les prix sont 50% moins élevés. À Copenhague, dans les années 70, on pouvait voir dans les rues du port des jeunes et des moins jeunes, qui « boivent et reboivent » jusqu’à sombrer parfois dans le coma éthylique.
Au Maroc, il est interdit de vendre des boissons alcooliques ou alcoolisées à des Marocains musulmans. Les infractions sont punies de l’emprisonnement de 1 à 6 mois et d’une amende de 300 à 1 500 dirhams. Ce qui n’empêche pas un commerce florissant produisant des bénéfices importants pour les producteurs et les titulaires de licences ainsi que des recettes fiscales substantielles pour les caisses de l’État. En guise de «petits arrangements» pour préserver la morale, la consommation d’alcool ne peut se faire sur une terrasse et les débits de boissons doivent cesser toute activité à l’occasion des fêtes religieuses.
Pour se prémunir contre d’éventuelles poursuites, les établissements autorisés ne mentionnent pas sur les tickets de caisse la nature des articles vendus lorsqu’il s’agit d’alcool. Au passage, notons que certains hôteliers et restaurateurs dénoncent le caractère contradictoire et hypocrite de cette réglementation, qui s’accorde mal avec les ambitions du Maroc en matière de tourisme
En ce qui concerne l’eau-de-vie, qui fait parfois des ravages comme c’est le cas dans le drame de Sidi Allal Tazi, la réglementation dit : «La dénomination de « Mahia » est réservée exclusivement à l’eau-de-vie naturelle résultant de la distillation de moûts fermentés provenant de figues et/ou de dattes en présence de graines d’anis, sans rectification consécutive. Cette eau-de-vie, lorsqu’elle est additionnée d’alcool éthylique, ne peut porter dans sa présentation, sous quelque forme que ce soit, le terme « Mahia ».»
On ne sait pas la composition du breuvage qui a provoqué la mort à Sidi Allal Tazi, mais il est certain qu’il est à tort appelé « Mahia ». Ce n’est pas une eau-de-vie, mais plutôt une eau-de-mort, qui souligne la nécessité de contrôles rigoureux et une sensibilisation des «consommateurs» à l’importance de la traçabilité et de la qualité des produits.
Pour revenir à l’incident dont j’ai été le spectateur à quatre heures, au moment de la sortie des boites de nuit, la question qui est posée est de savoir comment de tels établissements sont-ils autorisés dans des quartiers résidentiels ? Il faut plaindre les riverains qui doivent supporter une telle nuisance de voisinage. Chaque nuit, à l’heure où ils dorment paisiblement, une foule d’énergumènes avinés, bruyants et grossiers envahit leurs rues. La réglementation interdit et punit les établissements qui servent à boire à une personne visiblement ivre.