A moins de deux moins des élections législatives, il est ardu d’accéder au programme du parti de l’Istiqlal. Néanmoins, Lahcen Haddad, en tant que membre de son conseil national et de l’alliance des économistes istiqaliens, certifie qu’il est novateur et qu’il met le citoyen, la classe moyenne et les laissés-pour-compte au cœur de ses priorités. A notre question répétitive sur la date de diffusion, il a répondu inlassablement : incessamment.
Selon Lahcen Haddad, les axes du programme de l’Istiqlal, devront concerner principalement l’industrie et les R&D en terme de valeur ajoutée, l’économie sociale en tant que levier, l’artisanat , les ressources naturelles et la capacité du Maroc à produire des ressources renouvelables à même de créer de la richesse.
La souveraineté économique, la préférence nationale, la régionalisation de l’économie, la sécurité alimentaire, la sécurité sanitaire et d’autres volets sur la classe moyenne, la jeunesse, y seront probablement abordées, selon Haddad.
Pour en dire un peu plus, sans dévoiler le programme, Lahcen Haddad plante le décor. Il sera donc tributaire des effets du Covid 19. La pandémie a chamboulé la plupart des systèmes et donc les politiques, mettant au coeur des préoccupations la préférence nationale et la souveraineté économique. Vu que l’un de ses premiers effets a été la perturbation des chaînes d’approvisionnement en médicaments, en pétrole, et notamment en blé et riz, aliments de bases qui peuvent ébranler les régimes et les systèmes, le PI a élaboré un programme qui met la préférence nationale et la compétitivité aux premiers plans, comme l’a souligné Nizar Baraka dans son intervention au club de la MAP.
Lahcen Haddad balaie toute velléité de comparaison avec les programmes de gauche ou sociaux-démocrates, qui fleurissent un peu partout depuis la grande crise de 2008, imputant plutôt ces orientations au contexte sanitaire mondial.
Tout comme il balaie en matière de sécurité alimentaire, l’argument selon lequel importer certaines denrées essentielles est moins cher que les produire. Pour l’aliment de base qui est le blé au Maroc il faut assure-t-il dépasser cents millions de production annuelle : « Le ministre actuel de l’agriculture soutient , à raison, que pour arriver à 100 % de sécurité alimentaire en blé il faut investir 20 milliards de dirhams. Akhennouch a raison d’un point de vue purement comptable , certes ,concède Haddad, mais du point de vue sécuritaire particulièrement dans le contexte où nous avons subi des déboires à cause du covid-19, il faudrait dorénavant réfléchir à une agriculture dans les zones arides, faire beaucoup plus de recherche pour avoir beaucoup plus de productivité et deux semences par an dans les zones irriguées afin d’arriver entre 90 et 95 pour cent terme de production nationale dans le blé ».Les mesures pour y arriver, Haddad le dit à demi-mot sont déroulées dans le programme, tout comme celles liées à tous les volets qu’il a évoquées. On attendra l’arrivée à échéance du « incessamment » pour mesurer leur faisabilité.
Cependant il prévient que préférence nationale ou sécurité alimentaire et sanitaire, que prône Baraka, n’est ni un repli sur soi ni un nationalisme économique. Bien au contraire, assure-t-il il s’agit d’un travail sur la compétitivité au niveau de l’import-export, sur les fonds de l’industrie et des matières premières. Il s’agit également de s’arrimer sur les chaines d’approvisionnement notamment européennes, pour des questions évidentes de proximité.
Le credo de l’Istiqlal est donc que la solidité en interne assure la compétitivité en externe. « Ce renforcement de notre capacité en interne est indispensable pour créer une classe moyenne et l’ossature d’une économie compétitive à l’international. »
Comment ? le programme le dira, assure-t-il.
Au fil de l’entretien, Lahcen Haddad évoque une série de mesures visant à alléger la pression sur la classe moyenne, une des priorités du programme istiqlalien, qui avait été proposées dans le cadre des trois dernières lois de finances par le groupe istiqlalien et refusées par le gouvernement. Il donne en exemple, un rabattement de 500 dirhams sur l’IR par ménage dont les enfants sont inscrits dans des écoles privées.
Une mesure qui a un coût réel, mais dont le retour sur investissement aurait été important.
On s’attend donc à voir dans le programme une série de propositions dans ce sens, qui bien que créant apparemment « un déséquilibre macro-économique, le retour sur investissement puisqu’il touche le pouvoir d’achat dynamisera l’économie », ainsi que l’économiste le certifie.
L’on comprend bien que ces mesures et ces secteurs que l’Istiqlal priorise répondent certes à un constat sur la situation sociale et économique de façon générale mais aussi à un état des lieux des actions du gouvernement. Lahcen Haddad ne veut se prêter à commenter le bilan du gouvernement qu’en terme de réalisations et de taux de satisfaction de la population.
Tout en lui concédant d’avoir été victime du manque de cohésion gouvernemental, il juge que les réalisations avancées par le chef de gouvernement pêchent tour à tour par manque de nuance, par omission de certains chiffres du HCP ou par esquive de certains échecs patents il déclare qu’ « Il n’y a pas de cohérence dans l’utilisation des données par le gouvernement ».
Ainsi concernant le chantier des barrages, il précise que ce gouvernement a fini ce qui a été entamé avant lui. Les nouveaux barrages n’ont été entamés que depuis une année, renchérit-il. Le plan gazier ne voit toujours pas le jour malgré les promesses continues du gouvernement. Pareil pour l’environnement des affaires, des progrès ont été enregistrés certes mais nuance-il encore, « sans un regain de confiance, une vraie réforme de la justice, une politique volontariste de protection des investisseurs, et une réduction de l’arbitraire bureaucratique et administratif, les indicateurs de Doing Business ne veulent rien dire : il faut toujours regarder le Doing Business à la lumière des indicateurs de la bonne gouvernance pour avoir une image complète de l’environnement des affaires ». Concernant l’inflation si le gouvernement l’a maintenu à quelque 1%, il lui reproche de ne pas tenir compte du taux de satisfaction de la classe moyenne qui demeure trop bas.
En matière de création d’emplois par le secteur industriel, El Otmani, dans son bilan, avance le chiffre de 500 000 pendant que le HCP qu’il ne cite pas dit que le chiffre ne dépasse pas 40 000 emplois.
Lahcen Haddad dévoile également certaines données que le HCP retrace et que le gouvernement tait : « en 2012, poursuit-il, 20 % des marocains contrôlent 44 % des richesses ; à valeur d’aujourd’hui 20 % des marocains contrôlent 50 % des richesses. Cela signifie que ces 20% ont pris plus de contrôle sur les richesses que les classes moyennes qui font la majorité écrasante de la population».
A ses yeux, même l’augmentation des salaires, qui est effectivement une contribution pour la classe moyenne, est un succès en demi-teinte car à hauteur de 100 dhs par an sur trois ans, l’impact de cette augmentation timide s’en trouve amoindri, alors qu’il aurait été autre si la somme avait été reversée en une seule fois. Ce qui ne peut contribuer à la satisfaction de la classe moyenne.
Est également pointé l’échec à établir la charte de l’investissement qui attend depuis 2014. « Moulay Hfid Alami a reconnu devant le parlement il y a une quinzaine de jours, avoir délivré 43 versions de la charte de l’investissement, distribuées à tous les ministères sans arriver à un accord », relève Haddad.
L’Education n’est pas en reste : la dépense des dizaines de milliards de dirhams s’est faite sur les infrastructures et donc l’accès, au détriment de la pédagogie, de la formation de la formation des enseignants et de matériaux pédagogique. Ce qui de l’avis de Haddad expliquerait les scores des élèves des écoles marocaines dans les tests internationaux en mathématiques, sciences et langues.
Pour Haddad, l’approche du chef du gouvernement sur ce bilan gouvernemental est de mettre en avant les inputs, les dépenses et d’esquiver les outputs et l’impact sur la population.
Quant aux engagements du gouvernement liés à la lutte contre la corruption, l’index de transparency démontre que le classement du Maroc a dégringolé de 8 points en l’espace de deux ans (même s’il a gagné au niveau des points). Concernant la lutte pour les libertés individuelles de Reporters Sans Frontières, le Maroc reste à la même place, 134ème.
Un bilan gouvernemental mitigé, tel que ne le sera pas celui de l’Istiqlal, s’il venait à gouverner, car « novateur », à en croire Lahcen Haddad.






