Dans une primaire démocrate inédite comptant un nombre impressionnant de candidats, une femme a su, en l’espace de six mois, défier les pronostics pour s’ériger en véritable prétendante à l’investiture du parti. Avec ses 15% aux derniers sondages, deuxième derrière l’ancien vice-président Joe Biden, Elizabeth Warren est sans aucun doute la grosse révélation de cette campagne électorale.
Pourtant, les choses avaient très mal commencé pour cette ancienne enseignante de la prestigieuse université de Harvard. En cause, une polémique liée à l’origine ethnique de Warren, née Herring, dans l’Etat de l’Oklahoma. Pendant des années, Mme Warren, une blanche aux cheveux blonds, s’est identifiée comme une amérindienne, un sujet particulièrement sensible aux Etats-Unis.
Raillée par Donald Trump, qui lui a attaché le sobriquet de “Pocahantas”, Mme Warren a fait empirer les choses lorsqu’elle a publié les résultats d’un test ADN pour démontrer qu’elle était bien la descendante éloignée d’Amérindiens, provoquant l’ire, entre autres, de la Nation Cherokee.
Confinée à moins de 5% des intentions de vote au moment où elle a lancé sa campagne en février 2019, Mme Warren, qui a fait depuis son mea-culpa auprès des tribus autochtones, a su tirer profit du virage à gauche de l’électorat démocrate pour finalement s’imposer comme la figure incontournable de l’aile gauche du parti, au grand dam de son ami et jumeau politique, Bernie Sanders.
Son succès, Mme Warren le doit d’abord à sa réputation de militante anti-Wall Street, étant notamment l’une des premières à appeler au démantèlement des géants de la Silicon Valley, Apple, Amazon, Facebook et compagnies, qui bénéficient depuis des années de réductions d’impôts substantielles au détriment des travailleurs américains. Au contraire de Sanders, qui se présente comme un socio-démocrate, Elizabeth Warren se définit comme une capitaliste réformatrice, une distinction importante dans un pays où le socialisme est anathème.
Par ailleurs, la sénatrice du Massachusetts a, jusqu’à présent, adopté une stratégie peu conventionnelle, en rejetant catégoriquement l’argent des grands donateurs et en lançant, en parallèle, une opération de recrutement sans précédent de cadres de campagne hautement qualifiés. Cette stratégie a doublement payé. Elle lui a permis de conforter sa réputation de politicienne incorruptible, qui n’a pas de compte à rendre aux intérêts privés, tout en saturant l’espace médiatique grâce à des plans détaillés abordant toutes les revendications de l’Américain lambda.
A ceux qui ne sont pas convaincus par son âge, 70 ans, Mme Warren répond en multipliant les bains de foule lors de chaque rassemblement électoral, qui, par ailleurs, affichent toujours complet. Les vidéos de la sénatrice courant pour attraper son vol dans un aéroport, ou traversant à la hâte un champ en Iowa, ont fait le tour des réseaux sociaux, tout comme ses interminables séances de selfies avec ses supporters.
Mais sa réussite, la candidate la doit surtout à son programme électoral, aussi fécond qu’ambitieux. Une couverture santé universelle, l’annulation de la dette estudiantine pour 90% des étudiants américains ou encore la réduction de 80% des violences dues aux armes à feu, autant d’idées qui lui ont valu un cri de ralliement accrocheur, “Warren a un plan pour ça” (Warren has a plan for that).
A travers la publication de ses nombreux plans, la sénatrice a également obligé les autres candidats à se placer sur la défensive. Cette hiérarchie était particulièrement visible lors des deux premiers débats de la primaire, où les autres candidats se trouvaient obligés soit de s’aligner sur les positions de Mme Warren ou de proposer une alternative.
Toutefois, le chemin vers l’investiture demeure long et parsemé d’embûches. De nombreux observateurs estiment notamment que tant que Bernie Sanders se maintient dans la primaire, Mme Warren perdra des voix censées lui revenir naturellement. D’autres estiment encore que Mme Warren serait incapable de vaincre Donald Trump, un argument sans cesse répété par Joe Biden, qui se veut le seul à pouvoir tenir tête au Locataire de la Maison Blanche.
Face à ce raisonnement, les pro-Warren rappellent que le même prétexte avait été utilisé par le clan d’Hillary Clinton face à Bernie Sanders en 2016, avec le résultat que l’on connaît. Jeudi, un nouveau sondage réalisé dans l’Arizona, un Etat qui n’a pas voté pour un candidat démocrate depuis 25 ans, donnait Warren et Biden au coude à coude avec le président Trump.
Le prochain débat de la primaire démocrate, qui se tiendra à Houston, au Texas, les 12 et 13 septembre, sera l’occasion pour Mme Warren de consolider davantage son statut de prétendante sérieuse à la Maison Blanche. Pour convaincre les sceptiques, Elizabeth Warren table sur une victoire très tôt dans la primaire, notamment en Iowa où elle a établi une forte base de militants. Une tâche certes compliquée, mais loin d’être impossible au regard de son élan pour le moins sensationnel jusqu’ici.