Selon une enquête, des manuels scolaires ont suscité de vives protestations en Algérie pour sa vision édulcorée des pages les plus sombres de l’histoire nationale relatives à la décennie noire.
Une étude récente de la Fondation Carnegie pour la paix internationale, qui traitait des effets «d’empêcher le secteur de l’éducation de mentionner la guerre civile», qui s’est produite dans les années 90 du siècle dernier en Algérie, a déclaré que le pays peut connaître des confrontations politiques sur sa mémoire historique, car le système «prive les Algériens d’exercer leur autocritique lorsqu’il s’agit de leur passé».
L’étude, réalisée par la chercheuse algérienne Dalia Ghanem, et publiée par la FCPI sur son site Internet, a indiqué les fortes réserves des autorités quant à produire des manuels scolaires qui mentionnent les combats sanglants entre les forces de sécurité et les extrémistes dans les années 90 du siècle dernier. Une décision qui «comporte plusieurs risques, pouvant provoquer des tensions et des désaccords. La fondation a expliqué que «tous ceux qui ont traversé cette époque ont une mémoire sélective de ce qui s’est passé, laquelle peut se transformer en une arme politique si l’amnésie massive parrainée par l’État se poursuit.»
L’étude, intitulée «L’éducation en Algérie… Attention à ne pas évoquer la guerre», a confirmé que le secteur de l’éducation algérien «a raté, en gardant le silence sur le conflit qui a déchiré le pays dans les années 1990, une réelle opportunité sur la voie de la réconciliation nationale». En 2005, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale est signée. Les islamistes repentis sont amnistiés. Les militaires coupables d’exactions sont mis à l’abri de tout procès. Cette disposition a été mentionnée dans le journal officiel en 2017. Elle est même augmentée d’une interdiction de toute mention de cette période. Cette amnistie, doublée d’une interdiction de tout débat sur cette période, constitue un véritable déni de justice selon Karima Dirèche-Slimani, historienne franco-algérienne, spécialiste du fait religieux dans l’Algérie contemporaine : «La charte de 2005 occulte les responsabilités et empêche toute réflexion critique sur 10 années de violences meurtrières. La tragédie nationale telle qu’elle est désormais désignée par l’Etat algérien est interdite de toute analyse et réflexion autour des traumatismes et des responsabilités de l’Etat, des forces de sécurité et du terrorisme islamiste. Elle empêche toute forme de justice transitionnelle et d’apaisement pour les victimes».
De plus, la charte accordait une amnistie conditionnelle aux membres de groupes armés qui se rendaient dans le délai fixé par le régime, à condition qu’ils n’aient pas été impliqués dans des viols, des massacres ou des explosions d’explosifs dans des lieux publics. Quant aux personnes qui ont commis de tels crimes, elles n’ont pas bénéficié d’une grâce totale, mais ont plutôt écopé d’une peine de prison réduite, tandis que les membres de l’armée et des forces de sécurité n’ont pas été poursuivis.
L’étude indiquait que la ministre de l’Éducation, Nouria bin Ghabrit (2016-2019), avait tenté d’inclure les événements de la «décennie noire» dans les programmes d’histoire des écoles et des universités, en 2018, «et c’était la première fois que un fonctionnaire du gouvernement a évoqué une telle possibilité. Les programmes éducatifs n’ont pas abordé la question de la guerre depuis son déclenchement en 1991.»
Nouria Bin Ghabrit a estimé que la discussion sur la guerre et ses conséquences nécessite une réflexion profonde et une approche pédagogique, sans compter que de nombreux Algériens n’ont pas encore commencé à panser les blessures laissées par celle-ci.
L’opinion publique algérienne ne progresse pas dans son appréhension de ce qui se passe en Algérie. L’invariable libellé des communiqués de presse, «nouveau massacre perpétré par un groupe islamiste armé», actualise sans cesse la thèse de l’origine, insistante. Les termes en ont été posés une bonne fois pour toutes : des intégristes sanguinaires ont décidé de troubler la quiétude du pays, de s’en prendre au système et à ses piliers et de massacrer sans fin la population désarmée. Sans fin et, à la longue, sans raison, une réflexion paresseusement esquissée sur les enjeux du drame a été installée. À ce propos, on pourra se reporter à l’ouvrage de Habib Souaïdia, La sale guerre, La Découverte, 2001.
L’étude a ajouté, expliquant que les idées de Bin Ghabrit ne se sont pas encore cristallisées, «les écoles n’ont pas dérogé au principe du secret sur la guerre, et la décennie noire n’a pas trouvé sa place dans les manuels scolaires. Au contraire, l’État a permis à différentes interprétations du conflit d’émerger et de se propager dans la société, et a privé les écoles de la tâche de promouvoir l’harmonie, la réconciliation et l’unité nationale. La politique d’amnésie a été propagée à large échelle.»
Selon l’étude, faire face aux événements de cette période difficile, qui a duré jusqu’en 2001, a été caractérisé par «une autocensure avec les violations des droits humains qui ont été commises». Soulignant que l’État reste muet sur cette question, notamment le secteur de l’éducation, contrairement aux médias et aux écrivains qui parlent du conflit.