Caisse de résonance de la contestation populaire algérienne, les réseaux sociaux ont façonné et accompagné ce mouvement antirégime inédit, face à un discours officiel faisant fi de l’ampleur de la mobilisation populaire.
« Les réseaux sociaux ont permis de suivre le Hirak en continu et en temps réel, à différents endroits simultanément », explique Zahra Rahmouni, journaliste indépendante en Algérie.
« Ils ont montré la répression policière, brisé les préjugés et contrecarré un discours » qui voulait minorer ce mouvement de protestation non-violent déclenché le 22 février 2019, souligne la journaliste trentenaire. Depuis un an, Zahra Rahmouni informe en direct ses abonnés sur Facebook, Instagram et Twitter, tout en se documentant elle-même sur ces plates-formes. Lieux d’expression du mécontentement commun, les réseaux sociaux ont été les chambres d’écho d’appels à manifester, les laboratoires des slogans de chaque marche hebdomadaire et les garants du caractère pacifique du « Hirak ».
Dans ce pays de 42 millions d’habitants, 23 millions sont des utilisateurs actifs des médias sociaux, selon le rapport 2019 de la plateforme de gestion des réseaux sociaux Hootsuite et de l’agence digitale We Are Social. « Qu’ils dégagent tous! » « Algérie libre et démocratique! » « Je suis un membre du Hirak! » « Tu n’es pas mon Président! », adressé au chef de l’État Abdelmadjid Tebboune, successeur d’Abdelaziz Bouteflika élu en décembre lors d’un scrutin massivement boycotté par la population. Autant de mots-dièse devenus des cris de ralliement de la contestation, lancés à la fois dans la rue et sur la toile.
A l’instar de ce qui se passe sur le terrain, la mobilisation virtuelle est disparate et dispersée, sans leadership, mais elle est opiniâtre, visible sur l’ensemble du territoire et réunit les générations. Si « les réseaux sociaux ont permis à des Algériens d’exprimer une forme d’engagement politique interdite dans l’espace public, ils ont surtout été une alternative au déficit (d’informations) laissé par de nombreux médias », explique à l’AFP le politologue algérien Chérif Dris.
Face au black-out médiatique des chaînes privées -proches du pouvoir- et de la télévision publique, qui a fait l’impasse quasiment toute l’année sur les manifestations, les réseaux sociaux sont devenus une des principales sources d’information. En présentant la réalité du terrain dans différentes régions du pays, « ils ont participé à forger la légitimité du mouvement et à déconstruire le discours officiel », observe Chérif Dris.
Mais ils ont aussi nourri des débats enflammés au sein même du « Hirak », comme en témoigne la vive polémique qui a opposé l’écrivain franco-algérien Kamel Daoud, qui a décrété « l’échec provisoire » du mouvement, à des détracteurs le qualifiant de « traître ». Sur Facebook et Twitter, les échanges ont fusé: les uns constructifs, les autres virulents.
Bien que polluées par une désinformation massive des pro et anti-régime, les nouvelles partagées sur les réseaux, une fois passées au crible, sont porteuses d’une mémoire collective. Soucieux de conserver une trace du flot d’informations généré par le « Hirak », un groupe de chercheurs a lancé dès février 2019 une collecte d’archives.
Photos, vidéos, tracts, communiqués et déclarations sont récupérés au fur et à mesure que se développe le mouvement, principalement sur les réseaux sociaux. Pages Facebook d’organisations comme le Comité national pour la libération des détenus (CNLD), pages anonymes ou groupes créés à la hâte pour faire vivre le débat, constituent une précieuse base de données. La collecte d’archives est, selon une activiste, est une garantie face à toute « tentative de falsification de l’histoire ». A long terme, l’ambition est que les documents conservés soient accessibles aux Algériens.
Du côté des autorités, aux tentatives de perturber internet lors des premières marches du « Hirak » ont succédé des offensives de trolls prorégime sur Facebook et Twitter. Plusieurs activistes ont par ailleurs payé le prix de leur liberté de ton sur les réseaux sociaux, en étant poursuivis à cause de publications Facebook, selon le CNLD. Dans un communiqué, Human Rights Watch a dénoncé la mise en examen d’un jeune romancier, Anouar Rahmani, pour « insulte au président de la République » et « atteinte à la sûreté de l’Etat », après qu’il eut moqué M. Tebboune sur Facebook.