Quelques jours après les dix ans de la révolution, des centaines d’adolescents ont attaqué les forces de l’ordre, désespérés par la situation économique et sociale du pays.
Jets de pierres contre tirs de gaz lacrymogènes : à Ettadhamen, quartier populaire en périphérie de Tunis, comme dans plusieurs autres villes tunisiennes, de nouveaux troubles nocturnes ont éclaté dimanche 17 janvier en dépit d’un confinement sanitaire, quelques jours après le dixième anniversaire de la révolution.
«S’il y avait quelqu’un pour juger nos abrutis de politiciens… Ces délinquants ne sont que le résultat de leur échec !», peste Abdelmonem, un serveur de café.
Des dizaines de jeunes, en majorité des mineurs âgés de 14 à 17 ans, ont été arrêtés après des heurts ces trois derniers jours, a indiqué dimanche à l’AFP Khaled Hayouni, porte-parole du ministère de l’intérieur, quelques jours après le dixième anniversaire de la chute de l’autocrate Zine El-Abidine Ben Ali et de son régime policier.
Si cet anniversaire a été étouffé par un confinement général de quatre jours pour tenter d’endiguer une flambée de cas de Covid-19, il n’a toutefois pas empêché les troubles, dont les motifs exacts ne sont pas connus. Ces heurts interviennent dans un contexte d’instabilité politique et de dégradation de la situation sociale en Tunisie.
«Aucun avenir ici !»
Dans les rues, des adolescents remplissent leurs poches de pierres. «C’est pour les ennemis», lance joyeusement l’un d’eux, en allusion aux agents de la police.
Le son des sirènes hurlantes ne couvre pas celui des explosions des feux d’artifice jetés depuis des toits de maisons, d’où des jeunes visaient dès la nuit tombée, à coups de pierres, un important dispositif de police et de la garde nationale (gendarmerie).
«Rentrez chez vous !», lance avec un haut-parleur de l’un des gendarmes, au moment où les forces de sécurité tiraient massivement des gaz lacrymogènes pour disperser les groupes présents.
Pour Abdelmonem, «ce sont des jeunes adolescents qui s’ennuient qui sont les auteurs de ces violences». Mais l’homme de 28 ans estime que «c’est la classe politique qui est la cause de ces tensions».
Très vives entre les différents partis composant un Parlement fragmenté depuis les élections de 2019, les tensions fragilisent le gouvernement largement remanié samedi et en attente d’un vote de confiance.
Les divisions paralysent le pays au moment où l’urgence sociale s’accentue avec la pandémie de coronavirus (180 090 cas, dont 5 692 décès au 18 janvier), à laquelle s’ajoutent la hausse du chômage et celle des prix et met en évidence la défaillance des services publics.
«Je ne vois aucun avenir ici ! Tout est triste, dégradé, nous sommes vraiment dans la merde !», lance le serveur à l’AFP, tirant nerveusement sur une cigarette, déterminé à prendre la mer «le plus tôt possible sans jamais revenir».
«Créer le chaos»
Le mois de janvier est régulièrement le théâtre de mobilisations en Tunisie, car cette période marque l’anniversaire de plusieurs luttes sociales et démocratiques majeures. Mais ici, «il ne s’agit pas de mouvements de protestation, ce sont des jeunes qui viennent de quartiers proches pour voler et s’amuser, estime Oussama, 26 ans, un habitant d’Ettadhamen. Si on proteste, ça sera la journée et à visage découvert.»
Au Kram, quartier populaire du nord de Tunis, Sanad Attia, 18 ans, se préparait à passer la soirée dehors en dépit du couvre-feu qui débute à 16 heures, rejoignant des groupes de jeunes dans un face-à-face tendu avec la police.
«J’ai arrêté l’école, ça me servait à rien, je m’entraînais avec l’Olympique Kram pour devenir footballeur, explique-t-il. Mais avec le Covid, le club est fermé, on ne peut rien faire. Maintenant, tout ce que je veux c’est partir en Italie.»
Ces derniers jours, des heurts ont eu lieu dans plusieurs quartiers populaires, notamment à Tunis, Bizerte, Menzel Bourguiba (nord), Sousse et Nabeul (est), Kasserine et Siliana (nord-ouest), selon des correspondants de l’AFP et des vidéos publiées sur internet par des habitants. Celles-ci montraient des jeunes dans plusieurs villes brûlant des pneus, insultant la police ou pillant des commerces.
Sur les réseaux sociaux, certains Tunisiens attribuaient ces violences à l’échec de la classe politique à améliorer la situation ? D’autres accusaient des groupes d’instrumentaliser ces troubles pour «créer le chaos».