Au lendemain des mouvements de protestation dans les régions de Béjaia et de Bouira notamment, les dirigeants et les médias publics ou proches du pouvoir ont rapidement crié à la « manipulation ».
Abdelmalek Sellal a dénoncé « des appels anonymes de certaines parties chargées d’une mission pour déstabiliser le pays ». Ce n’est pas nouveau n’est propre aux derniers événements. Dans le discours officiel, les autorités et leurs relais évoquent invariablement « les ennemis de l’Algérie ».
Une rhétorique de division
Le plus alarmant est que les tenants de ce discours exacerbent les tensions. En pointant du doigt la jeunesse qui se réfugie dans la violence faute d’alternative, l’on éloigne encore un peu plus ces gens de la société. Il faudrait pourtant écouter et entendre les revendications des uns et des autres, plutôt que de dresser le commun des Algériens contre une frange de la population qui vit déjà dans le désarroi.
Ces discours risquent donc de semer la suspicion et la division. Ailleurs, de tels mouvements sont devenus communs. Du mouvement des indignés en Espagne, à celui des Grecques contre l’austérité et la pauvreté, en passant par la France où de nombreuses personnes se soulèvent contre les injustices sociales… De tels événements sont courants, sont dans l’ère du temps, réclamant un changement de traitement des masses par « les puissants ».
En Algérie, l’absence de dialogue social sérieux ne permet pas une prise en compte de ces revendications de manière pacifique. Le gouvernement a vidé les instances représentatives de toute substance. Par exemple, les organisations syndicales ou associations de la société civile sont largement inféodées à l’administration. Pour les autres, elles sont taxées de servir des intérêts nuisibles à l’Algérie. La fameuse « main étrangère ».
Mais depuis le temps que ces « ennemis » complotent contre l’Algérie (depuis l’Indépendance, à en croire les personnalités politiques), trois possibilités s’imposent : soit ces « ennemis » sont particulièrement mauvais et faibles. Soit l’Algérie est particulièrement puissante, solide et invulnérable à des décennies de tentatives de déstabilisation. Soit, et c’est sans doute l’hypothèse la plus réaliste, ces « ennemis » désignés par le pouvoir sont inexistants. Une simple vue de l’esprit servant d’épouvantail à toute contestation de l’ordre établi. Une valeur refuge pour les autorités qui, face à des problèmes qu’elles ne semblent pas en mesure de gérer, crient au complot.
Une fuite en avant
Dans le même temps, plusieurs ministres, notamment celui de l’Intérieur, se sont relayés pour affirmer que le gouvernement dépense sans compter pour assurer et sauvegarder le modèle social en place. Celui des subventions massives aux denrées alimentaires : « Nous n’avons pas touché aux produits de première nécessité », insistent-ils.
Les agissements de recours à la violence, bien que condamnables, expriment parfois une conscience réelle des problèmes sociaux de l’Algérie. Cela n’enlève rien au patriotisme de ces jeunes. Bien au contraire, ils révèlent des envies de justice sociale, de développement économique de la part de ces acteurs.
En cela, ils mettent à nu les failles du modèle algérien, dénoncent l’incompétence des dirigeants locaux et réclament du changement dans leurs conditions de vie. Mais le gouvernement et les administrations locales font mine d’ignorer ces questions et se cantonnent à pointer du doigt des « agitateurs ». Bien plus pratique que de reconnaître leur incapacité à proposer des solutions viables aux problèmes des populations qu’ils représentent.
Les vraies questions occultées
Car, en face, quelles sont les perspectives pour un jeune de l’intérieur du pays ? Les formations offertes sont d’un niveau tout juste moyen. Les possibilités de trouver un emploi stable et valorisant sont faibles, voire inexistantes. De plus, la mobilité à l’intérieur même du pays, entre les villes, est réduite et coûte cher (loyers, vie quotidienne…).
Par ailleurs, du point de vue des entreprises, l’environnement juridique est instable et la pression fiscale est insupportable, à tel point qu’elles peinent à créer des emplois et participer au développement économique du pays. Les remontées qui parviennent de divers hommes d’affaires dans plusieurs régions du pays sont les mêmes : l’économie est asphyxiée par les impôts, par la bureaucratie et la difficulté d’accéder aux financements bancaires.
L’on relève une absence totale de réponse des autorités sur ces différents points. À travers les émeutes de Béjaia, certes condamnables et inutiles, la population a simplement exprimé son « ras-le-bol » de l’indifférence du traitement réservé à des revendications légitimes.
Dans leur rhétorique anti-contestation, les gouvernants oublient sciemment d’évoquer le fond du problème. Et oublient de nommer les véritables ennemis de l’Algérie : le chômage et la mal-vie.