Mardi 14 février, le Congrès espagnol a approuvé, la proposition législative d’Unidas Podemos datant d’avril 2022 d’octroyer la nationalité espagnole aux Sahraouis nés avant 1976. Elle sera donc discutée par les députés espagnols en vue de son approbation. En effet seuls 118 députés du PSOE l’ont rejetée, en concordance avec la position de leur parti qui gouverne le pays et qui soutient l’initiative d’autonomie du Sahara sous souveraineté marocaine. Il ne s’agit ici ni de points de vues qui s’opposeraient démocratiquement et donc légitimement sur un texte législatif local mais bien d’une entorse au droit international tel que régi par les termes des principes du protectorat, a fortiori datant du siècle passé.
Au-delà de l’aberration de chercher à assimiler une population près d’un siècle après avoir quitté par la force du droit international (ONU) et de la lutte armée marocaine, le Sahara marocain, la forme juridique de l’occupation espagnole dans les provinces du Sud jusqu’en 1976 n’octroie aucun droit ni aucune base légale internationale à Madrid d’assimiler les populations qui y sont nées avant que les occupants franquistes affaiblis par un Franco agonisant, ne soient chassés du Sahara. Et ce, ni présentement ni rétroactivement. Il convient pour cerner la question du protectorat de revenir aux principes de colonisation et de protectorat tels que régis par le droit international et que reprend l’encyclopédie Universalis :
Le protectorat colonial, « se distingue de la colonie dans la mesure où un territoire colonisé est placé sous l’administration directe de la métropole dont il fait partie intégrante, tandis que le territoire sous protectorat conserve théoriquement une relative autonomie …. Ainsi, bien que le régime du protectorat ne prévoie en principe aucune administration directe par l’État protecteur, une ingérence certaine s’est manifestée dans ce domaine, si bien qu’il a fallu avoir recours à la notion de quasi-protectorat ; la France, par exemple, exerçait une administration directe au Laos ainsi qu’en Tunisie et au Maroc. Cependant, cette extension des compétences de la puissance protectrice ne fait pas pour autant de l’État protégé une partie du territoire de cette puissance ; il s’ensuit que la guerre éclatant entre eux n’est pas considérée comme un acte de rébellion mais comme une guerre internationale, et que les sujets de l’État protégé et que les sujets du Droit international public, les principes de législation coloniale et de protectorat ainsi que les travaux de juristes à travers les siècles passés de l’État protégé n’acquièrent pas la nationalité de l’État protecteur ».
Ainsi, s’il n’existe pas de code international sur le degré d’ingérence dans les affaires internes et externes du pays occupé par l’Etat « protecteur » qui varie selon les traités de protectorat, il existe deux limites intrinsèques à cette forme de domination, quel que soit les termes du mandat entre « occupant-protecteur » et « occupé-protégé » : celle de la non-annexion de ses territoires à la métropole et celle de la nationalité des autochtones.
En fait, dès la fin 19ème siècle, les juristes se sont penchés sur les implications de la multitude des situations d’occupation de territoires étrangers. Ils conviennent ainsi que le rappellent Farid Lekéal et Annie Deperchin, dans leur article pointu sur la question : « Le protectorat, alternative à la colonie ou modalité de colonisation ? Pistes de recherche pour l’histoire du droit », que :
« À la fin du xixe siècle, la singularité juridique des protectorats interroge au point qu’elle fait l’objet de travaux universitaires conséquents. En 1896, l’internationaliste français François Despagnet en fait remonter l’origine à l’époque romaine et en dessine les traits à l’époque contemporaine en ces termes : « Le protectorat tend de plus en plus à devenir un moyen d’extension de l’influence politique et économique pour les États colonisateurs sous la forme d’une sauvegarde compliquée de tutelle qu’ils exercent sur des pays moins civilisés : on retire ainsi de ces derniers pays les avantages équivalents à ceux que l’on attend habituellement des colonies, tout en évitant les charges et les responsabilités qu’entraîne l’annexion pure et simple (…) Négativement, le protectorat se définit ainsi par son refus de toute assimilation de l’État protégé et de ses populations par l’État protecteur. Positivement, il tend à se caractériser par le maintien d’un dualisme institutionnel dans l’appareil gouvernemental et administratif ainsi que par la reconnaissance d’un pluralisme juridique qui en constitue le prolongement nécessaire».
L’histoire récente et passée a montré que les conflits portés par la domination d’une nation sur une autre politiquement et économiquement viennent majoritairement d’Europe, qu’il s’agisse d’Etats (au congrès de Berlin de 1878 où s’est décidé le partage du monde, dans la guerre d’Ukraine qui tend à s’élargir dangereusement …) ou d’idées émanant de groupements politiques qui finissent par atteindre tout un ou plusieurs pays (faschisme, nazisme, néo-colonialisme …).
Hier comme aujourd’hui, l’on ne s’y trompe pas : la proposition de loi approuvée par le congrès espagnol est portée par la convoitise de la position géostratégique du Maroc en tant que porte et passage maritime de et vers son propre continent l’Afrique, les Amériques, l’Europe et l’Asie. Comme hier, le discours « civilisationnel » ne trompe personne. Au XIXeme siècle, le discours pro-protectorat étaient de tirer profit des ressources de pays sous couvert d’apporter la civilisation à des populations sauvages et primitives à moindre prix justement (sans assimiler les populations ou annexer les territoires et en faire ce que Benjamin Disraeli, définissait comme « les poids morts coloniaux » et que Naopéon III illustrait à travers son fameux mot : « l’Algérie est un boulet attaché au pied de la France »).
Aujourd’hui, les partis politiques qui ont approuvé ce texte pour le soumettre au vote tentent de cacher leurs dents longues sous couvert de réparer une injustice du passé (encore faut-il s’accorder sur l’injustice et son étendue géographique et humaine, à réparer directement auprès du pouvoir central) pour assimiler des Marocains et les administrer comme si Sebta et Melilia n’étaient un caillou de trop dans la chaussure des relations hispano-marocaines.
Un tel vote serait un pas en arrière dans la démarche pragmatique du gouvernement Sanchez motivée par la légalité internationale et la lutte pour la stabilité des Etats et des populations actée le 18 mars 2022, un mois avant la proposition du texte de Podemos, assassin du principe de non-ingérence internationale dans la compétence nationale d’un pays tiers, en l’occurrence le royaume du Maroc.