Si vous connaissiez déjà l’expression « avoir la main sur le cœur », apprêtez vous à découvrir aujourd’hui « avoir le cœur sur l’objectif ». Cette expression est le moyen le plus simple et le plus concis de décrire Farzana Quaraishi, cette photographe dont l’oeuvre n’est qu’humaine et passionnée.
Farzana, d’origine bangladeshie, a vécu la majorité de son enfance au Maroc. En 1976, sa famille décide d’immigrer depuis le Bangladesh après que son père, géologue, ait reçu une offre d’emploi au Maroc. C’est ainsi que Farzana arrive à Rabat à l’âge de 7 ans. Elle fait l’école marocaine, apprend couramment la darija, et s’imprègne totalement de la culture marocaine. Elle ne retournera au Bangladesh qu’après avoir obtenu son bac en 1989, une transition qu’elle ne vivra pas de manière fluide puisque « dans ma tête, j’étais marocaine », explique-t-elle. 1989 coïncide également avec l’année d’inauguration de la première Ambassade du Maroc au Bangladesh, et les étoiles s’aligneront ainsi parfaitement avec Farzana puisqu’elle rencontrera, par ce biais, son époux, un diplomate marocain. Elle se rappelle en riant, « j’étais loin d’imaginer que j’allais rencontrer un Marocain au Bangladesh, et encore moins que j’allais l’épouser ».
Farzana rentre au Maroc une deuxième fois, mariée, et elle y devient maman pour la première fois. C’est là que commencera un périple à travers différents pays, vu la fonction de son mari, qui éveillera en elle cet amour de la photographie. Son premier séjour diplomatique fût en Iran, en 1995, où elle découvre la vraie culture du pays, sans stigmatisation ni stéréotypes. S’ensuit un périple en Arabie saoudite. Durant son récit, la capacité d’adaptation de Farzana à divers milieux est facilement palpable. Elle passe de culture en culture, de tenue en tenue et de règles en règles comme un poisson dans l’eau, et essuie les restrictions d’un revers pétillant, se disant que rien de cela ne dure. Mais le pays qui fût le coup de foudre de Farzana est la Turquie, et plus spécifiquement Istanbul. Elle décrit d’ailleurs son premier face à face avec la ville : « Je suis arrivée le soir et le matin en sortant, j’ai eu ce sentiment d’avoir toujours vécu à Istanbul. C’était un sentiment que je n’ai jamais ressenti dans aucune des villes que j’ai visitées ». Pour Farzana, Istanbul est une ville magique par son Bosphore et l’Histoire qu’elle réunit. Elle parle de son séjour comme la concrétisation de l’un de ses rêves d’enfant, « quand j’étais petite, il y avait 4 noms qui me fascinaient : Samarcande, Jerusalem, Constantinople et Zanzibar. J’en ai fait deux, et il m’en reste deux autres ». Ayant vécu à Istanbul, dont l’appellation historique est Constantinople, Farzana l’enfant pouvait désormais rayer ce souhait de sa liste.
En évoquant sa passion pour la photographie, Farzana s’amuse, « c’est dans les gênes », dit-elle, en référence à son père, qui lui-même était féru de photographie et dont elle estime avoir hérité le don et la passion. En arrivant à Istanbul, Farzana décide d’arrêter l’enseignement, et découvre un groupe d’individus francophones qui accueillent les expatriés à Istanbul et leur font visiter la ville et ses recoins à Istanbul, intitulé « Istanbul accueil », auquel elle décide de se joindre. C’est ainsi qu’elle découvrira toutes les merveilles de sa ville d’accueil, et qu’elle reprendra son appareil photo pour les immortaliser de son objectif. Trois années durant, elle sillonnera la ville, prenant en photo des gens et des monuments, jusqu’à ce qu’elle quitte la Turquie pour une nouvelle destination : les Etats-Unis. Une fois arrivée à New York, Farzana décide d’entreprendre des cours de photographie au New York Institute of photography afin d’améliorer ses techniques.
Etant née et ayant vécu dans un pays « très coloré », comme elle aime décrire le Bangladesh et le Maroc, la couleur est un aspect important dans l’art de Farzana. « Quand je suis arrivée à New York la première fois, j’ai pleuré pendant trois mois parce que je trouvais la ville grise et morose. Heureusement, j’ai fini par les retrouver, mes couleurs », raconte-t-elle. Farzana, qui aimait tout prendre en photo au début, a fini par affiner son registre à New York, « j’ai éliminé les photos de mariage, les événements que je faisais pour des amis », et elle a gardé la beauté de la spontanéité, avec des rencontres inattendues, des étrangers, des jolies coïncidences.
« Tout le monde peut prendre des photos, aujourd’hui, mais c’est réellement l’histoire derrière la photo qui fait la différence », relate Farzana, en expliquant qu’en prenant ses clichés, elle aime aussi récolter les petites histoires authentiques des personnes qu’elle photographie, « et c’est drôle parce qu’au début, j’avais très peur d’approcher les gens, peur qu’on me rejette, ou qu’on m’attaque pour avoir pris une photo d’eux ». Bien qu’elle ait surmonté cette peur, puisque dans certains pays, les gens sont moins « caméra-phobes » que d’autres, elle raconte que l’année dernière, elle a prise à partie à Casablanca pour cette raison. Sur son compte Instagram, elle publie ses photos et les accompagne des histoires de leurs propriétaires.
De toute cette évolution, Farzana garde surtout de bons souvenirs qu’elle vous relate en tout enthousiasme et passion, vous donnant l’impression de les avoir vécus avec elle. Toutes ces histoires et ces rencontres sont ce qu’elle aspire à trouver ses photographies. « j’ai voyagé toute ma vie, que ce soit avec mon père ou mon mari, et donc il est essentiel pour moi de rencontrer de nouveaux gens et de nouveaux horizons ». Autour de son art, décidément tout aussi humain que technique, elle affirme « c’est une illusion de croire que l’on prend des photos avec une caméra. On le fait avec les yeux, le cœur et la tête ».