Le gouvernement français en avait fait une de ses réponses à l’assassinat terroriste d’un enseignant fin 2020 : le Fonds Marianne devait promouvoir les « valeurs de la République » mais l’utilisation controversée de ses 2,5 millions d’euros de dotations éclabousse aujourd’hui l’exécutif.
Soupçons de détournement de fonds, accusations de favoritisme, contenus controversés… Trois ans après sa création, ce fonds est au coeur de deux enquêtes, judiciaire et parlementaire, et a été éreinté par la famille de Samuel Paty, le professeur décapité le 16 octobre 2020 à la sortie de son collège de région parisienne par un jeune islamiste radical.
En pleines rumeurs de remaniement gouvernemental, le scandale menace aujourd’hui de rattraper l’initiatrice du fonds, Marlène Schiappa, soutien de la première heure d’Emmanuel Macron et ministre médiatique et clivante. Après s’être défendue de tout manquement, elle passe sur le gril de la commission d’enquête du Sénat mercredi matin.
Retour fin 2020. L’assassinat de Samuel Paty, qui avait été mis en cause sur les réseaux sociaux pour avoir montré en classe des caricatures de Mahomet, soulève une immense vague d’émotion.
Le gouvernement promet alors de s’attaquer au « séparatisme », notamment religieux, qui menacerait la cohésion sociale. Une loi verra le jour en août 2021 mais l’exécutif met sur place, dès avril 2021, le Fonds Marianne pour la République, du nom de la figure symbolique incarnant la France.
Avec cet outil, Marlène Schiappa, alors ministre déléguée à la Citoyenneté, affirme vouloir financer des personnes et associations faisant la promotion des « valeurs de la République et (luttant) contre les discours séparatistes ».
Au total, l’Etat rassemble 2,5 millions d’euros pour les allouer, après examen des dossiers de candidature, à des associations. Confiée à un comité interministériel contre la radicalisation, la procédure est expéditive: 17 dossiers sont retenus deux mois plus tard et le Fonds Marianne ne fait alors plus parler de lui.
Fin mars 2023, une enquête conjointe de deux médias le remet crûment dans la lumière: elle décrit une gestion opaque, une liste de bénéficiaires tenue secrète où figure, en première place, une association méconnue –l’Union des sociétés d’éducation physique et de préparation militaire– qui aurait utilisé 355.000 euros de subventions pour des publications très peu suivies et salarier deux de ses ex-dirigeants.
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La famille de Samuel Paty se dit alors « particulièrement heurtée » par l' »utilisation douteuse » de ces subventions et « l’absence de contrôle ».
L’affaire du Fonds Marianne va encore s’amplifier.
Le site d’investigation Mediapart révèle qu’une autre structure méconnue, Reconstruire le commun, a touché plus de 300.000 euros qu’elle a en partie utilisés pour produire des contenus attaquant plusieurs personnalités de gauche.
Un rapport de l’administration dénonce le « traitement privilégié » de certaines associations. Alerté par plusieurs signalements, le très redouté parquet national financier ouvre une enquête en mai 2023, notamment pour détournement de fonds publics et abus de confiance.
Ces investigations ont connu un coup d’accélérateur cette semaine avec des perquisitions chez plusieurs acteurs-clés du dossier, dont l’ancien préfet qui gérait ce fonds au sein du gouvernement et qui a été contraint à la démission.
Dominé par l’opposition de droite, le Sénat a parallèlement mis sur pied une commission d’enquête qui a commencé ses auditions, dont certaines se sont révélées embarrassantes pour Marlène Schiappa, aujourd’hui secrétaire d’Etat à l’Economie sociale et solidaire.
Devant les sénateurs, son ancien directeur de cabinet, tout en rejetant tout favoritisme, a concédé qu’une association candidate au Fonds Marianne avait été retoquée à la suite d’un « arbitrage défavorable de la ministre ».
Il s’agissait de l’association historique SOS Racisme dont le président avait irrité le gouvernement en critiquant durement sa loi contre le séparatisme. Interrogé par l’AFP, Dominque Sopo a expliqué qu’il avait d’abord reçu l’assurance orale d’une subvention de 100.000 euros avant un brutal revirement. « Après, plus de son, plus de lumière. On n’a pas eu de subvention », a-t-il affirmé.
Le rôle exact de Mme Schiappa reste à éclaircir mais son maintien au gouvernement semble ne tenir qu’à un fil. Dimanche, la Première ministre Elisabeth Borne lui a apporté un très timide soutien. « Je ne pense pas que ce soit nécessaire » qu’elle quitte son poste, a-t-elle lâché.