Le Monarque a présidé, le 13 février, à la province de Chtouka Ait Baha, la cérémonie de lancement de la nouvelle stratégie de développement du secteur agricole baptisée “Génération Green 2020-2030”. Une stratégie qui semble être un remake du Plan Maroc Vert (PMV).
Le Plan Maroc Vert (PMV), lancé en 2008 par le Monarque, se devait dans son application d’être le principal levier de l’économie nationale et de l’agriculture marocaine, vu ses contours et ses fondements. En effet, le PMV vise à soutenir l’agriculture sous deux axes. Le premier concerne l’agriculture moderne à valeur ajoutée et à haute productivité répondant aux exigences du marché. Quant au deuxième, il a pour but d’améliorer les conditions de vie du petit agriculteur et de lutter contre la pauvreté dans les zones rurales en augmentant les revenus agricoles dans les zones les plus vulnérables.
Selon le ministre de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts, en fonction depuis octobre 2007, Aziz Akhannouch, la stratégie de développement du secteur agricole baptisée “Génération Green 2020-2030” lancée par le Souverain le 13 février dernier, se base sur une capitalisation des acquis réalisés par le PMV. Elle s’articule autour de deux axes : la valorisation de l’élément humain et la naissance d’une nouvelle génération de jeunes entrepreneurs. A première vue, les deux stratégies sectorielles partagent les mêmes objectifs.
Rappelons que le Souverain a reçu, le 19 octobre 2018, au Palais Royal de Marrakech, le ministre de l’Agriculture. Le Roi a réitéré au cours de cette audience ses souhaits pour un monde rural marqué par la création de nouvelles activités génératrices d’emplois et de revenus, essentiellement en faveur des jeunes. Le Roi a réaffirmé ainsi l’importance d’intégrer les questions de l’emploi et de la réduction des inégalités et de lutte contre la pauvreté et l’exode rural au cœur des priorités de la stratégie de développement agricole. C’est un constat d’échec qui a été officialisé par le Roi lui-même : la mise en application du Plan Maroc Vert par Aziz Akhannouch a failli. Par conséquent, les orientations choisies depuis dix ans par le ministre en matière de stratégie agricole au profit de la génération d’emplois et de revenus devaient être repensées et corrigées.
De surcroît, si le PMV avait vraiment réussi à distribuer les revenus correctement, et améliorer le niveau de vie de la population, le Roi n’aurait pas eu besoin d’en faire un point dans son discours lors de l’ouverture de la session parlementaire d’automne en 2018, en parlant de classe moyenne et d’emploi des jeunes. C’est le Souverain, lui-même qui a infligé le démenti le plus catégorique à la propagande du ministère de l’Agriculture, selon laquelle le PMV a, bel et bien, fonctionné grâce à « bilan positif « qui confirme le potentiel de l’agriculture comme gisement d’emplois.
Soulignons que le dernier rapport de la Cour des comptes fait savoir que la performance du secteur agricole est restée modérée, en comparaison avec l’objectif fixé par le PMV, à savoir un additionnel de 100 milliards de dirhams de richesse créé par le secteur à l’horizon 2020, affichant un manque à gagner de 31,7 milliards de dirhams entre 2013 et 2018. Ce rapport souligne aussi que la poursuite de la volatilité du taux de croissance de l’agriculture et la légère baisse de sa part dans le PIB n’ont pas permis d’entretenir son apport à la croissance économique. La part du secteur dans l’emploi total a également connu une baisse tendancielle, entre 2008 et 2018, passant de 40,9% à 34,1%, alors que la dynamique engendrée par le PMV devait s’accompagner d’une création brute de 125.000 emplois, en moyenne, par an. L’étude pointe, par ailleurs, les faibles réalisations des filières sucrière, oléicole et laitière par rapport aux prévisions annoncées dix ans auparavant.
Alors que le ministre de l’Agriculture a été chargé par le Roi d’élaborer et de lui soumettre « une réflexion stratégique globale et ambitieuse pour le développement du secteur », le ministre s’est contenté d’un remake du PMV. En effet, selon l’économiste Najib Akesbi, la « Génération Green 2020-2030 » est, de toute évidence, la réincarnation du Plan Maroc Vert (PMV). En clair, « c’est un PMV II ! ».
M. Akesbi signale, dans une déclaration à Barlamane.com/fr, que le Maroc s’est engagé dans un PMV II alors que le PMV I, qui a échoué à réussir 90% de ses objectifs, n’a pas été soumis à une évaluation publique et approfondie au niveau national. Il dénonce ainsi l’élaboration de ce spin-off, à l’instar de plusieurs plans sectoriels, par un cabinet privé, au détriment des ingénieurs, agriculteurs, cadres nationaux, « principaux concernés de cette vision ». « Il fallait absolument avoir un débat public non pas pour pointer du doigt l’échec de ce plan, mais pour déterminer ce qui ne va pas et où cela ne va pas pour améliorer le PMV II », a-t-il indiqué.
Rappelons que le PMV a été concocté en un laps de temps par un cabinet de conseil international [NDLR : le cabinet McKinsey]. Par conséquent, les acteurs concernés, tels que les ingénieurs, les agriculteurs et les personnes concernées par la réflexion sur la politique agricole nationale ont été écartés, ce qui explique pourquoi ce plan ne tient pas compte de la réalité marocaine et ne s’intéresse qu’aux grands exploitants. Afin de permettre au Plan Maroc Vert d’apporter au moment opportun les amendements nécessaires à sa mise en œuvre, il fallait mettre en place un système de suivi et d’évaluation intégré et participatif qui devait définir ses éléments clés, ses principales composantes, son fonctionnement ainsi que ses indicateurs. Pourtant la vision royale était claire d’une agriculture pour tous sans exclusion basée sur approche participative mobilisant l’ensemble des intervenants concernés.
La situation du secteur agricole marocain n’a cessé de se dégrader. Les différents bilans présentés précédemment par le ministre de l’Agriculture ont été appuyés sur des chiffres qui visaient à masquer la réalité d’un échec notoire du PMV, ainsi que pointé notamment par la Cour des Comptes. Un échec qui a été, toutefois, souligné par le Souverain lui-même lorsqu’il a demandé à Akhannouch de repenser ses stratégies agricoles.
Il a fallu au ministre 482 jours d’attente, tout en omettant d’impliquer les personnes concernées par la réflexion sur la politique agricole nationale dans cette opération de recalibrage, pour présenter une nouvelle stratégie baptisée “Génération Green 2020-2030”, un spin off du PMV qui témoigne surtout de l’échec de sa mise en application.