Il aura fallu à El Otmani six mois de conciliabules avec les différentes composantes pour former son gouvernement II et cinq ans pour réitérer, devant le parlement, que son gouvernement est social et aurait quasiment atteint tous les objectifs promis dans sa déclaration gouvernementale. Les faits et indicateurs économiques contredisent son propre satisfecit.
Il faut reconnaître les conditions internes et externes dans lequel ce gouvernement hétéroclite a été formé et dont la composition dans son ensemble ne reflète pas nécessairement les urnes. Il faut souligner également la pression de l’engagement avec le fonds monétaire international (FMI) par le biais de la ligne de précaution et de liquidité (LPL).
Cependant il faut déplorer dès le départ, le programme sans grande ambition de ce gouvernement. Dans sa déclaration d’intentions l’objectif de taux de croissance est en deçà des prévisions précédentes. Il marque de surcroit, son incapacité à prévoir un taux de croissance stable, son objectif se situait, rappelons-le, dans une fourchette comprise entre 4,5 et 5,5 % (les gouvernements précédents envisageaient des taux de 7 ou 8%). Pareil concernant le chômage, l’objectif était d’arriver à un taux de 8.4 %. Alors que le gouvernement précédent s’était fixé un objectif de 8%.
Le profil bas que ce gouvernement « mal né » semble avoir intériorisé d’office réside aussi dans l’abandon dès 2017 du plan Emergence qui était prévu pour 2020.
Malgré cette genèse, les résultats de la période 2017-2021 sont en deçà de ce qui aurait pu être réalisé. La rigueur qui nous impose d’analyser les indicateurs économiques prenant en compte l’exceptionnalité de 2020, ne change en rien le constat sur les faibles résultats de ce gouvernement, chiffres officiels à l’appui.
Indicateurs économiques
Le taux de croissance moyen de 2017 à 2021 est de 1,6 %. Même si on retire 2020 targuée d’année biaisée, le taux est à 3,6 %. Ainsi avec ou sans 2020, on est loin de l’objectif très timide compris entre 4,5% et 5,5%.
Cet écart de 3 à 4 points par an traduit un manque à gagner de 30 à 40 milliards par an donc 250 milliards sur 5 ans de manque à gagner par rapport aux prévisions.
Le deuxième indicateur qui permet de juger d’un bilan est le chômage. Il était prévu, dans la déclaration gouvernementale de l’abaisser à 8. 4 ; on est actuellement à 10.4 et ce, sur la base des chiffres officiels. On est au minimum à un écart de 1,5 point par rapport aux prévisions. Sachant qu’il y a 1,5 million de chômeurs sur une population active de 12 millions, et quelque 10,5 millions d’employés.
Troisième indicateur à prendre en compte : le déficit budgétaire. L’objectif était de le limiter à 3 % Il est à 4,9. Si l’on enlève l’année 2020 des 5 ans de l »ère el Otmani », on est toujours loin des 3% puisque le taux de déficit est tout de même à 4,3%.
D’autres éléments importants sont à prendre en considération, hors les indicateurs sur des objectifs chiffrés dans la déclaration gouvernementale.
Le déficit commercial : il est aujourd’hui autour de 18 % du PIB ce qui équivaut à une moyenne énorme de l’ordre de deux cents milliards de dirhams. Ces cinq dernières années révèlent d’une part que le gouvernement est très loin de redresser la situation et d’autre part que le déficit s’accentue au moins en valeur absolue.
Deuxième élément : l’endettement. Lui aussi ne fait qu’augmenter. Comme tous les gouvernements, celui-ci a prétendu réduire le déficit du trésor à 60% du PIB.
On est aujourd’hui, chiffres officiels à l’appui, à 78 % du PIB. Ce taux concerne uniquement la dette du trésor et non pas la dette publique qui est encore plus grande. Même sans compter 2020, on s’est considérablement endetté. En 2019, on était aux alentours de 65-66 % du PIB. Donc loin de l’objectif de 60 %.
Quand El Otmani qualifie le bilan de son gouvernement de social, il faut parler des moments forts de ces cinq ans.
Les réformes
La réforme sur la rente, qui était un des points forts du discours du parti de la majorité est aux oubliettes depuis 2013. C’est le rapport de la CSMD qui l’a remise à l’ordre du jour.
La libéralisation des hydrocarbures, dans le cadre de la réforme de la caisse de compensation est anarchique. En effet, le rapport de la commission parlementaire en 2018 fait état des abus dont les prix maintenus à l’intérieur alors qu’à l’international ils avaient baissé ainsi que des marges considérables que s’octroient les importateurs.
L’imbroglio des hydrocarbures est également lié à la situation de la Samir -cette industrie nationale qui permettait de ne pas payer en externe que pétrole brut- arrêtée en aout 2015 (un mois avant la libéralisation des hydorcarbures) sur laquelle le gouvernement continue de louvoyer alors que la justice a dit son mot. Notons qu’à cette époque 3 ministres sont représentants de groupes pétroliers. Dans le gouvernement El otmani II, il en reste deux.
Par ailleurs, pour réussir la libéralisation des prix et casser la rente liée à ce système, tel que préconisé par le FMI, il aurait fallu au préalable mettre en place un revenu direct à distribuer à la population qui aurait été appauvrie du fait de l’augmentation des prix. El Otmani en héritant de ce dossier de l’époque Benkiran, avait certifié que son gouvernement distribuerait un revenu direct que la population cible attend encore. Alors qu’il s’agissait de commencer par les listes de la Ramed existantes et les améliorer ou les assainir annuellement. Et ce puisque le système de transfert d’argent via téléphone et code est huilé. Des procédures simples qui auraient permis de répondre à la crise sanitaire engendrée par le Covid-19 immédiatement au lieu des deux moins durant lesquelles la population appauvrie a du attendre la mise en place de ces listes. De même que cette population attend toujours les promesses du PJD, concernant le gaz butane, le sucre et la farine qui devaient faire partie de la réforme de la caisse de compensation sous prétexte que ce sont les riches qui profitent des subventions.
Les exemples de réformes qui sont au même point (mort) qu’à l’arrivée de ce gouvernement sont pléthores : celle de la retraite, si celle de la CMR entamée par le gouvernement Benkiran a été terminée car la plus simple, celle de la CNSS, de la CIMR de la RCAR (Régime Collectif d’Allocation de Retraite) attendent toujours.
La reforme de la fiscalité qui était incontournable et devait être inscrite dans la loi de finances 2019 n’a pas eu lieu. A deux mois des élections ce gouvernement a fait passer la loi cadre qui sera inscrite dans la loi de finances 2022, indépendamment de son contexte.
La contestation sociale
De plus, comment un gouvernement qui se dit social peut-il prendre fait et cause contre la population, pour répondre au boycott né en 2018 sur les réseaux sociaux frappant trois produits symboliques ? Rappelons-le pour la première fois au Maroc, une grande partie de la population dénonce le mariage de la politique et des affaires. La réaction de certains ministres sont de ces moments de vérité qui contredisent l’appellation «gouvernement social » dont s’enorgueillit El Otmani : la réponse d’Akhennouch, au salon de l’agriculture ou encore celle du pjdiste Lahcen Daoudi en manifestant aux côtés des employés de Danone.
Quant au Hirak du Rif, le gouvernement s’est contenté de regarder ailleurs pendant près de quatre mois, laissant la situation se détériorer jusqu’à la profanation de la mosquée. Car à bien y regarder de près, le hirak, au départ, ce sont des jeunes, qui dans une région déshéritée ont demandé des écoles, des hôpitaux, des usines pour travailler. Un gouvernement complètement libéral se serait certainement comporté différemment.
Paupérisation de la population avant 2020
Et pour finir, les chiffres concernant la pauvreté avancés par El Otmani devant le parlement pour défendre son gouvernement « social » ne prennent pas en compte ceux du HCP dans l’étude « Revenus des ménages Niveaux, sources et distribution sociale » dans laquelle pour la première fois, le HCP assure avoir « essayé d’appréhender cette question à travers une enquête directe auprès des ménages » ni « Sources de revenu des ménages : structure et inégalité ». S’appuyant sur les chiffres de 2019 (en dehors de l’année exceptionnelle de 2020), on y apprend que « le seuil de pauvreté est de 46% au-delà du seuil socialement tolérable de 42%, selon l’indice Gini ». On y lit également que « en 2019, la part des personnes à faible revenu est de 12,5 % à l’échelle nationale, 6,8 % en milieu urbain et 22,9% en milieu rural. Au total soit 4,5 millions de personnes sont pauvres à titre de pauvreté relative, dont les deux tiers (66,4%) résident en milieu rural ».
En conclusion, même si l’on se réfère au rapport de la CSMD, le constat sur l’économie marocaine n’est pas réjouissant.
Les faits chiffrés du HCP et les décisions politiques prises contredisent les discours populistes du gouvernement El Otmani. Car même dans les limites de son pouvoir défini par la Constitution, le gouvernement aurait pu faire preuve d’initiative sur tous ces plans.