Comment expliquer la cécité d’Ignacio Cembrero alors que la Catalogne est meurtrie ? Le petit manège du journaliste décrié, c’est le jugement qui engage, le fait et le commentaire associés, quand il s’agit du Maroc. Et un retrait prudent, un silence coupable, quand il s’agit de son pays, l’Espagne, alors même qu’il peut y disposer, de sources et d’indicateurs qui peuvent être croisés.
Ignacio Cembrero s’est arrogé, depuis plusieurs années, un droit de regard critique sur le fonctionnement des institutions marocaines, pérore sur l’action du Roi Mohammed VI, sur le Sahara, sur la situation politique nationale. Sans discernement des causes, sans décryptage subtil, sans visée méthodologique, faut-il le souligner. Il donne le ton, vit dans la croyance que le fond de sa pensée est le seul qui compte, comme en février 2018, quand il affirme sur El Confidencial dans un énième exercice d’enfumage, qu’un sombre mouvement baptisé le «Mouvement populaire du Rif», a été autorisé à manifester en faveur de l’indépendance de la Catalogne. Sauf qu’un factchecking d’un confrère marocain a démontré que cette information a été fabriquée, comme ses nombreuses divagations pour ternir l’image du Maroc et les relations Maroc-espagnoles ; d’autant que le mensonge était trop gros pour que l’on croit que le Maroc s’aligne sur autre chose que sa position basée sur le respect de la souveraineté du Royaume ibérique.
C’est presque toujours lorsque le Maroc connaît une riche actualité que les rumeurs cembreriennes se mettent à circuler. La déontologie n’a jamais été une préoccupation majeure pour l’homopublicus madrilène, connu pour son verbe vengeur, son interpellation directe et ses libelles sensationnalistes, peu convaincants. L’on s’interroge parfois : quand Cembrero écrit, se contraint-il à revoir sa copie, à (se) corriger, à prouver, à opérer les réglages qui s’imposent ? Nullement.
L’actualité concernant la Catalogne montre que la région secouée par les émeutes a fait 182 blessés et 83 interpellations. L’on attend les lumières d’Ignacio Cembrero sur les conséquences de ces événements liés à une volonté séparatiste catalane de l’État espagnol, qui, affirment les connaisseurs, transgresseraient les limites de ces deux territoires et auraient des contre-coups politiques en Europe. L’on souhaite que Cembrero se penche sur la réalité politique, économique et sociale de la Catalogne, en abordant par là même la problématique incessante de sa relation à l’ensemble de l’Espagne.
Il faut voir l’invétéré quand il parle du «droit international» et du «principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes» quand il aborde le sujet du Sahara, le tout agrémenté de jugements de valeur et d’interprétations fallacieuses. Ses récits sur les «cycles de pourparlers informels avec le (front) sous l’égide de l’ONU», sa déconsidération du principe d’autonomie avancé par le Maroc, la seule solution viable de l’aveu de la communauté internationale, démontrent que la restitution fidèle des faits n’est pas le fort de Cembrero.
Les faits en Catalogne ? Pavés et odeur de brûlé, près de deux cents blessés dans l’ensemble de la région selon le bilan provisoire, manifestations indépendantistes, violents affrontements nocturnes, cartouches de balles de caoutchouc, vitrines abîmées, 152 personnes prises en charge, gaz lacrymogènes, des groupes d’émeutiers lançant pierres et objets métalliques, 525.000 manifestants à Barcelone, autoroutes coupées, blocage de l’aéroport par plus de 10.000 personnes, scènes de guérilla urbaine, etc. La question qui se pose : Pourquoi Ignacio Cembrero reste taiseux face à tout ce chaos ?
L’expression forte depuis plus de quelques années, en Catalogne, c’est le «droit de décider» : la vie politique catalane, les débats, les différents affrontements électoraux, présents et futurs tournent autour, voire même se focaliser essentiellement sur l’hypothèse d’une Catalogne indépendante de l’Espagne. En attendant que Cembrero se joigne au débat, à l’analyse ou tout au moins au simple travail d’information.
Et là, l’on se rend compte que l’objectivité journalistique dans son rapport à la vérité et aux faits est un mythe pour Cembrero : quand il s’agit des participants à une manifestation au Maroc, il évoque les chiffres des organisateurs et ceux de la préfecture de police, note les détails du cortège, la longueur des rangées de personnes et la largeur des rues investies, quitte à «bidonner» les données. Quand le Catalogne bouillonne, il s’abstient de faire le lit de l’information tendancieuse, ou de l’information tout court, reste muet sur l’essentiel, désactive son sens de l’observation.
La défiance envers Cembrero n’est pas nouvelle, mais elle s’aggravera sensiblement. Censé révéler les maux de la société et aborder la question du fonctionnement de la démocratie, Cembrero semble allergique à l’actualité de son pays. Il est devenu ce qu’il est véritablement : un messager peu fiable, le jouet d’intérêts qui le dépassent. Le «journaliste qui se croit justicier», comme ses « prometteurs », ont perdu, définitivement.






