L’année 2020 a été marquée par le lancement de l’initiative royale Intelaka, un programme qui visait à soutenir financièrement quelque 13 500 TPME annuellement, avec un objectif de la création de 27 000 emplois par an. Toutefois, à la suite de la pandémie, la mise en oeuvre de ce programme a été freinée.
Youssef Guerraoui Filali, directeur du Centre marocain de gouvernance et de management (CMGM), revient dans cette interview accordée à Barlamane.com/fr sur le lancement d’Intelaka et sur la stratégie d’accompagnement des entrepreneurs.
Barlamane.com/fr : En février et mars, Intelaka a connu un démarrage très intéressant. Puis est venu le confinement. Comment évaluez-vous donc la première année d’existence de ce programme novateur ?
Youssef Guerraoui Filali : Le Programme intégré d’appui et de financement des entreprises (PIAFE) a connu tout un élan courant le 1er trimestre de l’année précédente. Mais dès l’apparition du 1er cas de contamination à la Covid-19 au Maroc, tout a été bouleversé. En effet, dès que le gouvernement avait décrété l’état d’urgence sanitaire, le projet Intelaka a été mis en veilleuse.
Le projet a été entièrement gelé puisqu’on ne pouvait pas octroyer le crédit d’investissement Intelaka à des entreprises en arrêt quasiment total des activités. Mais dès le déconfinement progressif du Maroc, les autorités bancaires ont réactivé les dossiers en instance et certains entrepreneurs et porteurs de projets ont pu bénéficier du PIAFE.
Barlamane.com/fr : Intelaka VS crise sanitaire : où en est maintenant à la suite de la relance du programme ?
Youssef Guerraoui Filali : Aujourd’hui, on parle de 15 000 entreprises économiques bénéficiaires avec une enveloppe globale qui avoisine les 2 MMDH en termes de crédits à l’investissement Intilaka (plafonné à 1 200 000,00 DH), incluant aussi le prêt d’honneur plafonné à 50 000 DH en additionnel. Cependant, ce sont les moyennes et petites entreprises (PME) qui ont le plus bénéficié du programme. Les très petites entreprises (TPE), les auto-entrepreneurs et porteurs de projets rencontrent toujours des difficultés pour accéder à ce mécanisme de financement, et qui demeure le plus compétitif dans l’histoire du marché bancaire (taux d’intérêt réduit à 2% en milieu urbain et 1,75% en milieu rural).
En outre, l’année actuelle est une période propice pour la relance du projet Intilaka, en marge des avancées réalisées par le Maroc en termes de campagne de vaccination. La présente relance économique devrait être marquée par un réel accompagnement technique et financier des porteurs de projets, afin de faire émerger une nouvelle génération d’entrepreneurs marocains gisement de productivité et de croissance durable.
Barlamane.com/fr : Plusieurs représentants de TPME, notamment la Confédération marocaine de TPE-PME, indiquent que quelques porteurs de projets ont vu leurs dossiers rejetés. Comment justifier ces refus ?
Youssef Guerraoui Filali : Tout d’abord, il est question d’une meilleure compréhension du Projet Intilaka qui est un financement de l’investissement en cycle d’exploitation. Ce qui veut dire qu’on vous finance l’achat du matériel de production ou l’aménagement d’un espace de fabrication ou de transformation, en vue de créer de la valeur. A titre d’exemple, les acquisitions de véhicules de tourisme ou l’achat de marchandises pour reventes à l’état constituent des dépenses non incluses dans ce financement spécifique à l’investissement. Il est aussi question de présenter un dossier complet et convaincant à la banque (note explicative de l’affaire, business plan ficelé, devis, étude de marché, contrat de bail ou titre de propriété pour le lieu du projet…). Mais, il faut aussi savoir que la majorité des porteurs de projets et entrepreneurs ne sont pas formés en affaires et gestion d’entreprise, ce qui interpelle les autorités en charge de l’entrepreneuriat d’activer un véritable accompagnement en la matière.
Par conséquent, certains dossiers des TPE et porteurs de projets se sont vu refuser leurs dossiers à cause de la non-solvabilité bancaire des personnes concernées. En général, c’est des personnes en contentieux avec les banques, mais la problématique, selon moi, est qu’il ne faut pas lier ce financement «spécial» aux autres crédits classiques où on exige des fois des garanties personnelles ou des nantissements.
Malheureusement, certains entrepreneurs m’ont même contacté pour demander mon avis sur le nantissement de leurs usines ou sociétés pour pouvoir bénéficier du crédit d’investissement Intelaka, et comme quoi c’est une condition maîtresse de la banque pour le déblocage des fonds. Or, ce crédit est garanti d’office par la Caisse centrale de garantie sous condition d’un projet qui tient la route et d’un dossier convaincant, ce qui dire qu’aucune autre garantie ne doit être demandée.
Barlamane.com/fr : Aucun programme d’accompagnement n’a été lancé avec Intelaka pour orienter et aider les demandeurs. Est-ce que vous pensez que ce manque de communication et d’accompagnement a affecté l’optimisation des résultats du programme ? Y a-t-il, selon vous, d’autres failles ?
Youssef Guerraoui Filali : Modestement, nous au Centre marocain pour la gouvernance et le management (CMGM), qui est un centre de recherche et de formation associatif, avons œuvré pour l’accompagnement à distance des TPE et porteurs de projets et ont même fait des tournées en régions avant la propagation de la pandémie du coronavirus.
Mais effectivement, à part quelques initiatives de certains institutionnels, nous observons aujourd’hui une pénurie des actions d’accompagnement à l’entrepreneuriat et à l’administration des affaires. Pour cela, nous avons véritablement besoin d’une approche nationale transverse de pilotage afin de mener un accompagnement fédéral des TPME de notre tissu économique et sur les 12 régions du royaume, et à travers l’implication de tous les acteurs (gouvernement, secteur bancaire, institutionnels de l’entrepreneuriat, patronat, société civile…).
Barlamane.com/fr : Quels conseils pouvez-vous donner aux chefs de petites entreprises désirant bénéficier de ce programme ?
Youssef Guerraoui Filali : Le 1er conseil serait de bien maîtriser son projet et les éléments du dossier. Si vous êtes convaincu de votre dossier, vous saurez convaincre votre financeur. 2e conseil, savoir argumenter et défendre son dossier, car le banquier cherche toujours à maîtriser le risque de financement et c’est à vous de l’assurer sur sa maîtrise (bonne connaissance du marché, bon renseignement sur le comportement du client local, maîtrise de l’environnement de votre affaire…).
Au-delà, il faut penser aussi à assurer un meilleur suivi du projet post déblocage des fonds. L’aventure ne se termine pas dès l’octroi du crédit d’investissement, mais il va falloir honorer ses engagements et faire réussir son affaire. Pour cela, la bonne gestion financière et économique du projet est indispensable afin de faire réussir son affaire.
Barlamane.com/fr : A votre avis, le programme Intelaka saura-t-il relancer l’économie marocaine ?
Youssef Guerraoui Filali : Le PIAFE ou tout simplement «Intelaka» est un mécanisme de financement inédit aujourd’hui au Maroc. Je pense que c’est le moment propice pour le réactiver efficacement afin de soutenir la présente relance économique. En effet, la promotion du tissu entrepreneurial marocain est essentielle pour l’émergence d’une nouvelle génération d’entreprises contemporaines porteuse de projets d’avenirs en filières à forte composante technologique (robotisation, intelligence artificielle, économie numérique…).
De ce fait, il demeure nécessaire de mieux exploiter ledit mécanisme de financement, en attendant le lancement d’un autre beaucoup plus adapté au tissu économique marocain, spécifiquement les très petites entreprises (TPE), les petites entreprises (PE) et les auto-entrepreneurs, puisque ce sont essentiellement les moyennes entreprises (ME) et les grandes entreprises (GE) qui ont profité le plus du Programme Intilaka.