Le 22 août dernier, Bank Al-Maghrib et l’Agence nationale de la conservation foncière du cadastre et de la cartographie (ANCFCC), faisaient état, dans une note, d’une baisse de 0,9% dans les prix de l’immobilier dans certaines villes du Maroc, notamment Tanger et Rabat, et notaient une diminution de 8% des volumes des transactions. Qu’en est-il réellement de cette baisse du prix au m2 ? at-elle séduit les particuliers ?
Ismail Slaoui, promoteur immobilier, livre à barlamane.com/fr un diagnostic de la conjoncture immobilière actuelle. Pour ce professionnel du secteur, « le chiffre le plus intéressant est surtout le volume des transactions par rapport à la même période de la même année, puisqu’au Maroc, nous avons, depuis quelques années déjà, un référentiel des prix de l’immobilier, publié par la Direction générale des Impôts (DGI) et sous l’égide du Ministère de l’économie et des Finances, qui régule les prix de l’achat et de la vente d’immobilier en zone urbaine ».
Une baisse des prix de l’immobilier effective ?
Partant de ce principe, une baisse n’est réelle que comparée à celle de la même période de l’année précédente, puisqu’il est de notoriété publique, vu les prix fixés par le ministère de tutelle par zoning, que les transactions immobilières sont sujettes à des sous-déclarations et à des sur-déclarations. En effet, le référentiel des prix des transactions immobilières est un outil qui fixe le prix minimum retenu par le fisc. Il s’agit d’une grille des prix de biens immobiliers par zone, type (appartement, villa, terrain.) et état (neuf, récent et ancien), créé dans le but d’éliminer les sous-déclarations et l’usage du noir. Cela n’empêche pas certains vendeurs de perpétrer ces pratiques fiscales illicites.
Dans le cas où, à titre d’exemple, un vendeur dispose d’un terrain estimé par la DGI à un million de dirhams, il peut le vendre à 1,2 millions de dhs et déclarer une transaction à 1 million de dirhams. Il bénéficie donc de 200.000 dhs au noir, sur lesquels aucun impôt ne sera retenu. Dans le cas contraire, si ce terrain ne rapporte à son vendeur que 800.000 dhs alors que la DGI l’a estimé à 1 millions de dirhams, le vendeur sera contrôlé sur la différence de prix. Au-delà ou en deçà de la tranche de prix fixée, la DGI redresse le vendeur. La réalité du prix de vente s’il est en deçà de sa valeur locative n’est pas prise en compte par l’instance de contrôle. On peut dire qu’elle part du principe que le citoyen perçoit une somme non déclarée aux impôts. Ce qui est susceptible de créer des ententes entre acheteur et vendeur pour échapper au redressement fiscal. On peut dire que la crise de confiance est à son comble entre citoyen et contrôleur, une crise que l’on peut étendre à la relation gouverné/gouvernants.
A la question sur ladite crise de confiance dans le secteur, M. Slaoui reconnaît qu’elle existe et qu’en conséquence, « vu, justement les sous-déclarations et les sur-déclarations, il est difficile d’établir, de manière tangible, si les prix des terrains, des villas ou autres, ont réellement baissé. » . En clair, cette baisse annoncée est loin d’être factuelle ou actée.
Cependant, il confirme qu’ « effectivement, les volumes des transactions immobilières sont en baisse et ce, à cause de plusieurs facteurs qui ne ne relèvent pas tous d’indices économiques ».
« La réalité du marché est que nous vivons actuellement une conjoncture difficile, avec une absence de liquidité. Les acheteurs aujourd’hui sont sceptiques. De la même manière que l’on évoque, en économie, le climat des affaires, il y a également un climat de l’investissement immobilier pour les particuliers, qui est actuellement très mauvais« . Si les particuliers sont aujourd’hui moins convaincus de la nécessite de l’achat immobilier, les raisons en sont multiples.
En effet, « les particuliers s’orientent plus vers la location, dont les transactions se portent parfaitement bien par rapport à la vente immobilière », fait remarquer M. Slaoui.
Quel climat pour l’investissement immobilier ?
Parmi les raisons de cette baisse d’achat immobilier, M. Slaoui estime, de par sa pratique que « le pouvoir d’achat des Marocains a nettement baissé. Nous le constatons réellement sur le terrain, ne serait-ce que sur la disponibilité des fonds de nos acheteurs potentiels lors de leur approche ». Le promoteur immobilier ramène cette cause à plusieurs facteurs, notamment au « coût de la vie qui augmente pendant que les salaires ne suivent pas son évolution haussière ; les biens de consommation de la vie quotidienne sont de plus en plus chers ; les besoins des personnes de plus en plus grandissants ». Ainsi, la capacité d’épargne des ménages a considérablement rétréci ces dernières années.
Concernant les personnes pour lesquelles l’épargne n’est pas une option, le recours au crédit peut résonner comme une option de financement valable, néanmoins, M. Slaoui fait remarquer que « les politiques de risque des établissements bancaires sont de plus en plus restrictives. C’est-à-dire que les banques accordent de plus en plus difficilement les crédits. Il y a plusieurs statistiques annuelles qui font état du nombre et du volumes des crédits octroyés, mais la statistique la plus intéressante serait de savoir combien de crédits ont été refusés« .
« Il faut observer la situation des crédits, non pas d’un point de vue macroéconomique mais plus d’un point de vue microéconomique, c’est-à-dire quels sont les types des crédits octroyés et à quel types de clients. Force est de constater que rien n’encourage les particuliers à l’investissement. Aujourd’hui, un client extrêmement solvable, qui présente toutes les garanties de risque demandées par une banque, va pouvoir s’endetter au mieux à un taux de 4,5% hors taxes, sur une durée de 15 à 25 ans. En France, par exemple, on peut s’endetter à un taux de 0,5% sans application de la TVA sur les taux d’intérêts. »
A noter également que les conditions d’octroi de prêts auprès des banques sont draconiennes. M. Slaoui explique que « les institutions bancaires demandent généralement une triple caution. Primo, l’hypothèque du bien, deuzio, une caution personnelle -soit un engagement qui concerne d’autres biens personnels que vous possédez et que la banque peut saisir en cas de non paiement- et tertio, un billet à ordre, qui équivaut à un chèque en blanc et qui est parfaitement illégal et interdit par la loi depuis 5 ans, mais que les banques demandent toujours« .
Le plus « diabolique » dans la procédure, pour Ismail Slaoui, est qu’ « aujourd’hui les banques ne consultent pas uniquement la capacité d’endettement du client et son revenu mensuel, elles jaugent même sa capacité d’épargne et auscultent son mode de vie et ses dépenses mensuelles« .
Entrent également en considération d’autres facteurs liés à la pratique immobilière. M. Slaoui explique qu’ « il y a une multiplication de l’immobilier neuf, de sorte que les promoteurs immobiliers ont beau rivaliser en idées créatives, ou en matériaux, au final, les prestations sont identiques. Il existe des règles urbanistiques auxquelles tout le monde est obliger de se conformer, naturellement, en termes de plan d’aménagement, de hauteur, de surface, entre autres. »
« Si, par exemple, les promoteurs pouvaient aménager plus en hauteur, sur 10 étages au lieu de 5 par exemple, le prix du m2 sera revu à la baisse, puisque l’incidence foncière par unité vendue, qui correspond au prix du terrain aménagé, sera parfaitement amortie, et ainsi, les biens se vendraient moins chers », étaye M. Slaoui.
En outre, dans les grandes villes, il n’y a pratiquement plus aucun terrain vide à aménager aux alentours du centre-ville. « La plupart des terrains se trouvent à la périphérie des villes, l’expansion se fait donc en largeur. Et, pour acheter un bien, il est évident que les gens préfèrent être à proximité de leur lieu de travail, des transports publics ou de l’école de leurs enfants », conclut Ismail Slaoui.
En dépit d’une baisse sensible de vente des biens immobiliers, l’instance de contrôle et les institutions bancaires doivent assouplir leurs procédures.