Le Maroc n’est pas épargné par la nécessité de se remettre en question et de reconsidérer ses politiques. En effet, la crise épidémique a levé le voile sur la fragilité d’un grand nombre d’idées acquises. Comment donc entamer une nouvelle phase de développement ? Et quelles leçons à tirer de cette crise ? Des questions auxquelles ont répondu des experts dans un hors-série de TelQuel dédié au Maroc post-pandémie.
Le Maroc doit anticiper et passer à la relance de sa machine économique et sociale de l’après-crise de la pandémie du covid-19. Car, si l’heure est à la sauvegarde des vies humaines, demain, il faut s’atteler au redressement des fondamentaux, à savoir reconstruire la confiance entre Marocains et dans les institutions, stimuler l’économie frappée par la crise, activer le Registre social unifié (RSU) et investir davantage dans la recherche scientifique.
Un nouveau regard sur « le Makhzen » et « le moqaddem » augure de l’émergence d’un nouveau pacte social pour reconstruire la confiance
Selon Hassan Benaddi, cofondateur du PAM, dirigeant syndical et ex-inspecteur de philosophie, le ministère de l’Intérieur a été en première ligne avec le département de la Santé avec la crise épidémique. Ce département dispose d’un réseau d’agents et de structures à tous les niveaux. Il a une proximité de terrain avec les populations. Dans ce cadre, « les Marocains ont découvert qu’ils disposent d’acquis importants. Et tout d’abord, d’un socle. Un socle issu d’un Etat qui existe, qu’on décriait beaucoup, qu’on critiquait beaucoup, mais qui a montré sa présence ». Confrontés à l’urgence, les pouvoirs publics ont engagé un cycle d’initiatives sans précédent : suspensions des rassemblements populaires, annulations d’événements, confinements et état d’urgence sanitaire. On note ainsi « l’émergence d’un nouveau pouvoir à la faveur de la crise sanitaire ».
Pour Abderrahmane Rachik, sociologue, le ministère de l’Intérieur a réussi à gérer cette étape décisive avec beaucoup de pédagogie, d’intelligence et de fermeté. « Le droit à la vie l’emporte sur les autres droits. L’économique est réduit, relativement, au second plan. Plusieurs décisions juridiques et sécuritaires ont été prises sans hésitation pour protéger la vie aussi bien des citoyens que des étrangers. La population exprime son adhésion à l’égard de la gestion politique et sécuritaire de la crise sanitaire ». En outre, la propagation du coronavirus et l’attitude positive des différents appareils de l’Etat à l’égard des citoyens ont permis une amélioration notable de l’image sociale de la police et du corps des médecins. Ainsi, la perception collective de l’action des agents de police comme légitime a permis de construire un sentiment de confiance chez les citoyens.
D’après Hassan Belkhayat et Youssef Tazi Mezalek, Partners de SouthBridge A&I, aujourd’hui, une entreprise peut profiter des dispositifs de l’Etat et de la CNSS sur simple déclaration qu’elle est une entreprise sinistrée. De la même manière, un ménage qui se déclare sinistré peut recevoir l’aide de l’Etat. En revanche, la CNSS ou l’Etat peuvent contrôler a posteriori et tout abus sera sanctionné d’une lourde amende. « Ces mesures augurent ainsi d’un nouveau pacte social (…) Cette philosophie doit devenir la règle pour l’ensemble des interactions de l’Etat, que ce soit avec le citoyen ou avec l’entreprise », indiquent les deux dirigeants. Ainsi, les interactions du pouvoir étatique avec les citoyens doivent être aujourd’hui officiellement dépassées dans une relation renouvelée.
Mettre en place de nouveaux mécanismes de prévoyance sociale
Il est aujourd’hui essentiel de mettre sur les rails un modèle de prévoyance réellement solidaire, avec dans un premier temps un produit assuranciel de base commun à l’ensemble de la population ; et où chacun contribue selon ses moyens. Il est possible de faciliter l’inscription à la CNSS, dans un premier temps à tous les indépendants et opérateurs de l’informel. Une cotisation minimale pourrait même être prélevée de l’aide reçue pour la première année ou pas. En revanche, l’aide reçue serait conditionnée par l’enregistrement à la CNSS.
Dans cette situation, l’inscription à un mécanisme de protection sociale serait légitime puisque l’aide directe est une action de protection sociale. Diriger l’aide vers la CNSS permet également une traçabilité, une meilleure solidarité et une responsabilisation unique du mécanisme de transfert. Ce serait également un premier pas fort pour ramener l’informel vers le formel, augmenter dans un second temps l’assiette fiscale et créer des conditions de compétition justes dans l’économie. Il est aussi essentiel d’activer le Registre social unifié (RSU). Rappelons que le gouvernement Othmani I devait travailler sur la création d’un registre social unifié pour encadrer la distribution des aides directes et enclencher la décompensation des matières premières.
Adopter des mesures pour stimuler l’économie frappée par le virus
Afin de relancer l’économie, il est important de réorienter la politique industrielle du Maroc et mettre des règles pour des achats publics qui soient durables et qui favorisent l’économie nationale. Il faut aussi ouvrir des opportunités pour l’innovation marocaine en garantissant la possibilité de transactions facilitées ou en codéveloppement est aujourd’hui une nécessité pour stimuler l’entrepreneuriat. Dédier 20% des budgets d’achat pour des TPE et PME, les artisans, avec une forte valeur ajoutée marocaine serait un moteur de stimulation salutaire et constructif de l’entrepreneuriat pendant cette crise et lors de la relance.
Pour l’économiste Larabi Jaidi, senior fellow au Policy Center for the New South, « bousculer les normes budgétaires car le choc exogène l’impose, comme le choc impose de réviser nos politiques d’importation, notamment sur les produits de luxe ». Il faut donc que l’Etat veille à une meilleure rationalisation de la dépense en revoyant son train de vie. Ensuite, il sera primordial de réaffecter certains budgets. « Certes il existe des dépenses incompressibles, comme le service de la dette ou les salaires des fonctionnaires, mais il est possible de faire des arbitrages sur les investissements publics », indique-t-il.
Encourager la recherche scientifique et le recours à l’Intelligence artificielle
Selon Hasnaa Chennaoui, chercheuse dans le domaine des météorites, et Amal El Fallah Seghrouchni, nouvellement désignée au comest de l’UNESCO, le Maroc doit améliorer sa production scientifique. Certes, des efforts ont été fournis, mais ils sont insuffisants et ont montré leurs limites. Pendant que les pays développés investissent plus de 2% de leur PIB dans la R&D, le Maroc plafonne à 0,7% avec une préférence forte pour la recherche appliquée. Des pays comme l’Allemagne investissent 70% de leur budget R&D en recherche fondamentale. Le déni de l’importance de la recherche fondamentale entraîne une dévalorisation des chercheurs qui sont perçus comme des personnes déconnectées de la réalité, travaillant sur des hobbies personnels sans importance pour le Maroc. Les conditions de travail et les techniques analytiques nécessaires doivent donc être revues et renforcées.