Près de six mois après son arrivée à la tête de la diplomatie espagnole, José Manuel Albares a échoué à résoudre la crise avec le Maroc, qui s’envenime. Elle sera son principal défi en 2022.
Dès qu’il a succédé à Arancha González Laya à la tête du ministère des Affaires étrangères, de l’UE et de la Coopération, José Manuel Albares a clairement indiqué que son intention «était de résoudre la pire crise avec le royaume voisin depuis celle de l’îlot Perejil en 2002.» Les relations entre les deux pays ont été violemment compromises depuis quelques mois, et la crise bilatérale se rattache à tout un passé, à tout un ensemble d’événements ; elle se manifeste sans cesse sous des traits nouveaux. Sa gravité s’est développée par degrés depuis quelque temps, qui a commencé par mettre en doute la capacité du gouvernement espagnol à reconstituer une situation à peu près régulière avec le Maroc. Tout le monde est bien d’accord pour la forme, au moins en apparence, sur la nécessité de prendre des mesures afin d’aplanir les difficultés et remettre l’ordre dans les liens entre les deux voisins.
Malgré des «signaux positifs» provenant de Rabat, et le discours du roi Mohammed VI en août, dans lequel le souverain a exprimé son intention d’«inaugurer une nouvelle étape sans précédent» dans la relation bilatérale fondée sur «la confiance, la transparence, le respect mutuel et le respect des engagements.» Toutefois, les fluctuations, les versatilités et les contradictions d’une politique extérieure espagnole sans suite et sans éclat ont aggravé la crise, malgré les déclarations de Albares selon lesquelles Madrid est manifestement intéressé à marcher d’intelligence avec le Maroc. Rabat répond : les deux nations ont tout à gagner à être des alliées sincères.
L’agence Europa Press a préféré énumérer uniquement les décisions marocaines : «maintenir fermées les frontières avec Sebta et Melilla, installation d’une ferme piscicole à proximité des îles Chafarinas, le contrat récemment signé par le Maroc avec la société israélienne Ratio Petroleum Energy pour la recherche de pétrole et de gaz près de Dakhla.»
Le ministre espagnol, selon l’agence, «n’a toujours pas eu d’entretien bilatéral avec son homologue marocain, Nasser Bourita, avec qui il est seulement prouvé qu’il a eu deux conversations téléphoniques au cours des derniers mois, et l’ambassadrice du Maroc à Madrid, Karima Benyaich, rappelée pour consultations le 18 mai, n’est pas encore rentrée à Madrid», a-t-on noté.
Le choix du Maroc de rapatrier une partie de ses ressortissants bloqués en Europe à cause du Covid-19 via le Portugal plutôt que par l’Espagne a déclenché, le 21 décembre, une nouvelle passe d’armes diplomatique entre Rabat et Madrid. Le 13 décembre, le gouvernement marocain avait autorisé «à titre exceptionnel» les Marocains établis à l’étranger à retourner dans leur pays à partir de trois pays une opération qui a pris fin le 23 décembre. Le ministère de la santé a indiqué avoir décidé d’organiser des vols de rapatriement à partir du Portugal – et non de l’Espagne – en raison de «l’absence de respect des protocoles sanitaires» par les autorités espagnoles.
«Cette décision s’explique par l’absence de garanties tangibles concernant le respect des mesures déjà prises, dont le contrôle du passe vaccinal et de l’état de santé des passagers, selon une approche ferme, appropriée et en conformité avec les recommandations et règles internationalement reconnues», a expliqué le ministère marocain Ait Taleb. «Les autorités espagnoles compétentes sont loin d’assurer une action rigoureuse de contrôle de l’état de santé des passagers lors de l’embarquement aux aéroports», a-t-il accusé, estimant que cette situation représente «un danger pour la santé des citoyens marocains». Selon le ministère, de nombreuses contaminations à la Covid-19 ont été détectés chez des personnes en provenance de l’Espagne via des vols privés, soit à leur arrivée, soit lors d’un transit.
Mais lors d’une conférence de presse, le chef de la diplomatie a déclaré que «le communiqué public n’est pas acceptable du point de vue de l’Espagne, car il ne correspond à aucune réalité, a réagi José Manuel Albares. L’Espagne remplit tous les critères internationaux en matière de lutte contre le Covid, le gouvernement y travaille sans relâche.» «Ce n’est pas acceptable et ça n’est basé sur aucune réalité objective. C’est ce que je ferai savoir au Maroc», a poursuivi Albares.
Il a aussi assuré que l’Espagne travaille «avec toute sa bonne volonté» à entretenir «les meilleures relations avec le Maroc». En mai, un scandale majeur avait envenimé les relations entre Rabat et Madrid à la suite de l’hospitalisation occultée en Espagne du chef du Front Polisario, Brahim Ghali, considéré par le Maroc comme un criminel de guerre. Au cœur de la brouille – qui persiste – figure également la question du Sahara et les prises de position équivoques de Madrid.
Les critiques du gouvernement espagnol l’accusent d’avoir su créer à lui-même une sorte d’irrémédiable impuissance par sa légèreté, par sa complaisance avec la ligne dure, par ses engagements de parti, par les mots trop confiants qu’il présentait comme le dernier mot de sa politique. Selon l’opposition, il n’a rien fait pour soigner avec plus de sérieux et de suite les relations avec le Maroc et se dégager lui-même d’une certaine apparence d’entente inactive.