Le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a dénoncé dimanche une volonté d’Ankara «d’attiser la haine» contre la France et a rappelé son ambassadeur. Samedi, le président turc s’était interrogé sur la «santé mentale» d’Emmanuel Macron.
Des tensions en Méditerranée au conflit en Libye, en passant par le Haut-Karabakh, les sujets de désaccords sont nombreux entre la Turquie et la France. La tension est encore montée d’un cran, ce week-end, après une passe d’armes entre Paris et Ankara à propos des caricatures de Mahomet et de la réaction des autorités françaises après l’attentat qui a coûté la vie au professeur d’histoire-géographie Samuel Paty.
Samedi, le président turc s’était attaqué directement à son homologue français, Emmanuel Macron : «Tout ce qu’on peut dire d’un chef d’Etat qui traite des millions de membres de communautés religieuses différentes de cette manière, c’est : “Allez d’abord faire des examens de santé mentale”», a déclaré Recep Tayyip Erdoğan lors d’un discours télévisé. Il y a deux semaines, M. Erdogan avait dénoncé comme une provocation les déclarations du président français sur le « séparatisme islamiste » et la nécessité de «structurer l’islam» en France, alors que l’exécutif présentait un projet de loi sur ce thème.
Le Drian dénonce un «comportement inadmissible»
Dimanche 25 octobre, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a dénoncé de la part de la Turquie «une volonté d’attiser la haine» contre la France et son président Emmanuel Macron, soulignant que l’ambassadeur de France en Turquie, rappelé «pour consultation», selon l’expression consacrée, sera de retour dès ce dimanche.
Le rappel d’un ambassadeur est un acte diplomatique rare et serait une première, semble-t-il, dans l’histoire des relations franco-turques. Le précédent rappel d’un ambassadeur français remonte à février 2019 quand Paris avait voulu protester contre une rencontre entre Luigi Di Maio, alors vice-premier ministre italien, et des «gilets jaunes».
Depuis l’avion qui l’emmenait vers le Mali, le ministre des affaires étrangères a fustigé «un comportement inadmissible, a fortiori de la part d’un pays allié». «A l’absence de toute marque officielle de condamnation ou de solidarité des autorités turques après l’attentat terroriste de Conflans-Sainte-Honorine, s’ajoute désormais depuis quelques jours une propagande haineuse et calomnieuse contre la France», a déclaré M. Le Drian, dans un communiqué.
La France a noté un manque de solidarité de certains autres pays, après l’assassinat du professeur d’histoire-géographie Samuel Paty, à sa sortie du collège où il enseignait en région parisienne, pris pour cible par un Russe tchétchène radicalisé pour avoir montré des caricatures de Mahomet en classe dans un cours sur la liberté d’expression.
M. Le Drian a dénoncé aussi des «insultes directes contre le président [Emmanuel Macron], exprimées au plus haut niveau de l’Etat turc». «L’ambassadeur de France en Turquie [Hervé Magro] a en conséquence été rappelé et rentre à Paris dès ce dimanche 25 octobre 2020 pour consultation», ajoute le ministre.
L’UE appelle la Turquie à cesser «cette spirale dangereuse»
De son côté, le haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell, a dénoncé dimanche des « propos inacceptables » de la part du président turc, il a appelé « la Turquie à cesser cette spirale dangereuse de confrontation. »
Les propos du président turc avaient déjà été jugés « inacceptables », samedi, par l’Elysée, cité par l’Agence France-Presse (AFP) : «L’outrance et la grossièreté ne sont pas une méthode. (…) Nous exigeons d’Erdogan qu’il change le cours de sa politique car elle est dangereuse à tous points de vue. Nous n’entrons pas dans des polémiques inutiles et n’acceptons pas les insultes. » La présidence française relevait aussi les « déclarations très offensives [de Recep Tayyip Erdoğan] de ces derniers jours, notamment sur l’appel au boycott des produits français», alors que ces appels se multiplient au Moyen-Orient.
Pour la présidence turque, les caricatures visent à «intimider» les musulmans
Nouvelle riposte d’Ankara, dimanche. Un responsable de la présidence turque a affirmé sur Twitter que les «caricatures offensantes» du prophète Mahomet étaient utilisées pour intimider les musulmans en Europe sous le prétexte de la liberté d’expression.
Fahrettin Altun, directeur de la communication de la présidence, a accusé l’Europe de diaboliser les musulmans. «La politique insidieuse des caricatures offensantes, des accusations de séparatisme contre les musulmans et des perquisitions de mosquées ne sont pas liées à la liberté d’expression», a affirmé M. Altun en anglais sur Twitter. «Il s’agit d’intimider les musulmans et de leur rappeler qu’ils sont les bienvenus pour continuer à faire fonctionner l’économie de l’Europe, mais qu’ils n’en feront jamais partie – sur fond de discours sur l’intégration», a-t-il ajouté.
Il a soutenu que cette attitude à l’égard des musulmans était «étrangement familière» et ressemblait à «la diabolisation des juifs européens dans les années 1920».
Nombreux contentieux entre Paris et Ankara
Ce contentieux vient s’ajouter à une longue liste de désaccords entre MM. Macron et Erdoğan. Des tensions en Méditerranée avec la Grèce au conflit en Libye, en passant par les violences dans le Haut-Karabakh (où la Turquie soutient l’Azerbaïdjan contre l’Arménie), de nombreux dossiers opposent actuellement Paris et Ankara.
«Depuis [qu’il a mené] son offensive en Syrie, la France n’a cessé de dénoncer le comportement du président Erdogan ; les dernières semaines nous ont donné raison», avait déclaré l’Elysée samedi à l’AFP.
La France réclame par ailleurs à nouveau «que la Turquie mette fin à ses aventures dangereuses en Méditerranée et dans la région», au même titre qu’elle dénonce le «comportement irresponsable » d’Ankara dans le Haut-Karabakh. «Des exigences sont posées. Erdogan a deux mois pour répondre. Des mesures devront être prises à la fin de cette année», précise l’Elysée à propos de la Méditerranée orientale.