La Commission européenne avait sommé l’entreprise américaine de rembourser ces avantages fiscaux jugés indus. Elle essuie ainsi un énorme revers dans sa bataille face aux GAFA.
C’est une manche décisive remportée par Apple, et un revers majeur pour la Commission européenne. La justice européenne a annulé, mardi 15 juillet, la décision de la Commission, qui avait sommé Apple, à l’été 2016, de rembourser à l’Irlande 13 milliards d’euros d’avantages fiscaux jugés indus. La Commission n’est pas parvenue à démontrer « l’existence d’un avantage économique sélectif », selon les juges européens.
Cet arrêt, très attendu, intervient la veille d’une autre décision dans un dossier tout aussi sensible, qui concerne cette fois Facebook et les transferts de données personnelles de l’Europe vers le reste du monde.
Apple et l’Irlande se sont tous deux « félicités » de la décision des juges européens. « Nous saluons le jugement de la Cour européenne », a souligné le ministère irlandais des finances, affirmant qu’il « n’y a jamais eu de traitement spécial » pour Apple.
Dans le cas d’Apple, l’affaire remonte au 30 août 2016 : la commissaire européenne à la concurrence, Margrethe Vestager, aujourd’hui vice-présidente de la Commission européenne, décide de frapper un grand coup contre la marque à la pomme.
Selon l’enquête de la Commission, Apple a rapatrié en Irlande entre 2003 et 2014 l’ensemble des revenus engrangés en Europe (ainsi qu’en Afrique, au Moyen-Orient et en Inde) car l’entreprise y bénéficiait d’un traitement fiscal favorable, grâce à un accord passé avec les autorités de Dublin.
Le groupe a ainsi échappé à la quasi-totalité des impôts dont il aurait dû s’acquitter sur cette période, soit environ 13 milliards d’euros, selon les calculs de la Commission. Un avantage qui constitue pour Bruxelles une « aide d’Etat » illégale, puisqu’elle se fait aux dépens d’autres entreprises soumises à des conditions moins favorables.
Pour Dublin, néanmoins, il n’y avait rien d’illégal. Connue pour ses positions « pro-business », l’Irlande a attiré sur l’île de nombreuses multinationales, pourvoyeuses d’emplois, grâce à une fiscalité avantageuse. C’est d’ailleurs pour cette raison que l’Irlande, comme Apple, avait fait appel de la décision de la Commission. « La Commission a outrepassé ses pouvoirs et violé la souveraineté » irlandaise concernant l’impôt sur les sociétés, avait affirmé Dublin. Quant au patron d’Apple, Tim Cook, il avait qualifié l’affaire de « foutaise politique ».
L’arrêt de mercredi est susceptible d’appel. « Je pense que ce sera une étape intermédiaire, importante certes, mais certainement pas la fin de l’histoire », estimait peu avant M. Lamadrid, un avocat spécialisé dans les affaires de concurrence du cabinet Garrigues à Bruxelles.
Généralement, lorsque les affaires font l’objet d’un pourvoi devant la Cour, la décision définitive intervient environ seize mois plus tard. Donc, dans le cas d’Apple, cette décision serait rendue au cours de l’année 2021.
Dans deux affaires similaires, les juges européens avaient donné en septembre 2019 un premier aperçu de leur analyse. Ils avaient réfuté les arguments de la Commission européenne concernant la chaîne américaine de cafés Starbucks, sommée de rembourser jusqu’à 30 millions d’euros d’arriérés d’impôts aux Pays-Bas. En revanche, dans le cas de Fiat, ils avaient donné raison à Bruxelles, qui exigeait du groupe italien le versement au Luxembourg d’une somme identique pour avantages fiscaux indus.
Cette affaire survient dans un contexte bien particulier, où plusieurs pays européens, dont la France, veulent parvenir à une meilleure imposition des géants du numérique, partout où ils réalisent des profits.
Cependant, dans une UE à vingt-sept, où toutes les questions fiscales se décident à l’unanimité, il n’est guère facile de s’entendre. « Outre l’Irlande, les Pays-Bas, Chypre, Malte et le Luxembourg mènent également des politiques fiscales favorables aux multinationales », observe Tove Ryding de l’ONG internationale Eurodad. « Avoir un système fiscal plein de failles et les combler ensuite en utilisant les règles sur les aides d’État n’est pas du tout efficace », ajoute l’experte.