Dans son numéro d’août, l’influente revue de l’ANP algérienne, El-Djeïch, avait mentionné «l’hostilité du Maroc envers l’État algérien et ses institutions sur plusieurs fronts». Son éditorial faisait état de «la détérioration de la situation régionale le long de la bande frontalière et [de] la menace que font peser certaines parties sur la sécurité de la région ces derniers temps». L’armée a fait son choix, elle a ses vues arrêtées.
L’Algérie a opposé, en réalité, une fin de non-recevoir aux réclamations pacificatrices du roi Mohammed VI. «Vous n’aurez jamais à craindre de la malveillance de la part du Maroc (…) La sécurité et la stabilité de l’Algérie, et la quiétude de son peuple sont organiquement liées à la sécurité et à la stabilité du Maroc», a assuré le roi Mohammed VI dans son dernier discours en s’adressant aux Algériens. Malheureusement, l’armée algérienne a accompagné cette déclaration de commentaires qu’il ne faudrait pas presser beaucoup pour en dégager une sorte de parti-pris d’antipathie. Dans l’édition de août de l’influente revue du ministère de la défense, El-Djeïch, toutes les suppositions émises sur l’allocution royale étaient inélégantes ; elles étaient même contradictoires ; et prouvent que le régime algérien s’engage isolément dans des voies détournées qui ne peuvent toujours aboutir qu’au dissentiment et aux tensions.
Le ton généralement frondeur et complotiste de cette gazette n’étonne plus, la liberté de ses commentaires, son hardiesse médisante, l’audace avec laquelle elle prétendait dévoiler les réalités, enfin, et surtout, son hostilité habituelle contre le Maroc, voilà les raisons de son insuccès et ce qui doit expliquer que cet organe de propagande, avec ses harangues enflammées à même de créer une agitation aussi dangereuse que factice, ne vaut rien. En juin, la revue a dénoncé «l’entêtement de certains à tenir des grèves à un moment suspect» à la suite de la suspension de 230 sapeurs-pompiers ayant manifesté avec des revendications salariales et socioprofessionnelles.
L’Algérie est représentée comme ne tenant aucun compte ni de ses engagements, ni de ses devoirs comme membre du concert africain. Pour le royaume du Maroc, aujourd’hui comme hier, et plus encore aujourd’hui qu’hier, la seule question sérieuse est celle de la paix régionale. Tout dépend de ce qu’on pense à Alger, comme aussi de ce que va faire le régime pour enlever tout prétexte à de redoutables conflits. La question a été ramenée à des termes assez simples par le roi Mohammed VI, dominée et limitée par la considération supérieure de la concorde entre les deux pays.
Plus grand pays d’Afrique, l’Algérie partage plus de 6 600 kilomètres de frontières avec six pays, dont certains sont en proie à des conflits. Toutefois, seul le Maroc cristallise l’animosité algérienne. Dans un édito aux relents antisémites, la revue de l’ANP a dénoncé des «manœuvres étrangères» visant à déstabiliser l’Algérie et a pointé du doigt Israël dans la citer. Le roi Mohammed VI a invité le président algérien Abdelmadjid Tebboune «à faire prévaloir la sagesse» et «œuvrer à l’unisson au développement des rapports» entre les deux pays voisins, mais la réponse présidentielle se fait attendre.
El-Djeïch, un pamphlet incendiaire qui se targue du soin de l’armée algérienne de repousser les intrigues qui se feraient contre la tranquillité du pays. Un épouvantail commode pour faire oublier les grèves, le chômage, la paupérisation, la flambée des prix et les pénuries de denrées de base. Le front social très réprimé s’ajoute désormais à une profonde crise économique née de la chute de la rente pétrolière, de la crise sanitaire et d’une corruption endémique. Alors que le salaire national minimum garanti (SNMG) stagne à 20 000 dinars (un peu plus de 126 euros), la Confédération des syndicats algériens (CSA) considère qu’un salaire minimum décent devrait atteindre quatre fois plus.
Dans la feuille de l’armée, on y dénonce le «comportement infantile» du Maroc et ses attaques récurrentes contre l’Algérie, visent à exporter les crises internes et «couvrir l’échec du régime marocain à faire face aux graves défis qui menacent son devenir», un autoportrait, sans doute, au moment où la police du régime disperse sans ménagement les marches hebdomadaires de la contestation populaire et procéde à des centaines d’interpellations dans tout le pays. Dans un moment où nombre de familles algériennes en situation de précarité ne trouvent réconfort qu’auprès d’associations de bienfaisance qui distribuent gracieusement des produits de première nécessité aux plus démunis.
Plus grave encore, la revue, à la dérive, remet en cause une «main de Satan» qui veut «saper l’unité nationale et la stabilité de notre pays» par «la guerre médiatique et la propagande malveillante qui présentent un sombre tableau de la situation de notre pays». Toutefois, «la situation économique de l’Algérie s’aggrave jour après jour et entraîne la paupérisation de couches entières de la population, un chômage important et en bref tous les indicateurs économiques sont au rouge», et c’est le Carnegie Middle East Center, qui le dit, pas le Maroc.
Le Fonds monétaire international (FMI) évalue à plus de 14% le taux de chômage en Algérie. Mais la propagande des caporaux n’est obsédée que par le Maroc. Aucune mention sur la nette hausse des contaminations depuis plusieurs semaines, sur les services hospitaliers saturés, sur le personnel médical éprouvé. Les grands hôpitaux manquent cruellement d’oxygène en raison notamment de problèmes de gestion, de logistique et de distribution. Mais le mal, c’est le Maroc.
À propos du scandale Pegasus, il s’agit d’une «grave» et «dangereuse dérive», de nature à «altérer le climat de confiance qui devrait régner entre les responsables et les représentants des États». Heureusement le Maroc connaît mieux sa dignité ; Il sait qu’un Etat souverain doit mettre doublement la justice et le droit de son côté, et de ne jamais faillir à ces principes qui ont toujours dominé dans ses rapports diplomatiques de tous les temps. Ce ne sont surtout pas les pétitions de collectifs pilotés par des personnalités proches du pouvoir, qui exhortent le peuple algérien, souffrant, à «serrer les rangs» et à «se rassembler autour de l’Etat national, de son unité et sa souveraineté» face à des menaces inventées, qui empecheront le changement en Algérie.