Neuf cent quatre vingt onze vers, tel est l’étendu de ‘’La Malâba الملعبة’’, un poème de grande envergure écrit en darija marocain par Feu Abou Abdillah lakfif Zerhouni, lakfif signifiant le non voyant en dialecte marocain.
Dire que la Malâba a marqué le début d’une poésie dialectale marocaine, est une vérité incontestable. C’est le plus ancien poème dialectal qui a nourri et enrichi dès les débuts du 14ème siècle (1324) les littératures et les langues dialectales maghrébines d’un certain nombre de mots, de tournures, de formes et de proverbes. Il continue malgré les rides du temps et toute cette distance temporelle, à être vivant dans le quotidien des peuples marocain et maghrébin.
La Malâba fut donc écrite par un poète non non voyant du temps des mérinides. Il y décrit avec précision et raffinement les détails d’une ‘’harka حركة’’, une bataille menée par le roi Abou Hassan Almarini pour unir le nord de l’Afrique après l’écroulement de l’empire des Almohades. En lisant cette œuvre extraordinaire qui date du XIVᵉ siècle, on ne peut que s’incliner devant la splendeur de ce poète non voyant à la plume précise, narratrice, descriptive et conteuse d’une époque à grande portée dans la mémoire du Maroc.
La Malâba, ce document aux dimensions littéraire, historique, artistique et poétique, fut d’abord mentionnée par Ibnou khaldoun dans son livre ‘’Al Ibar ‘’ (العبر) et aussi par Ibnou marzouk dans ‘’Al Masnad’’, et ce n’est que des siècles après qu’il surgira grâce à la minutieuse présentation et correction faite par le Professeur Mohamed Ben Chrifa dans son livre ‘’La Malâba du Kfif Zerhouni’’ paru en 1987. Ce natif de Zerhoun (région de Meknès), décédé en 1347, a joué un rôle crucial dans l’acclimatation de la langue dialectale au sein du paysage poétique marocain. Il a su donner de façon splendide un charme unique au dialecte marocain qu’il a présenté d’une façon plus touchante et plus captivante. Plus qu’une expression de poésie dialectale, son poème véhicule une innovation littéraire et une sagesse perpétuées à travers les siècles.
Il illustre aussi d’un ton poétique très fort les modes de vie de la société marocaine de l’époque avec ses multiples caractéristiques. C’est donc la Malâba qui a été enregistrée la première et préservée contre tout oubli et négligence, comme en témoignent de nombreux documents historiques. Une poésie instinctive qui récite les événements de la ‘’harka’’ avec un souci de détails impressionnant et une langue plus proche de l’esprit et de l’âme. Elle serait précédée après par de merveilleuses poésies marocaines où l’image, le rythme, la métaphore et la rime se mêleraient au raffinement du mot subtil, profond, soutenu et bien recherché qui fut le Zajal marocain.
Ce mot Zajal nous transférera peu de temps après vers l’un des piliers de l’histoire et du patrimoine artistiques marocains, qui est le Malhoun, un art à part où le verbe atteint le summum de l’excellence et où de nouveaux outils s’assortissent merveilleusement avec le mot à travers la cadence, la musicalité et le Inchad, chant fabuleux des maîtres de ce genre artistique authentique et combien sophistiqué.