La visite privée du président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani à Rabat et son accueil par le roi Mohammed VI s’inscrivent dans un contexte marqué par une dynamique régionale de la diplomatie marocaine et, selon le communiqué du cabinet royal, par une «évolution positive [du] partenariat maroco-mauritanien dans tous les domaines.»
Cette rencontre, peut-on lire dans le communiqué, «s’inscrit dans le cadre des relations solides de confiance et de coopération liant les deux pays et des liens de fraternité sincère unissant les deux peuples frères.» Elle a été l’occasion pour les deux chefs d’État d’affirmer «leur détermination à développer des projets stratégiques pour la liaison entre les deux pays voisins et à coordonner leurs contributions dans le cadre des initiatives royales en Afrique, particulièrement le gazoduc africain-atlantique et l’initiative visant à favoriser l’accès des États du Sahel à l’Océan Atlantique.»
La réunion intervient peu après la visite que le président algérien a effectuée à Nouakchott, le 9 décembre. Tout en recevant A. Tebboune, les dirigeants mauritaniens, par souci d’équilibre, ont pris soin d’envoyer à Rabat le président du Parlement, Mohamed Ould Meguett.
Les décisions qui ont été annoncées à Casablanca revêtent une importance stratégique et ont une forte charge symbolique. Désormais, l’engagement mauritanien est clair.
Déjà, le choix du Maroc pour y faire soigner la Première dame mauritanienne, à l’exclusion de tout autre pays, est révélateur. Ce choix a fortement déplu au régime algérien, qui y a vu une atteinte intolérable à son prestige et à la réputation qu’il s’efforce de donner au système hospitalier algérien.
La récente visite du président algérien à Nouakchott et les nombreuses visites de différents responsables algériens, civils et militaires, s’inscrivent toutes dans une logique d’hostilité au Maroc. La Mauritanie, depuis 1975, est une pièce maîtresse et un maillon important dans la stratégie algérienne, qui vise clairement à encercler le Maroc, à l’étouffer et à le couper de sa profondeur subsaharienne. Dans la poursuite de cet objectif, Alger a tout essayé, la carotte et le bâton, mais sans succès. La diplomatie algérienne n’a rien à offrir de substantiel. L’idée d’une zone de libre-échange frontalière fut une chimère et la route Tindouf-Zouerate se perd dans les méandres du désert.
À l’occasion des cérémonies de son investiture présidentielle, le 1ᵉʳ août 2024, le président Ould Cheikh El Ghazouani a battu froid au chef des milices algériennes Brahim Ghali et ne l’a pas reçu en audience. L’ancien président Ould Abdelaziz avait eu la même attitude en 2019, signe évident d’un «ras-le-bol» mauritanien de cet hôte encombrant et indésirable. Le président mauritanien, un homme apparemment de caractère et qui ne s’en laisse pas conter, sait marquer les limites à ne pas dépasser. Malgré les pressions algériennes, il a tenu tête et refusé de s’aligner sur les thèses du voisin envahissant. Nouakchott n’a accepté ni de «fermer» (sic) le passage frontalier de Guerguerat ni de s’engager dans un bloc maghrébin sans le Maroc, destiné à isoler le royaume. La Mauritanie, tout en reconnaissant la «rasd», n’a pas autorisé la «république» à ouvrir une ambassade à Nouakchott.
Le Maroc a définitivement tourné la page en 1969 lorsqu’il a reconnu la République islamique de Mauritanie. Depuis lors, Rabat s’est engagé résolument et loyalement dans la voie de la coopération avec la Mauritanie, dans le respect mutuel, contrairement à l’Algérie qui a multiplié les ingérences dans les affaires intérieures de la Mauritanie. En août 1974, le président algérien Boumediene a essayé de convaincre son homologue mauritanien Mokhtar Ould Dadah de créer une «fédération» entre l’Algérie et la Mauritanie, dirigée, naturellement, contre le Maroc. À Bechar, en 1975, Boumediene a sommé Ould Daddah, sans succès, de rompre son alliance avec le Maroc pour la récupération du Sahara, à l’époque espagnol.
À la veille de la signature de l’accord de Madrid entre le Maroc et la Mauritanie, d’une part, l’Espagne de l’autre, Boumediene a réitéré, en vain, sa demande au cours d’une entrevue tendue avec le président mauritanien. Devant le refus de ce dernier, le président algérien s’est laissé aller à des excès de langage et des menaces contre Ould Daddah.
L’Algérie allait désormais utiliser le «polisario» pour agresser ses voisins maghrébins, en concentrant ses attaques sur le plus faible, la Mauritanie, réussissant à démoraliser l’armée de ce pays.
Alger a fomenté le coup d’État du 10 juillet 1978 qui a renversé le président Mokhtar Ould Daddah, un allié du Maroc, donc hostile aux yeux du régime algérien. Le rapprochement entre les militaires mauritaniens et le «polisario» a été suivi par la signature à Alger le 5 août 1979 d’un accord de paix mettant officiellement fin à l’engagement militaire de la Mauritanie et à sa présence à Oued Eddahab (ex-Tiris el Gharbia). Le même jour, battant de vitesse les milices algériennes, les Forces armées royales se sont déployées dans toute la région, réduisant à néant le rêve qui a été un moment caressé par Boumediene d’établir à Oued Eddahab un «État» indépendant lié à l’Algérie, et accessoirement à la Mauritanie, dans le cadre d’une confédération.
Dans une déclaration en date du 14 août 1979, le gouvernement mauritanien a annoncé avoir décidé de «retirer ses troupes et son administration de la partie du Sahara occidental qu’il contrôlait et demandé au gouvernement marocain d’effectuer immédiatement le retrait de ses contingents stationnés sur le territoire mauritanien» [à Atar-Akjoujt, Nouadhibou, Zouerate et Bir-Mogrein]. Dans une lettre (A/34/427- S/13503) datée du 18 août 1979 adressée au secrétaire général des Nations unies, le gouvernement mauritanien a fait savoir qu’«en abandonnant toute revendication sur le Sahara occidental et en se retirant de la partie de cette région qu’il contrôlait, [il] considère qu’il s’est également retiré du conflit relatif à ce territoire. Il a acquis, de ce fait, une position de stricte neutralité.»
Depuis lors, la Mauritanie s’en tient, avec des fortunes diverses, à cette position de «neutralité.» Avec ce positionnement, elle a essayé de ménager ses relations avec le Maroc et l’Algérie, en évitant une implication directe dans le conflit.
Cependant, les relations de Nouakchott avec ses deux voisins du nord ont connu des hauts et des bas, selon les époques et les présidents. À plusieurs reprises, la Mauritanie a été perçue comme se rapprochant tantôt de l’Algérie et/ou du «polisario», tantôt du Maroc, provoquant des tensions avec les uns ou les autres.
La lutte d’influence en Mauritanie continuera de structurer la dynamique régionale. Le Maroc, avec son approche proactive fondée sur des projets concrets, conserve une longueur d’avance. Dans ce cadre, la route reliant le Maroc à la Mauritanie et, au-delà, à l’Afrique subsaharienne via le passage de Guerguerat est vitale pour les échanges commerciaux interafricains, et la Mauritanie en est largement bénéficiaire. Toute tension sur ce corridor pourrait avoir des conséquences économiques importantes dans les deux pays, ce qui explique les efforts communs pour préserver la bonne coopération.
En réalité, la Mauritanie aurait plus à perdre en tournant le dos au Maroc qu’à l’Algérie car les échanges humains, culturels et commerciaux sont plus denses avec le voisin marocain. Pour tout dire, si la Mauritanie a tout à craindre du régime algérien, elle a tout à gagner avec le royaume chérifien. Car le Maroc, contrairement à l’Algérie, est attentif aux équilibres régionaux, aux préoccupations de ses partenaires et à leurs susceptibilités. Le Maroc prend des initiatives audacieuses, apporte des solutions, propose des compromis, rassemble, crée des synergies, favorise la bonne entente, aide ses voisins. Le Maroc n’est adepte ni de la zizanie, ni des menaces, ni de l’injure.
Alors que l’Algérie a perdu pied au Sahel, Rabat a su préserver ses relations avec les pays de la région, en se gardant de toute ingérence. Cette approche sage a permis le lancement de l’Initiative visant à favoriser l’accès des États du Sahel à l’Océan Atlantique, qui a été annoncée par le roi Mohammed VI en novembre 2023. Le projet a été favorablement accueilli par les pays intéressés, mais la collaboration de la Mauritanie pour mener à bon terme ce chantier était vitale. Elle est désormais acquise, et elle permettra à la Mauritanie d’en tirer des bénéfices, à commencer par les infrastructures nécessaires qui seront mises en place sur le territoire mauritanien.
L’adhésion de la Mauritanie au projet du gazoduc africain-atlantique est essentielle, comme l’est son rôle charnière dans les relations entre le Maroc et les pays sahéliens. Elle-même future exportatrice de gaz, la Mauritanie pourra approvisionner le marché européen grâce au gazoduc.
La Mauritanie avait le choix, soit adhérer aux vues algériennes sans aucun gain et s’exposer aux conséquences d’une rupture avec le Maroc, soit s’affirmer comme un partenaire loyal du royaume et devenir un carrefour névralgique des échanges avec le Maroc. Son emplacement fait de la Mauritanie un passage obligé vers le reste de l’Afrique. Pareillement, le Maroc est pour elle un passage obligé vers l’Europe, demain éventuellement à travers la liaison fixe Afrique-Europe.
Les informations qui ont circulé en janvier 2024 sur une augmentation des taxes douanières mauritaniennes sur certains produits marocains et, plus récemment, sur l’ouverture d’une ligne maritime Agadir-Dakar ont pu être perçues comme des signaux d’une possible crispation. La rencontre entre le roi Mohammed VI et le président Ould Cheikh El Ghazouani a mis fin aux doutes et aux spéculations sur la position de la Mauritanie. Désormais, la vision atlantique du souverain peut se déployer sans obstacle.
Il est remarquable de noter que toutes les tentatives du régime algérien pour isoler le Maroc se sont retournées contre lui. Le cas de la Mauritanie est édifiant. Après avoir contribué avec l’Espagne franquiste à pousser le gouvernement mauritanien à parasiter la revendication marocaine sur le Sahara occidental, Alger a trahi Ould Daddah en le faisant renverser. Mais le départ des troupes mauritaniennes de Oued Eddahab a donné au Maroc l’occasion d’exercer son droit de préemption, récupérant ainsi l’ensemble du territoire.
De même, en essayant de faire bloquer par ses miliciens le passage de Guergarat, Alger a provoqué une réaction foudroyante du Maroc, qui a libéré l’axe routier et rétabli la circulation. Aujourd’hui, les dirigeants algériens et leurs milices observent, impuissants, la noria de camions qui transite chaque jour par Guerguerat. Faute de mieux, ils crient à la violation du cessez-le-feu.
La « neutralité » sur la question du Sahara est un atout diplomatique qui a permis à la Mauritanie de maintenir des relations avec toutes les parties. Mais cette position risque à terme de devenir intenable, après la rencontre de Casablanca et l’engagement mauritanien clairement exprimé. Ould Cheikh El Ghazouani, pour l’heure, essaiera vraisemblablement de minimiser auprès d’Alger la lente évolution qu’il est en train d’imprimer à sa politique avec le Maroc et à sa position dans la question du Sahara. Mais on peut faire confiance aux dirigeants algériens pour le pousser, par une des initiatives maladroites dont ils ont le secret, à se départir définitivement de sa «neutralité» forcée.