Cet été, le sujet sur toutes les langues concerne la gestion de l’eau et l’efficacité hydrique au niveau de la consommation du citoyen et des activités économiques. Côté autorités publiques, la note du ministère de l’Intérieur sur la rationalisation des ressources en eau et la garantie de l’approvisionnement en eau potable de la population émise le 22 juillet courant démontre, s’il le fallait encore, le sérieux de la question. Côté chefferie du gouvernement rien, à part le projet de dessalement de Casablanca qui concerne une partie de la région Casa-Settat. L’enjeu est pourtant national.
Aujourd’hui la vulnérabilité hydrique atteint l’axe Rabat-Casablanca. Transférer l’eau du (très proche) barrage Garde Sebou au barrage Sidi Mohammed Ben Abdellah qui alimente les deux premières régions productrices de richesses au Maroc est d’une urgence nationale, qui ne saurait souffrir de délais au vu de leur contribution au PIB national. Le gouvernement ne semble pas s’en inquiéter outre mesure, qu’il s’agisse de son chef ou de son ministre de l’Eau.
Pourtant Aziz Akhannouch a vu naître et se préciser la politique de l’eau en 2012 (voir tableau infra « la gestion de l’eau en quelques dates et actions) qui mobilise toutes les ressources non conventionnelles en eau en tant que ministre inamovible de l’Agriculture puis de l’Agriculture, de l’Eau et alii sous les différents mandats depuis le gouvernement El Fassi aux 4 gouvernements islamistes avant de prendre les rênes de tous les départements ministériels. Un de ses bras droits en la personne de Amina Benkhadra qui conduit toujours l’ONHYM après avoir été en charge du ministère de l’Eau (de l’Energie, des Mines et de l’Environnement) sous El Fassi jusqu’en 2012, pourrait lui rappeler en ses deux qualités, passée et présente, la problématique de l’eau. Quant à Nizar Baraka, il bénéficie des lumières de l’Alliance des économistes de l’Istiqlal même s’ils sont peu diserts sur la question depuis l’avènement du nouveau gouvernement. Ce qui est bien dommage car mis à part les journées d’étude sur lesquelles communique le département de l’Eau du ministère de l’Equipement sur son site officiel, il ne se passe plus grand-chose pour un sujet critique au Maroc et auquel la nouvelle Constitution de 2011, sous l’impulsion royale, consacre tout un article pourtant.
Il est notoire que l’urgence de la gestion de l’eau est rappelée dans maints discours royaux, comme l’allocution du souverain lors de l’ouverture de la 9ème session du Conseil supérieur de l’eau et du climat, en mars 2013, le discours la même année à l’occasion du 60ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple, le discours du Trône de 2018, ou encore à titre d’exemple, le discours royal au sommet des Chefs d’État et de gouvernement sur la sécheresse et la gestion durable des terres, le 9 mai 2022.
Le sujet est souvent objet de séances de travail présidées par le souverain comme en 2017 et janvier 2020 avec des orientations claires sur la mise en œuvre des politiques publiques par tous les départements concernés. Cela va de l’Eau à l’Energie, les Mines, l’Agriculture, ministères, offices et agences publiques confondus. Rappelons en outre, que depuis la Cop 22 que le royaume a tout de même abritée à Marrakech, la question de la gestion durable de l’eau, de sa rareté, de son partage inégal et de sa fragilité due aux changements climatiques, s’est imposée comme une problématique centrale au niveau mondial !
Remontons à 2012 pour contextualiser la politique de l’eau et l’urgence de traiter le stress hydrique qui menace l’axe Rabat-Casablanca. Anciennement connu sous « schéma national de transfert des eaux des bassins excédentaires vers les bassins déficitaires » ou autoroute de l’eau, la gestion de l’eau concerne le rééquilibrage en matière de pluviométrie puisque le Maroc dispose de deux profils différents : le nord (Rif et Moyen Atlas) régulièrement arrosé contrairement au reste du pays, soumis à un régime de pluies plutôt irrégulier. Il s’agissait hier comme aujourd’hui de construire un ensemble de canaux artificiels qui relieraient le système hydrographique du nord à plusieurs grands barrages de régions en situation régulière de stress hydrique.
Contextualisons maintenant plus précisément la vulnérabilité hydrique de Rabat et Casablanca :
Elle touche tout d’abord les deux plus riches préfectures du Maroc qui hissent leurs régions au même niveau au plan national : sur une superficie totale de 19.448 km2, la région Casablanca-Settat, locomotive des 12 régions du pays concentre plus de 20% de la population nationale tout en pesant à hauteur de 26,5% du PIB. Cette richesse, elle la doit principalement à la préfecture de Casablanca qui œuvre à hauteur de 57,8% de la richesse de la région (chiffres officiels 2019). C’est la région la plus dense en termes de nombre d’habitants et une des plus urbanisées au niveau national. Elle compte également 6,86 millions d’habitants selon les résultats du RGPH 2014 (Recensement Général de la Population et de l’Habitat), représentant ainsi 20,3% de la population nationale.
Quant à la 2ème région la plus riche du Maroc et 4ème en termes de PIB/habitant, avec une contribution de 15,2% au PIB en 2017, soit 161,9 milliards de dirhams en valeur, la région de Rabat-Salé-Kénitra, elle, est tirée vers le haut par la préfecture de Rabat qui compte, à elle seule, pour 43,1% de la richesse de la région.
C’est pour ne pas rompre la dynamique socio-économique de cet axe dont les retombées seraient désastreuses au plan national, que le projet de transfert d’eau du barrage Garde Sebou au barrage Sidi Mohamed Ben Abdellah, doit être lancé dès septembre 2022, ainsi que le recommandent les experts en la matière :
Le Maroc, dans son ensemble, reçoit annuellement 140 milliards de m3 de pluie, dont 75% sont perdus soit par évaporation soit par rejet en mer.
Avec 610 m3/habitant/an (vs. 2000 m3/habitant/an durant les années 60s), le pays est aujourd’hui classé parmi les pays à stress hydrique élevé.
Cette situation impacte particulièrement les zones de Rabat et Casablanca au point de les exposer actuellement à un risque de pénurie d’eau pour les ménages et les industriels dès 2023.
Il convient de rappeler que la région de Rabat est essentiellement alimentée par le barrage de Sidi Mohamed Ben Abdellah (dont le taux de remplissage est actuellement de 66% contre 85% en 2018) tandis que l’approvisionnement de la région de Casablanca est assuré par le barrage Al Massira (bassin d’Oum Er-Rabii, taux de remplissage de 7% contre 25% en 2018) et le barrage Sidi Mohamed Ben Abdellah.
Dans ce contexte, et afin de mitiger rapidement le risque imminent de pénurie d’eau au niveau des régions de Rabat et Casablanca et son impact sur tout le royaume, les pouvoirs publics ont initié une réflexion sur un projet de transfert d’eau du barrage Garde Sebou au Barrage Sidi Mohamed Ben Abdellah, séquencé en 2 étapes, ainsi que le montrent les documents que Barlamane.com a pu consulter.
Selon ces derniers, une 1ère tranche urgente d’interconnexion sur la période 2022-2023 d’une capacité de 15 m3/s (environ 300 M m3/an), soit 1,5 fois la capacité du projet de la station de dessalement de Casablanca, est à réaliser dès septembre prochain. Le transfert couvrirait un linéaire d’environ 70 km.
L’investissement nécessaire à la réalisation de cette 1ère tranche serait d’environ 3 Md MAD.
La 2ème tranche d’interconnexion d’une capacité de 45 m3/s est, quant à elle, prévue pour la période 2023-2027.
Les principaux enjeux liés à ce projet résident dans le délai de réalisation : le risque imminent de pénurie d’eau au niveau des régions de Rabat et de Casablanca exerce une pression élevée sur le délai de réalisation du projet, sachant qu’un tel risque peut se matérialiser dès 2023.
Le phasage en deux tranches diminue ainsi la pression dans le temps ainsi que celle financière contrairement au projet de dessalement onéreux et dont la première phase ne démarrera qu’en 2026.
Plus encore, privilégier la station de dessalement de Casablanca ne pallierait pas la pénurie sur l’axe Rabat-Casablanca puisque ce projet ne sécurise l’alimentation en eau potable que d’une partie de la région de Casablanca-Settat.
Cependant la réalisation des travaux de transfert des eaux nécessite de sélectionner rapidement le.s opérateur.s chargé.s de réaliser les travaux de la 1ère tranche et de sécuriser rapidement les 3 Md MAD que requiert la 1ère tranche.
Malgré l’urgence nationale que revêt ce projet, il draine un retard qui soulève un certain nombre de questions à défaut d’en cerner les raisons :
- Pourquoi le gouvernement Akhannouch (et ceux d’avant également) ne l’a pas prévu en priorité dans son programme d’investissement pour 2022, malgré que la situation était connue depuis plusieurs années dans le plan d’autoroute de l’eau qui porte sur des transferts interbassins ?
- Pourquoi depuis plusieurs mois, nombre de réunions ont été tenues sans que le projet ne démarre ou qu’une décision ne soit prise au niveau du chef du Gouvernement, prétendument pour des raisons budgétaires ou autres, lapalissade pour un enjeu de cette taille ?
Rappelons que les experts en matière de gestion de l’eau estiment tous que les travaux relatifs au projet doivent impérativement démarrer au plus tard le 1er septembre 2022 pour espérer les boucler en avril-mai 2023, date à laquelle ils prévoient l’épuisement de l’eau dans le barrage Sidi Mohamed Ben Abdellah dans l’hypothèse d’un volume de pluie similaire à l’année 2021-2022. Rappelons également que le Maroc est soumis à de forts épisodes de sécheresse depuis une décennie. Soulignons, enfin, qu’établir des prévisions de croissance (agricole notamment malgré la faible pluviométrie et la surexploitation des nappes phréatiques) sans en tenir compte comme on l’a encore vu dans la loi de Finances 2022 est désastreux pour l’économie du pays.
Pourquoi le gouvernement Akhannouch freine-t-il cette urgence nationale alors que Barlamane.com a pu consulter les documents montrant qu’un groupement d’entreprises a déjà été consulté pour prendre en charge le projet, à savoir Somagec, SGTM, SNCE, TGCC ? Pourquoi rien de concret n’a été fait à ce jour, sachant que la date fatidique portée par les experts pour le lancement de la première tranche à septembre 2022 approche à une vitesse vertigineuse ?
Le temps presse d’autant qu’il faudra également, précisent les experts consultés par Barlamane.com, prendre en considération les enjeux d’expropriation de fonciers pour les besoins du projet pouvant retarder l’avancement du projet.
Il est, de ce fait, d’une urgence extrême que le chef du Gouvernement se mobilise en priorité pour ce projet qui revêt la seule solution pour les deux premières régions locomotives du Maroc sachant que les solutions technico-financières existent.