«C’est une affaire de Pieds nickelés, ce n’est pas le Watergate», a ironisé un conseiller de l’exécutif français au plus fort de ce que les médias ont nommé «l’affaire Pegasus». Une contre-enquête savamment documentée démontre la vacuité d’une affaire manipulée à des fins politiques.
Dans son livre-enquête «L’Affaire Pegasus» qui vient de paraitre chez Cherche Midi, l’écrivain et journaliste franco-suisse Alain Jourdan entame un examen radioscopique d’un coup d’emballement médiatique contre le Maroc, donné comme exemple. «Une affaire qui potentiellement n’en est pas une» où «l’effet de loupe est préféré à la vérité», note M. Jourdan. «Aucune preuve de l’implication du Maroc n’existe» : l’essentiel est clamé. Même en France, les réactions étaient perplexes : «On ne s’avance que s’il y a des faits probants», a souligné un ministre d’Emmanuel Macron. À Rabat, il était clair que «l’État marocain considère faire face à une nouvelle affaire de liste et que le passé a largement démontré qu’il était aisé de tirer des conclusions mensongères de telles pratiques» et un «procès d’intention médiatique, infondé et visiblement créé de toute pièce pour déstabiliser la relation diplomatique profonde entre le Maroc et la France.»
L’auteur déplore que l’affaire Pegasus soit «emblématique de l’impasse, voire de l’escroquerie que représentent les fuites massives de données» et son constat est implacable : «Dans le scandale Pegasus, certains des titres qui ont relayé les informations de Forbidden Stories n’ont effectué aucun travail d’enquête, pas de recoupement d’informations, pas de vérifications auprès d’autres sources, aucun regard critique et surtout aucun débat en interne dans les rédactions », rappelant que «l’investigation, la vraie, reste coûteuse.»
Pas de preuves, nada
L’affaire Pegasus, dit l’auteur, vise «à déstabiliser le Maroc », ajoutant que ceux qui accusent Rabat «ont esquivé le débat porté devant la justice avec des artifices de procédure. Le Maroc n’a jamais fait appel à la société NSO. » Parlant d’«allégations mensongères et infondées», le Maroc avait enclenché plusieurs procédures judiciaires en France, en Espagne et en Allemagne.
La justice française est douée de sympathies médiocres à l’égard de la vérité dans cette affaire, qu’elle refuse de disséquer. Le 12 avril, la cour d’appel de Paris a confirmé ce qu’elle appelle «l’irrecevabilité» des poursuites en diffamation intentées par le Maroc contre des ONG et des médias français ayant tenté de cibler le Royaume. En première instance, le tribunal correctionnel de Paris avait rendu dix jugements déclarant « l’irrecevabilité » des citations directes contre Le Monde, Radio France, France Media Monde, Mediapart, L’Humanité, Forbidden Stories et Amnesty International. Ces décisions, qui enterrent tout débat de fond sur l’affaire Pegasus, s’appuient sur un article de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, qui «ne permet pas à un État, qui ne peut pas être assimilé à un particulier au sens de ce texte, d’engager une poursuite en diffamation.»
Le Maroc, lui, a déclaré «étudier la possibilité d’un pourvoi en cassation pour faire valoir son droit d’agir contre les accusations calomnieuses portées par certains organes de presse ayant affirmé, sans la moindre preuve ou commencement de preuve, qu’il utiliserait le logiciel Pegasus», a indiqué dans un communiqué Olivier Baratelli, l’avocat de Rabat.
Abdellatif Hammouchi, forteresse imprenable malgré les attaques
Pour M. Jourdan, «Abdellatif Hammouchi s’est taillé une réputation mondiale dans le renseignement» au point que la CIA «aurait essayé de le recruter.» Un homme qui jouit de la confiance du roi Mohammed VI et qui symbolise le rayonnement des institutions sécuritaires. «Bien qu’il ne soit pas chargé de la diplomatie, Abdellatif Hammoiuchi est une pièce centrale du dispositif qui a conduit progressivement à renforcer le soutien des revendications territoriales du royaume du Maroc. Il n’est donc pas étonnant qu’il soit la principale cible des organisations qui soutiennent le Polisario et l’Algérie.»
Journalistes ou procureurs ?
«Les données dont dispose Forbidden Stories ne couvrent qu’une dizaine de pays clients de NSO Group alors que l’ensemble des clients de ce logiciel englobe une quarantaine de pays», note l’auteur qui émet de sérieux doutes sur «la fameuse liste des 50 000 cibles potentielles qui, selon Amnesty, auraient été sélectionnées par des clients de NSO pour être surveillées. Le consortium n’est parvenu à identifier que 1 000 de leurs détenteurs et ignore donc tout des 49 000 autres.» Le carnage des faits a précédé la destruction des supposées preuves dans cette affaire. Plusieurs ONG se sont hâtées d’accuser le Maroc et l’éthique journalistique a été frappée d’un avilissement incroyable, et dès le début Amnesty et Forbidden Stories voient tarir absolument pour eux les ressources régulières d’une bonne enquête crédible. Tout se détraque et tombe en ruine quand l’universel moteur, la déontologie, vient à faire défaut.
La dépendance étroite entre ONG politisées et journalistes engagés produit des désastres moraux. Cet enseignement sort de cette affaire avec la plus poignante et la plus inexorable autorité. Il montre tout ce qu’il y a d’illégal à vouloir substituer brutalement les procédés destructeurs d’une propagande orientée aux bonnes influences du progrès. La leçon est là, sous nos yeux, toute pure et agissante, et on ne voudrait pas la comprendre, et on n’en profiterait pas pour prévenir des maux plus graves, comme les enquêtes dirigées pour saper la confiance envers des États souverains.
Yaïr Lapid, ancien premier ministre israélien, a démenti qu’Emmanuel Macron ait été ciblé par le Maroc. «Macron est l’un des leaders européens les plus engagés et les plus fermes face à l’antisémitisme. Nous n’aurions jamais fait quoique ce soit qui puisse lui nuire. NSO est une compagnie privée, mais nous avons fait de notre mieux pour découvrir ce qui s’est passé, et autant qu’il soit possible de le dire, personne n’a écouté le téléphone du président. Cela est conforme à la licence [d’exportation octroyée par l’État israélien à NSO] : le programme ne peut être utilisé que pour lutter contre des organisations terroristes et des crimes graves.»
Montée en puissance qui dérange
«La montée en puissance du Maroc ne plaît pas et certains en Europe voudraient y mettre un coup d’arrêt», pointe M. Jourdain. «Le retour du royaume chérifien, en tant que puissance africaine résulte d’un changement de stratégie. Le roi Mohammed VI inscrit l’Afrique au centre du déploiement diplomatique du Maroc.» L’auteur évoque également «un rapprochement avec Israël qui passe mal», incarné par «un agenda de coopération intense avec Tel-Aviv, notamment dans les domaines de la sécurité et du renseignement.» Pour lui, «sur le plan géopolitique, la stabilité du Maroc et du Maghreb est l’intérêt premier de la France. Or le triangle Rabat-Paris-Alger est nécessairement déséquilibré.»
Il regrette que les discours officiels français qui représentent tout sous des couleurs complaisantes lorsqu’il s’agit du Maroc, et une dangereuse logique qui rompt avec les vertus républicaines et le poids des réalités. «On était en train de sortir d’une crise intense liée à la politique des visas et on repart à l’envers en raison d’une initiative émanant de proches du président Emmanuel Macron [résolution européenne contre Rabat, NDLR]», avait déploré Christian Cambon, président du groupe d’amitié France-Maroc au Sénat.
Les organisations Forbidden Stories et Amnesty International qui prétendent avoir obtenu une liste de 50 000 numéros de téléphone, sélectionnés par les clients de NSO depuis 2016 pour être potentiellement surveillés, et l’ont partagée avec un consortium de médias, sans préciser comment, doivent rendre des comptes. Des ONG qui se mettent en dehors des règlements en prenant la liberté de tout juger, de faire des discours tout politiques, de dire leur mot sur des orientations souveraines. Le dangereux moyen de satisfaire les rancunes et les cupidités extralégales aux dépens de la cohésion internationale ? Tout diffuser sans vérification aucune.