Le président algérien, Abdemadjid Tebboune, a ordonné la libération de détenus incarcérés pour avoir appelé ou pris part à des manifestations dans le cadre du mouvement de contestation du Hirak, selon un communiqué du ministère de la justice publié le 4 juillet. Cependant, d’éminents militants voient le geste de Tebboune avec un grand scepticisme.
Saïd Salhi, vice-président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (Laddh), rappelle depuis que «le gouvernement avait déjà décrété en février une grâce qui avait touché une cinquantaine de militants. Mais deux mois plus tard, nous avons atteint le nombre record de détenus pour délits d’opinion», des propos rapportés par El País.
Le Comité national de libération des détenus (CNLD) a estimé lundi à 305 le nombre de prisonniers d’opinion. C’est un chiffre qui, selon M. Salhi, n’avait jamais été atteint depuis le 22 février 2019, jour de la naissance du Hirak. Ces manifestants étaient opposés à la candidature à un cinquième mandat du président octogénaire Abdelaziz Bouteflika (1999-2019) et ont obtenu sa démission. Deux ans et demi plus tard, certains militants comme Saïd Salhi estiment que la situation des libertés est encore pire que sous Bouteflika.
Le journal Liberté a fait le point sur six décennies d’indépendance dans son éditorial du lundi 5 juillet. Et il a souligné que le moral des Algériens est «plus bas que jamais», qu’il y a une «déception totale». «Pour un avis discordant, un mot à contre-courant des nouvelles normes (…) 304 Algériens croupissent aujourd’hui dans les cachots du système.» L’article évoque «ces bateaux qui se remplissent un peu plus chaque jour», des jeunes cherchant à l’étranger «un bonheur qu’ils ne trouvent pas» dans leur pays.
Parmi les détenus d’opinion figure le journaliste Rabah Kareche, emprisonné depuis 79 jours. L’avocat Arslane Abd Raouf, membre du comité de défense des détenus du Hirak, est également entré en prison en mai. Après ces arrestations, le 30 juin, le président du parti d’opposition de gauche Mouvement pour le développement social (MDS), Fethi Ghares, a été arrêté. Son épouse, Messaouda Cheballah, a diffusé une vidéo en direct lors de l’arrestation à son domicile.
L’activiste et journaliste Imad Boubekri affirme que l’Algérie n’a jamais connu «autant de répression ni autant d’atteintes aux droits humains». «Ni sous Bouteflika ni sous aucun autre président», assure-t-il. «C’est une situation inédite. Il faut aussi reconnaître que le régime n’a jamais été confronté à un mouvement aussi puissant depuis l’indépendance du pays.»
«Il ne s’agit pas d’un changement de cap du régime, mais d’un message adressé à l’opinion internationale» a-t-il ajouté, précisant que les grâces annoncées par le président ce dimanche ne s’inscrivent pas dans un système de pacification qui conduit à sortir le pays de la crise. «De plus, dit-il, ces grâces n’éliminent pas les procédures judiciaires en cours contre les manifestants pacifiques. Il y a des associations indépendantes et des partis politiques qui font l’objet de persécutions judiciaires pour être dissous».
Le journaliste algérien Arezki Metref affirme également que la détention de citoyens est devenue un fait aussi facile que sous le mandat de Bouteflika. «Cela donne l’impression qu’ils arrêtent des gens pour qu’ils puissent plus tard bénéficier de la clémence officielle.»
Le journaliste indépendant Khaled Drareni, 41 ans, faisait partie des 50 détenus graciés en février, à la veille du deuxième anniversaire du Hirak. Après avoir passé 11 mois en prison, Drareni a continué à faire état dans ses tweets des manifestations contre le régime. Lundi, il a tweeté un message avec une photo montrant le début d’une manifestation dans le centre d’Alger dispersée par la police.
«Les militants du Hirak réclament une justice indépendante, une nouvelle Constitution et, surtout, un pouvoir civil qui ne soit pas subordonné au commandement militaire. Pour eux, le président Abdelmadjid Tebboune, 75 ans, n’est qu’une marionnette entre les mains du chef d’état-major général, le général Saïd Chengrinha» conclut El País.