Il fut un temps où la diplomatie algérienne jouait un rôle majeur dans plusieurs dossiers, mais ces jours font désormais partie du passé
Lors d’une visite du président algérien Abdelmajid Tebboune au ministère de la Défense nationale à Alger le 2 juin, le chef d’état-major de l’armée, le général de division Said Chengriha, a fait l’éloge de l’avant-projet de révision de la constitution du pays présenté le 8 mai par le chef de l’Etat. Parmi les amendements proposés figure un article qui tend à autoriser constitutionnellement l’armée nationale populaire (ANP) à intervenir en dehors des frontières nationales de l’Algérie.
Mais pourquoi introduire cet article ? L’ANP ne s’est jamais abstenue d’intervenir en dehors des frontières algériennes, notamment en Égypte en 1967 et 1973. Quant aux forces de sécurité, elles sont intervenues au Liban pour libérer les otages, et plus récemment dans l’est de la Libye pour secourir un commando français qui avait été pris en embuscade en Cyrénaïque. Approuvé par le magazine de l’armée El-Djeich, cet article souligne l’absence de l’Algérie de la crise libyenne depuis 2011, la pire crise de la Méditerranée centrale depuis des décennies.
Cette absence contraste avec le rôle décisif de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis en 2011. A cette époque, l’ANP a perdu une occasion unique d’influencer le cours des événements en Libye. L’Algérie avait les cartes nécessaires pour peser sur Mouammar Kadhafi, qui menaçait les habitants de Benghazi. Il avait des forces terrestres bien entraînées, une force aérienne importante, de bonnes relations avec les tribus locales de l’ouest de la Libye et des diplomates très respectés. Mais l’ancien président Abdelaziz Bouteflika s’est révélé être un mauvais tacticien, et la France de Sarkozy a pris le relais.
Depuis son élection à la présidence en 1999, Bouteflika n’a cessé de licencier des officiers compétents de l’armée. En 2002, il a nommé le général Ahmed Gaid Saleh chef d’état-major des forces armées. Ce dernier est alors entré en conflit avec la Direction du renseignement (DRS) dirigée par le général Mohamed Mediene, également connu sous le nom de Toufik, et a réussi à le démanteler. Le principal ministère de l’Énergie a été remis à Chakib Khelil, qui a fini par l’affaiblir avec onze ans de gestion corrompue. Tout au long de cette période, de nombreux fonctionnaires honnêtes ont été remplacés par des courtisans du clan Bouteflika.
L’arrivée de Ramtane Lamamra à la tête du ministère des Affaires étrangères en 2013 n’a pas empêché l’Algérie d’être marginalisée sur la question libyenne, dans laquelle des pays comme la France, l’Italie, la Turquie, les Emirats Arabes Unis et le Qatar avaient été très actifs. Ancien ambassadeur auprès des Nations Unies, de Washington et de l’Organisation de l’unité africaine, peu de diplomates connaissent aussi bien les questions africaines que Lamamra. Mais après avoir été invité l’hiver dernier à poser sa candidature au poste d’envoyé des Nations Unies en Libye par le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, il a reçu un veto des États-Unis et des Émirats arabes unis. Ce revers illustre assez bien la perte de prestige de l’Algérie dans le monde.
Il fut un temps où la diplomatie algérienne jouait un rôle majeur dans plusieurs dossiers, mais ces jours ont été oubliés. Au cours des années 60, l’Algérie a été à l’avant-garde de la lutte pour les droits des Palestiniens et, en 1981, elle a joué un rôle crucial pour assurer la libération des diplomates américains retenus en otage à Téhéran. L’ancien ministre algérien des Affaires étrangères Mohammed Seddik Benyahia était un brillant diplomate avant sa disparition tragique. Son avion a été abattu par Saddam Hussein alors qu’il tentait de négocier la fin de la guerre Iran-Irak en 1982. Ces jours ne sont plus qu’un lointain souvenir maintenant que l’affaiblissement de l’ANP allait de pair avec le saper la diplomatie algérienne.
L’attaque du champ gazier de Tiguentourine en janvier 2013 par un commando venu de Libye voisine a contraint l’Algérie à redéployer massivement son armée d’ouest en est.
Des dépenses considérables ont été engagées pour sécuriser le long tronçon des frontières du Sahara saoudien, rendu possible par les prix élevés du pétrole de l’époque. Aujourd’hui, l’effondrement des prix du pétrole a contraint le gouvernement algérien à réduire ses dépenses civiles de 50%. Mais, le gouvernement peut-il se permettre de laisser intact le budget militaire qui représente un quart des dépenses totales? Et quel est l’intérêt d’accumuler des centaines de chars, d’avions de chasse, de véhicules blindés et de garde-côtes, pour finir par n’avoir ni poids ni influence en Libye, un pays qui a un impact si direct sur leur propre sécurité?
Les deux pays ayant la plus grande influence sur l’Algérie sont la France et la Russie. Aucun d’entre eux, cependant, n’a salué la montée du mouvement de protestation populaire algérien, connu sous le nom de Hirak, qui, jusqu’au blocage de COVID-19, a vu des millions de citoyens manifester pour exiger une plus grande démocratie. La France a soutenu la candidature ridicule de Bouteflika pour un cinquième mandat jusqu’à ce que ce dernier soit relevé par l’armée. Il a ensuite apporté tout son soutien à Gaid Salah, l’homme fort de l’Algérie et farouche opposant au Hirak jusqu’à sa mort. Ancien sous-officier de l’armée française, Gaid Salah est l’un des nombreux officiers que la France peut influencer, sur la base des informations qu’elle détient sur tel ou tel dossier de contrats entre l’ANP et des fournisseurs étrangers, où sous la table des commissions et les rétro-commissions fleurissent.
En Libye, la France est préoccupée par la migration illégale vers l’Europe et par l’influence des Frères musulmans sur le gouvernement de Tripoli; mais il est allié avec le maréchal Khalifa Haftar. Avec l’essor de la Turquie en Libye, la France a beaucoup perdu. En Algérie, il fait pression sur l’ANP pour envoyer des troupes terrestres algériennes au Mali, mais une telle action sera interprétée par des millions d’Algériens comme une politique néo-coloniale, et les troupes algériennes seraient considérées comme des auxiliaires de l’armée française et un parallèle serait être rapidement tirés entre eux et les célèbres tirailleurs algériens qui ont combattu en Europe aux côtés des troupes françaises lors des deux guerres mondiales.
A Bruxelles, certains ont constaté le volume important des investissements réalisés en Algérie par la Chine et la Turquie, qui dépasse celui de toutes les entreprises européennes. La Chine pèse de plus en plus dans la région, et la Turquie aussi. Le soutien constant de la France au Maroc dans le dossier du Sahara le prive de toute influence stratégique au Maghreb. L’Algérie tarde à repenser sa stratégie militaire et diplomatique, sans parler de sa gestion économique centralisée et corrompue. Dans ces conditions, il était, jusqu’à présent, une valeur sûre que l’ANP ne deviendrait pas une force auxiliaire de la France dans la région. S’il le faisait, il perdrait une partie essentielle de sa légitimité historique que l’Armée de libération nationale a si chèrement acquise entre 1954 et 1962.