Le modèle de croissance actuel n’est plus en mesure de garantir une évolution soutenue de l’activité économique susceptible de créer de la richesse et de l’emploi.
Tenant compte des changements rapides et forts de notre société et des mutations économiques, sociales, technologiques et environnementales à l’œuvre à l’échelle internationale, le CESE (Conseil économique, social et environnemental) a élaboré un rapport adopté à l’unanimité par l’Assemblée générale dudit Conseil ayant contribué au chantier de réflexion autour du nouveau modèle de développement.
Selon le CESE, plusieurs fragilités qui caractérisent l’économie marocaine obèrent sa capacité à réaliser un véritable décollage économique, comme l’ont concrétisé certains pays émergents, tels que la Turquie. Les faiblesses du modèle de croissance au niveau macroéconomique se reflètent également au niveau de l’entreprise dont la compétitivité reste insuffisante. En effet, la plupart des entreprises opèrent dans des secteurs à faible valeur ajoutée, tels que l’immobilier et le commerce et les services divers, alors que la part de l’industrie et des technologies de l’information et de la communication (TIC) ne dépasse guère 10% du total des entreprises.
En outre, le système d’éducation et de formation et le champ culturel, qui sont censés être les principaux vecteurs de développement des capacités et d’épanouissement de l’individu, continuent de pâtir de déficits majeurs les empêchant de jouer pleinement leur rôle. De même, l’environnement scolaire, médiatique et institutionnel n’est pas propice à l’épanouissement culturel de l’individu et à l’éclosion de contenus culturels. Cela s’explique par la faiblesse de l’industrie culturelle au Maroc, relève le CESE dans son rapport.
Par ailleurs, deux franges de la population sont exclues du processus de développement même si la forme d’exclusion est différente : la femme et le monde rural. Deux indicateurs témoignent de cette marginalisation. Tout d’abord, le taux d’activité des femmes ne dépasse pas 21,8% en 2018. Ensuite, 71,5% de la population rurale travaille dans un secteur à faible productivité comme le secteur primaire, et particulièrement au niveau de l’agriculture qui ne représente que 12% du PIB en moyenne sur la période 2008-2018. De plus, le CESE note que le marché du travail est non inclusif de larges franges de la population et ne permet pas de tirer profit de l’aubaine démographique.
La situation actuelle devrait donc amener le Maroc à redoubler d’efforts pour exploiter la fenêtre temporelle relative au dividende démographique, qui devrait rester ouverte jusqu’à l’an 2038. Cette phase devra accorder une place importante au renforcement des capacités et de l’employabilité du facteur humain, en particulier les jeunes. Le Maroc a besoin de valoriser sa jeunesse avant d’être rattrapé par sa vieillesse, précise le rapport du CESE.
Quant à la problématique de la fuite des compétences, elle constitue également une perte pour l’économie nationale qui semble trouver des difficultés à retenir ses talents et par conséquent n’arrive pas à tirer pleinement profit du potentiel de ces derniers en termes de contribution à la croissance économique, à l’amélioration de la productivité, au progrès technologique, en plus d’un manque à gagner en matière de recettes fiscales.
Selon le CESE, la couverture sociale demeure pour sa part insuffisante en dépit des efforts consentis. Sa faiblesse fragilise la situation de larges pans de la population et réduit leur sentiment de sécurité. En effet, en 2018, 38% de la population marocaine ne disposait pas d’une couverture médicale et près de 60% de la population active n’était pas couverte par un régime de pension. La situation est encore plus critique pour certaines catégories vulnérables, étant donné que les 2/3 des personnes en situation de handicap ne bénéficient d’aucun régime de sécurité sociale.
La préservation de l’environnement et la gestion responsable des ressources naturelles constituent un enjeu majeur de développement pour le Maroc. En effet, les enjeux liés au climat posent les questions de la préservation des ressources non substituables, des stratégies d’adaptation aux impacts du changement climatique et de la valorisation des ressources renouvelables et substituables.
Par ailleurs, le CESE précise que la panne du modèle actuel crée de la défiance et de la fragilité. En effet, les écarts constatés entre l’ambition collective et ce qu’apporte le modèle actuel de développement sont manifestes. Ils constituent les «symptômes» des dysfonctionnements dudit modèle. En particulier, les inégalités d’accès aux droits fondamentaux, notamment, à travers des services publics de qualité, alimentent la polarisation sociale et territoriale sur plusieurs dimensions. Ces dimensions sont autant de lignes de fracture qui érodent la confiance et empêchent d’avancer. Le sentiment de défiance qui s’ensuit fragilise le lien social, les institutions et les corps intermédiaires.
Le système éducatif actuel souffre également d’un ensemble de faiblesses qui ont conduit à la détérioration de l’école marocaine, en particulier celle publique. Ces faiblesses persistent et augmentent, en dépit des réformes qu’a connues le secteur durant les deux dernières décennies. Parmi ces carences, il est permis de citer l’abandon scolaire et le niveau insuffisant des élèves, ce qui conduit à une inefficience des dépenses dans le secteur éducatif.
S’agissant du système de santé, il se caractérise aujourd’hui par plusieurs déficits dont le manque de moyens humains et logistiques, la faiblesse de l’offre de soins, l’obsolescence des infrastructures hospitalières, l’absence d’une généralisation de couverture médicale de base et la mauvaise répartition régionale des médecins.
S’ajoute à cela l’urbanisation au Maroc qui est, elle aussi, génératrice d’exclusion et de tensions sociales. En effet, le déficit en matière de logements se manifeste sous forme de bidonvilles et d’habitat sous-équipé ou insalubre et s’explique par le déséquilibre patent entre l’offre et la demande de logements abordables pour les ménages à faible revenu.
Le CESE note également que le système judiciaire continue à pâtir des faiblesses sur plusieurs plans, notamment par la persistance du recours à la corruption et aux passe-droits, ainsi que les longs délais des procédures, ce qui n’est pas sans conséquence sur la confiance des citoyens et des investisseurs. En outre, la prédominance de la logique du tout carcéral et le recours quasi-systématique à la détention provisoire conduit à l’exclusion sociale des détenus, à l’augmentation des risques de récidive, notamment parmi les jeunes détenus, au risque de faire de la prison un terreau de la marginalité et de la délinquance.
Rappelons que la contribution du CESE s’inscrit dans la dynamique suscitée par le discours du Monarque appelant à repenser le modèle de développement pour le mettre en phase avec les évolutions que connaît notre pays. Selon le CESE, « le Maroc dispose d’importants atouts sur lesquels il peut s’appuyer pour accélérer son développement. Sa richesse réside notamment dans son capital matériel et immatériel, la jeunesse de sa population, son histoire, son rayonnement international et sa position géographique au carrefour des civilisations ».