L’expulsion massive de milliers de Marocains d’Algérie le 18 décembre 1975 est l’un des épisodes les plus marquants et douloureux des relations entre les deux pays voisins. Cet événement tragique, ignoré par les médias algériens, restera gravé comme un forfait indélébile inscrit par le régime algérien au registre de ses actes les plus vils.
Rappel : En 1975, le succès de la Marche Verte et la signature de l’Accord de Madrid avaient mis hors de lui le président algérien Houari Boumediene, qui avait renié tous ses engagements antérieurs. Derrière une façade de solidarité maghrébine, Boumediene agissait en coulisses pour empêcher tout accord entre le Maroc et la Mauritanie d’une part et l’Espagne de l’autre. Pris de court par l’évolution des événements et exaspéré par le coup de maitre de Feu le roi Hassan II, il commit l’irréparable.
Boumediene prit la décision brutale d’expulser des dizaines de milliers de Marocains résidant en Algérie. Cette mesure, dictée par la colère et la vindicte, fut officiellement justifiée par des motifs de «sécurité nationale.» Le gouvernement algérien alla jusqu’à ordonner la rafle des élèves, collégiens, lycéens et étudiants d’origine marocaine, au sein même des établissements scolaires et universitaires
Les Marocains d’Algérie furent déportés dans la hâte par l’armée et la police, sans aucune assistance juridique, dépouillés de tous leurs biens et de leurs papiers administratifs. Des couples mixtes furent séparés. Le tout sans que les médias algériens, étroitement contrôlés, n’en soufflent mot.
Les Marocains visés par cette expulsion massive étaient pour la plupart des travailleurs établis en Algérie depuis plusieurs décennies. Ils étaient employés dans l’agriculture, les mines et les services et contribuaient efficacement au développement de l’économie algérienne. Nombre d’entre eux étaient mariés à des Algériens/Algériennes et avaient des enfants nés en Algérie, ce qui ajouta une dimension tragique à leur départ forcé.
On estime qu’entre 45 000 et 50 000 familles marocaines furent touchées. Ces expulsions se déroulèrent dans des conditions particulièrement inhumaines : les familles furent sommées de quitter leurs foyers le jour de l’Aïd el Adha, avec peu ou pas de temps pour rassembler quelques effets personnels. Entassés sans ménagements dans des camions, ils furent conduits à la frontière. Des témoignages évoquent des confiscations de biens, des scènes déchirantes de séparations familiales et un usage immodéré de la force.
La mesure algérienne s’inscrivait dans une logique de représailles politiques. Boumediene cherchait à exercer une pression sur le Maroc, prenant position dans la question du Sahara, dont il disait pourtant qu’elle ne concernait pas l’Algérie.
Non content d’expulser les Marocains, le gouvernement algérien a eu recours à leur encontre la loi dite sur les biens vacants, qui autorise l’État à réquisitionner les biens des étrangers absents. Ce texte fut utilisé pour saisir des propriétés marocaines, privant les expulsés de tout recours légal.
Dénuement des expulsés : une tragédie humaine
L’expulsion forcée laissa les victimes dans un état de dénuement total. Le Maroc, confronté à l’afflux massif de milliers de personnes en détresse a été pris de court. Les expulsés, souvent arrivés avec pour seuls biens les vêtements qu’ils portaient, furent accueillis dans des camps temporaires au confort rudimentaire. Quelques-uns trouvèrent un abri chez des proches.
Sans ressources ni moyens de subsistance, leur insertion dans le tissu économique et social marocain fut difficile. Plusieurs furent intégrés dans l’administration publique, d’autres purent compter sur la solidarité familiale. Cette tragédie provoqua une rupture profonde dans la vie des expulsés. Pour nombre d’entre eux, en particulier parmi les plus jeunes, nés en Algérie et ne connaissant pas le Maroc, le sentiment de déracinement était dramatique.
Démarches des associations
Des associations d’anciens expulsés se sont organisées pour réclamer des indemnisations et la restitution des biens confisqués. Cependant, l’intransigeance d’Alger entrave toute avancée significative.
En 2010, enfin, un organe des Nations Unies, le « Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille », a reconnu le drame des Marocains expulsés d’Algérie.
Le Comité a recommandé au gouvernement algérien « de prendre toutes les mesures nécessaires pour restituer les biens légitimes des travailleurs migrants marocains expulsés par le passé, ou de leur offrir une indemnisation juste et adéquate, conformément à l’article 15 de la Convention… et de prendre les mesures appropriées pour faciliter la réunification de ces travailleurs migrants marocains avec leur famille restée en Algérie ».
Le 19 décembre 2011, deux sit-in ont été organisés par les expulsés devant l’ambassade d’Algérie à Rabat et la représentation permanente des Nations unies au Maroc. Unelettre de revendication a été remise au représentant de l’ONU.
Le 3 janvier 2013, la Ligue marocaine pour la défense des droits de l’homme (LMDDH) a soutenu la cause des Marocains expulsés d’Algérie et exhorté le gouvernement marocain à agir.
Un colloque, organisé en mai 2013 a conclu que l’expulsion était illégale au regard du droit interne algérien. En effet, non seulement il n’y a eu ni atteinte ni menace à l’ordre public de la part de 45.000 familles marocaines, mais, en Algérie, les décisions d’expulsion des étrangers en situation irrégulière sont individuelles. Rien dans le droit interne algérien ne justifiait une expulsion collective.
Revendications
Des ONG marocaines et internationales jouent un rôle clé dans la documentation de ce drame et la défense des droits des expulsés. Elles sensibilisent l’opinion publique et exercent des pressions sur les autorités pour ouvrir des négociations. Parmi les principales revendications figurent :
• La restitution des biens confisqués, ou à défaut, une compensation financière.
• La reconnaissance officielle par l’Algérie des souffrances infligées aux expulsés.
• Des excuses officielles de l’État algérien.
• La facilitation des retrouvailles familiales, pour ceux qui ont été séparés de leurs proches restés en Algérie.
En novembre 2024, «le Collectif international de soutien aux familles marocaines expulsées d’Algérie en 1975» a tenu une réunion à Rabat. ONG créée en 2021, le Collectif veut garder vivante la mémoire des expulsions et défendre les intérêts des expulsés.
Dans le cadre des préparatifs du 50ᵉ anniversaire de cette tragédie, en 2025, le Collectif prévoit une série d’événements commémoratifs à échelle nationale et internationale dans lebut de sensibiliser l’opinion publique en faveur de la reconnaissance des droits des victimes.
Le Collectif a dénoncé le silence persistant des autorités algériennes ainsi que les campagnes de désinformation visant à minimiser les faits.
Gestion diplomatique
Cette tragédie n’a pas été abordée sur le plan diplomatique. En raison des relations en dents de scie entre Rabat et Alger, le dossier n’a jamais fait l’objet de négociations et aucune initiative sérieuse de réparation ou de justice pour les victimesn’a pu être mise en œuvre. Les autorités algériennes, pratiquant le déni, n’ont jusqu’à présent montré aucune volonté d’ouvrir ce dossier.
Malgré la gravité des faits, le Maroc n’a pas formellement porté l’affaire devant les organisations internationales. En novembre 2012, le ministre délégué aux affaires étrangères marocain a déclaré que le royaume « n’abandonnera jamais les biens, annexés en 2010 par l’État algérien, des 45 000 familles expulsées ».
50 après, la « marche noire » reste une blessure ouverte dans la mémoire collective marocaine. Elle demeurera gravée comme une infamie commise par le régime algérien à l’endroit de dizaines de milliers de personnes dont le seul tort était d’être marocains.
La reconnaissance des souffrances infligées et des pertes subies par les victimes est essentielle pour restaurer une confiance durable. Ce drame ne sera pas oublié ni escamoté, car il constitue un crime dont les descendants des expulsés continueront de porter la mémoire.
Seule une volonté politique d’Alger permettra d’apporter justice aux expulsés, tout en favorisant la réconciliation entre deux nations liées par une histoire et un destin maghrébins partagés.