Ces derniers mois, une vague de protestations étiquetées sous la bannière de la «Génération Z» a secoué diverses régions du monde, de l’Afrique à l’Asie, en passant par l’Amérique latine et même l’Europe, bien qu’avec des formats et des prétextes différents. Elles émergent dans des contextes d’inégalité économique flagrante, de chômage chronique des jeunes et de défaillances gouvernementales criantes.
Il ne fait aucun doute que le chômage des jeunes est un puissant moteur de mécontentement, de frustration, voire de désespoir. Ce facteur, amplement documenté par des rapports tels que celui de la Banque mondiale (2024), qui estime les taux de chômage des jeunes à plus de 25 % dans des régions comme l’Afrique subsaharienne et l’Asie du Sud, agit comme l’un des principaux catalyseurs de l’effervescence sociale. L’étincelle de l’indignation est souvent légitime, parfois elle ne l’est absolument pas. Dans d’autres cas, des raisons en apparence justifiées sont démesurément grossies, exploitées par les éléments les plus radicaux de chaque société, qui voient dans les révoltes le parfait terreau de la violence et du chaos.
Le Maroc, exception d’un monde en fureur
En Indonésie, ce fut l’augmentation du salaire des parlementaires qui l’a provoquée ; au Kenya, les lois fiscales, la corruption endémique et le déferlement émotionnel lors du rapatriement des restes de l’ex-Premier ministre Raila Odinga ; au Pérou, la destitution de la présidente Dina Boluarte ; à Madagascar, la fuite du chef de l’État après des manifestations violentes.
Mais au Maroc, la tragédie survenue à Agadir — où huit femmes enceintes soumises à une césarienne ont perdu la vie à la suite d’une négligence médicale dans un hôpital public — n’a pas dégénéré en affrontements massifs. Les manifestations, d’abord teintées d’émotion et d’indignation, ont conservé un caractère pacifique et rationnel malgré quelques actes de violence isolées. Contrairement à d’autres pays, les voix extrémistes qui ont tenté d’infiltrer le mouvement ont été marginalisées. Les organisateurs marocains, soutenus par de larges segments de la société civile et des associations, ont réussi à canaliser la colère vers des revendications concrètes : amélioration de la gouvernance hospitalière, réforme des procédures disciplinaires et responsabilité administrative.
Le gouvernement, contesté, a agi avec prudence. Plutôt que de recourir à la répression ou à la disqualification morale des manifestants, il a annoncé l’ouverture d’une enquête judiciaire, la suspension des responsables impliqués et la mise en place d’un audit national sur la gestion des maternités publiques. Cette réponse institutionnelle, quoique encore jugée insuffisante par certains, a empêché la cristallisation d’une frustration sociale diffuse. Le Maroc a ainsi montré qu’une colère encadrée par le civisme peut demeurer un levier de réforme sans se muer en déflagration politique.
Le miroir d’un monde fracturé
Dans d’autres pays, la dérive fut tout autre. Au Népal, l’incendie du Parlement a symbolisé la perte de contrôle ; à Madagascar, le vide de pouvoir a précipité la fuite du président ; dans plusieurs États d’Amérique latine, les manifestations pro-palestiniennes se sont transformées en batailles rangées.
Dans les pays développés, une déconnexion s’est produite entre les classes politiques et leurs sociétés, ouvrant la voie aux populismes. L’incompétence dans la gestion et la détérioration de certains services publics essentiels comme la santé et l’éducation, ou leur absence totale dans les sociétés des pays en voie de développement, ont allumé les mèches de bombes extraordinairement déstabilisatrices.
Une analyse approfondie révèle une réalité crue, bien distincte du romantisme de certaines interprétations biaisées : ce qui commence comme des demandes légitimes se transforme, à une vitesse alarmante, en rampes de lancement pour l’extrémisme. Ces manifestations ont été systématiquement détournées par des révolutionnaires violents lancés à la conquête de l’influence par le chaos. Le désespoir authentique est manipulé par des instigateurs radicaux et même des éléments criminels, utilisant un réseau sophistiqué de circuits clandestins sur Internet pour transformer la frustration en guérilla urbaine.
L’abîme de la colère et la nécessité de la réforme
L’abîme du désespoir est le terreau le plus efficace. Dans des pays comme le Kenya, où le chômage des jeunes atteint 35 % selon l’OIT (2025), la frustration est une poudrière. Des experts comme l’économiste Jeffrey Sachs concluent que le chômage chronique non seulement érode la confiance dans les institutions, mais « crée un vide que des éléments radicaux exploitent à leurs fins ». Comme le soulignait le sociologue Raymond Aron dans L’Opium des intellectuels, lorsque les « religions séculières » — les idéologies — exploitent le mécontentement économique, la raison démocratique est la première victime.
Le modèle social est sérieusement compromis, peut-être déjà épuisé. Les gouvernements doivent procéder à une reconstruction en profondeur — les réformes ne suffisent pas — pour ne pas laisser pour compte une part croissante de nos concitoyens.
La récupération politique et idéologique
Une fois ces groupes identifiés, il devient clair que les mouvements de protestation servent souvent d’instruments à des forces politiques ou idéologiques extérieures. Les idéologues radicaux exploitent les frustrations légitimes pour y greffer leurs discours révolutionnaires. Ce processus de récupération est d’autant plus efficace que les jeunes, privés d’encadrement politique et syndical cohérent, sont vulnérables à la propagande numérique.
Ainsi, les plateformes sociales deviennent des catalyseurs d’indignation et de désinformation. Comme le souligne le rapport du Global Digital Observatory (2025), «les acteurs politiques les plus extrémistes utilisent les émotions comme vecteur d’adhésion, bien plus que les idées ou les programmes». Ce mécanisme transforme la colère sociale en arme idéologique, sans projet concret ni horizon réaliste.
La mécanique numérique de la colère
Les réseaux sociaux amplifient la perception d’injustice et la transforment en indignation collective. Les algorithmes, conçus pour privilégier le contenu conflictuel, stimulent la colère et l’adhésion émotionnelle. Un message outré circule mille fois plus vite qu’un argument mesuré. L’opinion devient alors une succession d’impulsions, sans recul ni réflexion.
Dans une étude récente, l’Université d’Oxford observe que «les campagnes numériques de désobéissance ne reposent plus sur des structures idéologiques, mais sur des réflexes tribaux, où l’appartenance se définit par le rejet d’un ennemi commun». Cette mutation psychologique explique la fragilité des révoltes contemporaines : elles brûlent vite, se consument seules et ne laissent derrière elles que des braises politiques stériles.
Les illusions de la spontanéité
Le caractère spontané de ces protestations relève souvent d’un mythe soigneusement entretenu. Les slogans, les visuels, les hashtags sont rarement le fruit du hasard. Derrière l’apparente improvisation se cachent des cellules de communication, des ONG militantes, voire des officines étrangères. Leur but : entretenir un état de tension permanente, où chaque cause éphémère alimente la suivante.
Selon le politologue français Alain Frachon, «le spontané est devenu la forme la plus élaborée du calcul politique». La rue semble libre, mais elle obéit à des scripts écrits ailleurs. Les protagonistes eux-mêmes finissent par ignorer qu’ils participent à un récit planifié, conçu pour affaiblir les institutions et saturer l’espace public d’émotion brute.
Les circuits clandestins de l’insurrection
Les protestations sont souvent orchestrées via des réseaux clandestins que la gauche radicale et certains instigateurs violents utilisent pour coordonner leurs actions. Ces réseaux opèrent dans un écosystème numérique allant du semi-public au clandestin.
Discord, loin d’être une simple plateforme de gaming, est devenu un véritable centre de commandement. Les organisateurs créent des serveurs privés avec des canaux spécifiques pour la logistique, l’assistance juridique et l’action directe. Cela permet une organisation granulaire et un relatif anonymat. The Annapurna Express (2025) a dénoncé comment au Népal, des groupes radicaux ont utilisé Discord pour planifier des incendies, «détournant le mouvement Gen Z».
Telegram et Signal servent aux communications sécurisées et à la diffusion de manuels de guérilla urbaine, de mèmes anti-police et de tactiques de confrontation, comme l’a documenté le Washington Post (2025) sur l’instrumentalisation de «la rage numérique».
Enfin, les canaux du Dark Web ne mobilisent pas les masses, mais servent aux instigateurs principaux pour gérer le financement opaque, distribuer des guides de sabotage avancés et recruter les noyaux durs. Le CSIS (2020) avertit que ces espaces sont employés «pour échapper à la surveillance et planifier la violence que leurs manifestants ‘chair à canon’ exécuteront ensuite».
La tragédie de l’indignation manipulée
Les protestations de la «Génération Z», bien qu’enracinées dans des griefs réels et indéniables, suivent un schéma inquiétant. La légitimité de leur indignation contre la corruption et l’incompétence est détournée par la gauche radicale et des éléments criminels, qui utilisent des réseaux clandestins pour fomenter le chaos.
La glorification de ces mouvements comme purement «antifascistes» est particulièrement dangereuse, alors qu’il s’agit en réalité de tentatives révolutionnaires instrumentalisant le désespoir juvénile. Comme le conclut l’historien britannique Sir Niall Ferguson (2025), «ignorer cette réalité et se concentrer uniquement sur la ‘noblesse’ des causes initiales ne fait que perpétuer les cycles d’instabilité».
L’urgence est double : s’attaquer aux causes profondes du mécontentement social et juvénile, sans céder un pouce de terrain à l’extrémisme violent qui les parasite.
Le modèle social est sérieusement compromis et nécessite une reconstruction en profondeur. Les gouvernements doivent distinguer le bon grain de l’ivraie : l’inclusion pour les jeunes désespérés mais pacifiques, et une action policière ciblée contre ceux qui instrumentalisent la violence.
Dans ce cadre, le Maroc reste un exemple rare et instructif : même face à un drame humain à Agadir, les manifestants ont rejeté les voix extrémistes, transformant leur colère en revendications constructives. La combinaison d’une réponse institutionnelle mesurée et d’une mobilisation citoyenne organisée a permis de canaliser l’indignation sans basculer dans le chaos.
Comme le souligne Ferguson, «la seule manière de briser le cycle est d’agir sur les causes profondes tout en neutralisant ceux qui exploitent le désespoir». Cette leçon s’impose à tous les États confrontés à la fureur de la jeunesse contemporaine.






